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Actualités - CHRONOLOGIE

Les causeries du Gab Center Nidal Achkar, tout feu tout flamme... de théatre (photo)

Dans le cadre des rencontres culturelles de la Galerie Bekhazi (Achrafieh) Nidal Achkar comédienne, metteur en scène, propriétaire du Théâtre Al Madina (Clemenceau), a captivé un auditoire nombreux pendant plus de deux heures. Un happening à la Nidal Achkar. Emouvante quand elle raconte la maison de ses parents à Dick el-Mehdi comme la voyaient ses yeux d’enfant ébloui. Remuante quand elle fustige tous azimuts le pouvoir, la société, les mœurs, la morale… Morceaux choisis.
Dans son mot d’introduction, Riad Fakhoury a évoqué Assad Achkar, le père de Nidal, la maison de Dick el-Mehdi, et a rappelé le rôle qu’a joué l’artiste dans «la révolution culturelle» des années soixante et soixante-dix.

Ensuite, l’on a pu assister à la projection d’un extrait où Nidal Achkar lit un poème de Nizar Kabbani sur Beyrouth. La lumière revient à peine dans la salle, que la profonde voix de l’actrice reprend «live» le fil de la lecture. L’effet réussi séduit l’auditoire. Et Nidal Achkar poursuit: «On m’a souvent demandé la raison pour laquelle je suis une femme de théâtre. Je n’ai jamais répondu car je ne savais comment expliquer les multiples raisons qui m’ont poussée sur les planches. Quelqu’un qui est sain d’esprit choisit-il le théâtre?» Après cette boutade, elle a entamé la lecture d’un texte soigneusement préparé. Tout l’imaginaire d’un enfant, avec ses démons et ses anges, ses images disproportionnées et ses couleurs...

«Un homme se cache dans une chambre, il s’appelle Mahmoud. Mais moi l’enfant je sens qu’il est important. Personne n’en parle à Dick el-Mehdi. On l’appelle d’un autre nom. On agit comme s’il n’existait pas. J’ai appris plus tard qu’il avait fui la prison de Mazzé et qu’il avait trouvé refuge chez nous.

L’homme laid à grosse tête habite le rez-de-chaussée. Il veut me rendre obéissante, moi la têtue. Ma mère le prévient que je suis obstinée et qu’il n’arrivera à rien avec moi. C’est Georges Abdel Massih. Il avait une seule oreille. C’était le président du Parti syrien national social (PSNS). Ma mère lui apportait trois repas par jour.
Il y a un autre Georges, mais Khoury celui-là. On le disait cousin de ma mère. En fait il ne s’appelait pas Georges Khoury mais Ghassan Jdid. Martyr du parti, il a été tué par un vendeur de balais qui n’était pas vendeur du tout.

Plus loin, le peintre Adonis discute avec mon père. Pourquoi s’appelle-t-il Adonis? Parce qu’il a un nom à coucher dehors, répond ma mère... (…)». Nidal Achkar rappelle ainsi avec simplicité et bonheur à notre mémoire des noms, des personnalités... Elle évoque avec tendresse et respect sa mère «qui voyageait à moto avec un ami de la famille et qui passait clandestinement du courrier enroulé dans sa longue chevelure; qui s’assurait toujours que tout allait bien…»

Elle parle de son père, ce héros qui a célébré devant ses yeux ébahis un mariage civil à Dick el-Mehdi... Nidal Achkar fait défiler ainsi le film de son enfance si étroitement liée à une époque, à un parti, à une culture, à une idéologie. Jusqu’à arriver au drame qu’a constitué la condamnation à mort d’Antoun Saadé. «Les soldats ont envahi notre maison, tout le monde fuyait. D’un coup, tous les personnages de mon enfance ont disparu des planches du théâtre de mon imagination. Je vais découvrir qu’ils sont tous morts. La mort d’un seul revient inlassablement, comme une offense: celle d’Antoun Saadé, martyr de la «Oumma» condamné par la République libanaise». Et elle conclut en pliant ses papiers: «Comment voulez-vous qu’avec tout cela je ne devinsse pas une femme de théâtre»?

Espoirs

Nidal Achkar donne ensuite lecture d’une sorte de manifeste. «Maintenant nous revenons pour recommencer car la vie est un recommencement. Avant la guerre, nous rêvions d’un monde meilleur. Maintenant nous espérons une paix plus juste. Avant la guerre, l’Atelier (qu’elle avait lancé et animé avec Roger Assaf) portait en lui une nouvelle dynamique théâtrale importante. La simple mise en scène ne nous intéressait pas. Nous étions à la recherche d’un autre humanisme (...) C’est cela qui nous a permis de dessiner une page culturelle lumineuse dans les années soixante. Le théâtre alors devançait la vie. Cette tâche de lumière peut donner les critères pour un avenir meilleur. Et pour un théâtre ouvert à tous les dialogues».

Nidal Achkar s’est ensuite prêtée au jeu de la discussion. Chaque question était prétexte à une diatribe où la théâtralité du geste et du propos était bien dosée. Plus convaincante que jamais, Nidal Achkar était au mieux de sa forme.

La première question posée par Riad Fakhoury, le modérateur, a porté sur les raisons pour lesquelles Nidal Achkar a choisi le théâtre. «J’ai vécu dans une famille plus grande que la réalité. Actuellement, nous vivons une époque historique, avec malheureusement des acteurs publics tout à fait ordinaires qui utilisent des moyens banalement habituels».

Nidal Achkar a raconté également comment, en compagnie de Sarah Salem, elle a fait le tour des banques pour financer la restauration de son théâtre. «Les directeurs nous regardaient avec des yeux ronds. Ils devaient certainement penser que nous étions folles pour croire qu’un établissement bancaire donnerait de l’argent pour un théâtre! Une banque a enfin consenti à nous avancer la somme nécessaire pour les travaux. Il a fallu ensuite nous débrouiller pour faire fonctionner le théâtre. Nous avons eu recours au sponsorship. J’appelle de grandes entreprises qui m’aident. En contrepartie je leur fais de la publicité».

Aucune aide

Elle a déploré, par ailleurs, le manque d’aide de l’Etat. «Nous sommes dans une situation tragique. Les acteurs de la vie publique, je ne les emploierais pas dans mon théâtre, même pas pour vendre des billets au guichet...».

Elle a raconté aussi ses années d’école, ses premières performances devant ses amies de classe. Son amitié avec Arzé Gemayel et leurs inévitables prises de bec...

Elle a parlé de son rêve de rendre le théâtre gratuit, l’ouvrant ainsi au plus grand nombre possible. «Actuellement, nous avons des places à 10.000 LL. Et nous avons des accords avec les universités qui peuvent envoyer leurs étudiants pour une somme modique ou même gratuitement».
A la question de savoir si les gens de théâtre ne sont pas les comparses des acteurs de la vie publique, Nidal Achkar s’est emportée, expliquant que les artistes sont «l’image culturelle et civilisatrice du pays. Nous faisons les rêves d’aujourd’hui et de demain, nous ne ressemblons en rien aux hommes qui nous gouvernent».

Au sujet du clivage homme-femme qu’on trouve dans sa mise en scène des «Rituels des signes et des métamorphoses», elle indique ne faire «ce genre de distinction que lorsqu’on me provoque. J’estime que l’homme et la femme sont complémentaires et je n’ai jamais participé à un quelconque mouvement de libération de la femme. Mais mon père disait qu’une femme vaut cent hommes car elle a leur force mais elle a en plus la sensibilité. Je salue chaque femme qui a fait quelque chose de sa vie car il faut qu’elle affronte ses parents, son mari, sa famille, la société...».

Elle a annoncé que pour le 27 mars, journée internationale du théâtre, «Les Rituels» se joueront pour la dernière fois et gratuitement. Le Théâtre Al Madina rendra hommage également à Michel Naba’a (homme de théâtre) et Rida Khoury (actrice actuellement souffrante)».
Le théâtre est-il aujourd’hui une simple question d’argent ou bien la qualité et le message sont-ils encore importants? «Le drame du théâtre c’est qu’il est à la fois un commerce, une industrie, une culture et un art. Dans les pays occidentaux, l’Etat soutient le théâtre, car il est le visage civilisé, humain d’un pays. Notre société est riche dans son histoire, dans sa culture, dans ses croyances... L’Etat doit consacrer un budget à tous les théâtres, car ils sont le reflet de cette richesse».

Une discussion intéressante à plus d’un titre et qui a donné l’occasion à Nidal Achkar de faire preuve d’un remarquable talent de conteur... qui ne s’en laisse pas conter.

A.G.
Dans le cadre des rencontres culturelles de la Galerie Bekhazi (Achrafieh) Nidal Achkar comédienne, metteur en scène, propriétaire du Théâtre Al Madina (Clemenceau), a captivé un auditoire nombreux pendant plus de deux heures. Un happening à la Nidal Achkar. Emouvante quand elle raconte la maison de ses parents à Dick el-Mehdi comme la voyaient ses yeux d’enfant ébloui....