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Actualités - REPORTAGE

Petites histoires sans protocole... du protocole libanais (photos)

A l’origine était la flatterie. Ensuite ce fut le protocole... Dont les mille et une étiquettes ont souvent une cause insolite, voire anecdotique. Ainsi c’est la flagornerie de William Raleigh, superbe amiral mais courtisan dans l’âme, qui est à l’origine du fameux tapis rouge qu’on déroule pour les grandes têtes de marque, avant qu’elles ne soient... déposées. Accueillant un jour la grande Elisabeth 1re d’Angleterre, qui voulait inspecter la flotte, il ôta sa cape rouge et l’étendit sous les pas de sa majesté pour lui permettre de traverser un passage boueux... Idem pour le salut militaire. Voyant de loin approcher la Reine, notre homme mit la main devant les yeux comme s’il était soudain ébloui par une trop forte clarté. Aussitôt des officiers de l’imiter. Et c’est de la sorte qu’un prestigieux lèche-bottes a créé une coutume de rigueur et d’honneur. Petites histoires non protocolaires...
Jour ordinaire au service du protocole de la présidence de la République. Le directeur, Maroun Haimari, planche avec ses collaborateurs sur les préparatifs d’une cérémonie officielle. La réunion est constamment interrompue par des coups de fil du président, de la Première dame ainsi que diverses personnalités. Et l’on entend invariablement l’ambassadeur Haimari assurer à son interlocuteur qu’il se chargera de lui indiquer les modalités à suivre... Homme de l’ombre, le chef du protocole à la présidence est en quelque sorte le metteur en scène, le régisseur des ballets diplomatiques — dans le sens large — des gens du pouvoir.
En 1974, le président du Gabon en visite officielle au Liban faisait à Georges Kassouf (actuellement en charge du protocole à l’Assemblée nationale) et qui, à l’époque, était aux Affaires étrangères, la confidence suivante: «Monsieur, je commande beaucoup de gens». Et seul, le chef du protocole me commande».

Héritage

Le protocole, héritier en quelque sorte de l’étiquette des cours royales, est un ensemble de règles d’honneur et de préséance, qui régissent les faits et gestes des personnalités étatiques et diplomatiques lors des cérémonies officielles. Savoir-vivre des Nations, le protocole n’est pas né d’hier. «Il est aussi vieux que l’Histoire elle-même», dit Georges Kassouf. Au Liban, c’est le 2 août 1944 que le protocole actuel a été institué par un décret portant le numéro 1668. D’inspiration française, mais adapté au système confessionnel du pays, il a été établi conjointement par Georges Haimari (père de Maroun Haimari) et Izzat Khorchid, respectivement chef du protocole à la présidence de la République (durant 42 ans) et directeur général du protocole au ministère des Affaires étrangères.
Protocole complexe, alliant la technicité occidentale aux subtilités levantines, le formalisme en vigueur au Liban ménage avec plus ou moins de bonheur les susceptibilités des uns et des autres. «D’autant que nous sommes dans un pays où tout un chacun se veut l’équivalent du président de la République», dit Georges Kassouf, qui parle d’expérience puisqu’il navigue depuis des années entre les dangereux écueils de l’impair diplomatique. «Ainsi comme le rang des dignitaires religieux — dans cette mosaïque de dix-sept communautés! — n’est pas clairement spécifié, on a pris l’habitude de les placer verticalement par rapport au président de la République de manière à ce qu’ils ne soient ni avant ni après les personnalités politiques». (En colonnes aux deux bouts de la rangée des officiers civils). Ou comment ménager la chèvre et le chou...

Incidents

Indisciplinés, nos concitoyens ne reculent pas devant un esclandre pour s’accrocher à ce qu’ils estiment être la place de choix. M. Kassouf se souvient de certaines situations qui lui ont donné des sueurs froides. Exemple anecdotique: «Lors de la canonisation à Rome de Saint Charbel, une délégation libanaise présidée par Michel Sassine se rend au Vatican. Il était convenu que M. Sassine serait reçu par le pape juste après la messe. Il quitte donc son siège pour suivre le directeur du protocole. Un politicien libanais très connu dans les milieux internationaux, connu aussi pour son verbe haut et ses déclarations tonitruantes, décide que lui aussi doit rencontrer le pape. Le directeur lui demande sa carte blanche, une sorte de sauf-conduit. M. X ne l’a pas, mais insiste quand même lourdement en montrant des signes d’énervement. J’essaie (M. Kassouf) d’intervenir en sa faveur auprès du directeur... En vain. M. X hausse le ton... Jusqu’à ce qu’il soit remis à sa place de manière on ne peut plus cinglante. Certaines personnes provoquent ainsi régulièrement des scandales», poursuit M. Kassouf. «D’autres préfèrent même quitter plutôt que céder»...
Dans le même registre, le chef du protocole à la présidence, l’ambassadeur Maroun Haimari, se plaint lui aussi de devoir souvent intervenir personnellement pour signaler à telle ou telle personne qu’elle outrepasse son rang. «Les Libanais veulent toujours être aux premières places», dit-il. Dans ces conditions le texte écrit ne suffit pas. Il faut faire preuve d’un mélange subtilement équilibré de finesse, de diplomatie, de sang-froid et de fermeté.
Un écheveau rendu encore plus compliqué par la création de nouvelles fonctions publiques, non prévues dans le décret de 1944. «Président du CDR, président du Conseil supérieur des douanes, gouverneur de la Banque centrale... Des charges qui ne figurent pas dans le traditionnel Ordre de préséance et qui sont pourtant aujourd’hui très importantes», souligne l’ambassadeur Ramez Dimaschkié, actuel directeur du protocole au Palais Bustros. «Pour pallier à ce genre de lacune, on a pris l’habitude de se baser essentiellement sur les précédents. Il n’en reste pas moins que les règles du protocole ont amplement besoin d’être remaniées», dit-il.

Désuétude

Il est évident que cinquante-deux années amènent de nombreux changements même dans un domaine qui peut sembler immuable. Beaucoup de règles sont tombées en désuétude. «La jaquette à taille, qui était d’usage lors des cérémonies de présentation des lettres de créance, a été remplacée par la tenue de ville, le costume sombre», révèle Maroun Haimari. «Le cérémonial même de la remise des lettres de créance a également été simplifié. Et cela pour des raisons d’ordre pratique». Par contre le costume blanc d’été persiste. Peut-être aussi par commodité...
Conventions simplifiées, certes. Il n’en demeure pas moins que l’on n’entre pas au palais présidentiel comme dans un moulin. «Aussi incroyable que cela puisse paraître il arrive souvent que des membres de délégations débarquent en tenue trop sport. Pour ne pas dire débraillée», indique M. Haimari. «C’est pourquoi, j’ai prévu quelques cravates que je prête à ces messieurs le temps de l’entrevue». Toute comparaison avec des lieux plus branchés est purement fortuite...
Cet ensemble de facteurs a poussé l’ambassadeur Haimari à plancher ces trois dernières années sur un projet de remise à jour du protocole. Projet qui n’attend plus que d’être adopté en Conseil des ministres.
Car même si nos dirigeants ne sont pas du genre à prendre des gants dans leurs «échanges verbaux», le formalisme du protocole reste nécessaire dans la vie quotidienne des missions diplomatiques. Il joue surtout un rôle non négligeable de baromètre des relations entre Etats... Même si — on l’aura constaté — les chicaneries de préséance ne font plus le poids face à l’importance des intérêts en jeux... On est loin du temps où le «ahlan wa sahlan» était sacré. Où il justifiait tous les sacrifices ainsi que l’illustre la petite mésaventure de Georges Kassouf: «Le procureur général d’un pays africain débarque à l’aéroport de Beyrouth. Une taille de deux mètres et des bras impressionnants. Je m’avance vers lui dans l’idée de lui tendre la main et c’est sa serviette de travail que je me vois confier. Monsieur X. m’avait pris pour un planton! Il n’est pas besoin d’égrener ma litanie d’injures intérieures sous mon masque de bonheur total»...
Le protocole? Un savant dosage de courtoisie et de sang-froid... Et d’humour, parfois.

Zéna Zalzal
A l’origine était la flatterie. Ensuite ce fut le protocole... Dont les mille et une étiquettes ont souvent une cause insolite, voire anecdotique. Ainsi c’est la flagornerie de William Raleigh, superbe amiral mais courtisan dans l’âme, qui est à l’origine du fameux tapis rouge qu’on déroule pour les grandes têtes de marque, avant qu’elles ne soient... déposées....