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Liban - Étude

Les enfants des rues, une réalité méconnue, une prise en charge inadéquate

Les résultats d'une étude sur les enfants des rues menée sur 34 enfants et 41 acteurs sociaux ont été publiés hier à l'USJ. Même si elle ne peut prétendre généraliser les résultats, ou donner une estimation sur le nombre d'enfants des rues au Liban, cette étude qualitative, qui est le résultat d'entretiens individuels et de groupe, permet de mieux comprendre une réalité qui fait malheureusement partie du paysage libanais.
« J'ai peur de rester mendiant toute ma vie » : ce témoignage d'un jeune mendiant de 12 ans illustre la peur de l'avenir ressentie par les enfants des rues. Car les enfants des rues ont peur, nuit et jour, non seulement de l'avenir, mais du présent. Ils ont peur de ne pouvoir répondre aux attentes de la personne qui leur réclame des comptes, à la fin de la journée. Ils ont également peur d'être attrapés par les forces de l'ordre, en effectuant des actes illégaux, notamment en pratiquant le trafic de drogue ou en transportant des billets de banque falsifiés. Ils ont aussi peur des voitures et des chiens. Ils sont surtout hantés par la peur d'être agressés sexuellement. C'est la raison pour laquelle ils se munissent tous d'un canif. Ils considèrent d'ailleurs la rue comme une « mise à mort sociale », psychologique et physique, où règne la loi de la jungle.
La mise en valeur de cette peur a été l'un des nombreux points exposés par une étude sur les enfants des rues au Liban, réalisée par Jamilé Khoury et Maryse Tannous Jema'a, de l'École libanaise de formation sociale de l'Université Saint-Joseph, avec le soutien du Conseil supérieur de l'enfance du ministère des Affaires sociales. Une étude qui a été financée conjointement par le Conseil arabe de l'enfance et du développement et par l'USJ, et dont les résultats ont été publiés hier à la faculté de médecine de l'USJ. La conférence s'est déroulée en présence, notamment, du ministre des Affaires sociales, Mario Aoun, de la directrice de ce ministère, Randa Bou Hamdane, de la représentante du ministre de l'Intérieur, Carole Haddad, de l'ancien ministre des Affaires sociales, Michel Moussa, et du recteur de l'université, le père René Chamussy.

Une faute qui incombe aux parents
Les enfants des rues souffrent de problèmes identitaires. Refusant l'appellation « d'enfants des rues » qui leur est donnée et qu'ils assimilent aux nomades, ils se considèrent comme des « fugueurs » et se disent victimes du démembrement violent de leur cellule familiale. Ils se voient aussi en tant « qu'itinérants robustes capables de résister aux épreuves de la vie des rues », ou en « êtres socialisés cherchant la vie dans des lieux communs d'échanges et de divertissements ».
Leur présence à la rue, ils la considèrent comme une « faute dont l'entière responsabilité revient à leurs parents ». Ils décrivent alors leurs familles de deux manières. D'une part, celles-ci sont caractérisées par la déchéance morale et sociale, par l'exploitation et l'inversion des rôles. D'autre part, elles offrent le modèle d'une vie sans toit, transmettant aux nouvelles générations leurs modes de vie.
Les enfants des rues ont pourtant des besoins qui concernent essentiellement l'avenir. Mais ils estiment que la société est indifférente à leurs besoins. Ils rêvent de sortir de la rue, de se libérer de l'appellation « d'enfants des rues », de vivre à l'abri des dangers. Ils voudraient aussi être pris en charge « dans une famille stable, auprès d'une mère aimante ». Ils souhaitent que « leur intégrité physique et sexuelle soit préservée ». Ils voudraient aussi être protégés et que leurs droits soient reconnus. Si les plus jeunes rêvent d'une bonne hygiène corporelle, d'un habitat décent, d'une scolarité régulière et de loisirs, les plus âgés aspirent à avoir une bonne réputation et un travail stable. Par ailleurs, selon les enfants de tous âges, « les papiers d'identité et la formation professionnelle sont les deux clés de leur intégration sociale ».
L'enquête a permis de mettre en évidence le fait que la perception qu'ont les enfants d'eux-mêmes est totalement différente de celle qu'ont d'eux les acteurs sociaux proches d'eux. Ces acteurs cherchent, de manière générale, « à identifier le réseau derrière les enfants des rues ». Ils considèrent ces enfants non seulement comme des « délinquants », mais comme un véritable « fléau ». Car ils estiment que les enfants des rues sont constitués d'étrangers clandestins, de nomades, de sans-papiers et de réfugiés. Ils estiment aussi que ces enfants sont « victimes de parents inutiles » dont le mode de vie naturel est dans la rue. Quant à la débrouillardise, la solidarité et le besoin de protection dont font preuve les enfants des rues, ils sont interprétés par les acteurs sociaux comme étant « un goût poussé pour les sensations fortes autodestructrices et dangereuses pour l'ordre public, comme les conduites dépendantes, la violence, la transgression et la contestation des lois et des valeurs ».

Personnel d'institutions non qualifié
Concernant la prise en charge des enfants des rues, l'enquête a permis de mettre en exergue les nombreuses failles des actions entreprises aussi bien par l'État que par les institutions s'occupant de ces enfants. Actions ponctuelles qui sont le résultat de l'absence d'une stratégie nationale à long terme et du manque de coordination entre les différents acteurs. Il faut dire que « la loi concernant la protection sociale et juridique de ces enfants n'est appliquée que de manière partielle ». « Le vagabondage et la mendicité n'étant pas des conditions suffisantes pour un placement » en institution, « seuls les enfants des rues signalés en situation de danger extrême ou en conflit avec la loi bénéficient d'une protection juridique et sont placés dans des institutions spécialisées, en attendant d'être récupérés par leurs parents ou rapatriés dans leur pays. » Il est également important de signaler que « la loi est floue par rapport à l'autorité parentale ».
Quant aux interventions publiques ou privées, aussi bien au niveau des institutions judiciaires que des institutions sociales, elles suivent un « modèle correctionnel qui préconise des mesures répressives ». Privés de liberté, obligés de se soumettre à des règles strictes, les enfants prennent la fuite, d'autant que ces institutions ne leur offrent aucun horizon et n'adoptent aucune politique de réinsertion sociale à long terme. L'étude signale aussi l'absence de qualification du personnel de ces institutions et les moyens financiers très limités dont elles disposent.
C'est sur la nécessité d'élaborer une politique sociale basée sur des stratégies de protection et de réhabilitation des enfants des rues qu'aboutit l'enquête, préconisant également la coordination entre les ministères et les acteurs de la société civile, les organisations internationales et la société civile. L'accent est également mis sur l'importance de mettre en place de nouvelles formes d'intervention auprès des enfants des rues et de renforcer les effectifs chargés de la protection des mineurs. Quant aux municipalités, elles devraient jouer un rôle actif dans l'identification des jeunes et dans la création à leur intention de centres de proximité.
Il reste à espérer que ces recommandations soient prises en compte et qu'une politique nationale voit progressivement le jour.
« J'ai peur de rester mendiant toute ma vie » : ce témoignage d'un jeune mendiant de 12 ans illustre la peur de l'avenir ressentie par les enfants des rues. Car les enfants des rues ont peur, nuit et jour, non seulement de l'avenir, mais du présent. Ils ont peur de ne pouvoir répondre aux attentes de la personne qui leur réclame des comptes,...
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