C’est un mariage forcé entre le Liban et Gaza qu’imposait en octobre 2024 le Hezbollah quand il ouvrait témérairement un front face à Israël, en soutien au Hamas palestinien. Retour de bâton : non moins forcée était la séparation de corps, commandée cette fois par l’implacable verdict des armes et les énormes pertes subies par la milice elle-même, comme par le pays tout entier. De cette improbable et ruineuse union ne reste plus désormais que la commune perspective d’un règlement – en aparté, chacun pour soi – de la lourde facture…
Depuis quelques jours, on attend de voir se concrétiser le projet américain d’une trêve de deux mois dans la bande de Gaza, dont Donald Trump doit débattre la semaine prochaine à Washington avec Benjamin Netanyahu. Le Hamas continuant d’exiger un cessez-le-feu permanent, les averses de feu et d’acier se poursuivent impitoyablement sur cet infortuné territoire, fauchant tous les jours des dizaines d’innocents civils. Au Liban où liquidations ciblées par drone et bombardements israéliens restent quasi quotidiens, c’est le dossier de l’arsenal du Hezbollah qui requiert (et acquiert !) une urgence nouvelle, Washington ayant jugé par trop précautionneuse l’approche officielle de la question. Pour mettre fermement sur rails le processus de désarmement, c’est un calendrier-programme en règle qu’était récemment venu réclamer l’émissaire de Trump en Syrie et au Liban, Tom Barrack, par ailleurs ambassadeur des États-Unis en Turquie. Celui-ci sera de retour à Beyrouth lundi prochain pour prendre acte de la réponse libanaise, laquelle consisterait à assortir chaque phase de l’opération d’un retrait des troupes israéliennes de l’une des postions qu’elles occupent au Liban-Sud. Comme à l’accoutumée, c’est le retors président de l’Assemblée, Nabih Berry, qui aura fait office de courroie de transmission entre ses alliés du Hezbollah et le pouvoir. Reste donc à espérer que nulle folklorique finasserie, nul malentendu ou prétendu tel ne viendront plomber ce singulier jeu de téléphone cassé où l’on voit la milice prolonger délibérément le suspense, comme pour bien signifier à tout un chacun que le dernier mot lui appartient.
L’heure n’est plus pourtant aux finasseries. Parlant de factures à régler, il faudrait des décennies entières au Hezbollah pour honorer, ne serait-ce qu’en partie, la titanesque dette qu’il doit au Liban. Et pas seulement en termes de vies humaines sacrifiées ou de destructions d’habitations et d’infrastructures, résultant de ses diverses équipées militaires : elles-mêmes menées sans l’assentiment de l’État et sur seul ordre de son parrain étranger, l’Iran. Les armes sont la parure de l’homme, se hasardait l’autre jour à lancer, avec une insupportable arrogance, un élu de ce parti ; or aucune parure au monde ne serait assez somptueuse pour orner de ses éclats la méthodique édification d’un État dans l’État et le recours au chantage armé, voire à l’usage de la force armée contre des adversaires politiques locaux.
Pas de taille à affronter l’énormité de la dette ? C’était à prévoir, allez. Mais qu’à tout le moins le parti pro-iranien se décide à rendre justice aux plus généreux, aux plus prodigues de ses créanciers : à cette communauté chiite libanaise qu’il s’est évertué à capter en sévissant contre les réfractaires ou les sceptiques, et qui est la première à payer, de ses vies, et de ses biens, une monumentale somme d’erreurs de calcul. Bien davantage que toutes les autres familles spirituelles libanaises, les chiites ont besoin de reconstruction ; celle-ci ne sera matériellement possible que grâce aux aides extérieures, lesquelles, à leur tour, attendent de voir le Liban s’engager résolument sur la voie d’une normalité retrouvée.
C’est cette même filière chiite et la nécessité d’impliquer cette communauté dans le processus de désarmement, d’obtenir son adhésion à la question, que vient d’ailleurs d’évoquer l’envoyé spécial Barrack dans une interview au New York Times. Une telle évidence, ce Libanais d’origine n’a pas manqué de la repérer de bien loin. Saura-t-on cependant y voir aussi clair de tout près ?