Dans ce siècle éclaté, le Liban est tourmenté à l’intérieur et surtout à l’extérieur. Il essaie tel un funambule marchant sur une corde tendue et ne voyant pas un filet de secours. Notre monde balance entre le mal et le pire par les soins de dirigeants avec des personnalités hautement conflictuelles (narcissique, paranoïaque, antisociale…). Ces personnalités sont des structures complexes façonnées par des facteurs socio-éducationnels et des prédispositions individuelles. Il y a une interpénétration de la culture et de la nature chez toute personne. Cela nous entraîne à nous demander sur l’identité nationale libanaise. Comme dans toute collectivité, il y a différents groupes qui pensent de façons opposées. Malgré le lien familial, la communauté religieuse et le lien culturel, il persiste des visions, des croyances contradictoires. Pour construire une entité nationale, il faut l’existence d’un faisceau de valeurs partagées et admises auxquelles adhère la majorité des citoyens. Que font les Libanais ? Quand on parle de cohabitation ou le principe du vivre-ensemble, est ce qu’ils font semblant ou sont-ils menteurs tout simplement.
Sur ce tableau, Freud devait dire : « Ce que les gens me cachent est plus important que ce qu’il veulent bien me dire. » Ce qui domine l’ambiance du pays est une balkanisation des esprits. Une situation internationale apocalyptique ne fait que compliquer l’instabilité intérieure. Des responsables dans le monde qui propagent des visions radicales font miroiter à leur peuple une société de fiction avec un cumul de principes, mais sans valeurs et sans éthique. Les citoyens se laissent entraîner et s’engouffrent dans une triste misère en espérant le meilleur. Ils sont dans le déni de leur tragédie. Le Libanais de nature enjouée, plutôt insouciante, se nourrit de mythe, de réputation de débrouillardise et de savoir-faire inné. Le peuple libanais se contente d’un bonheur individuel, tout en ignorant le malheur collectif.
Mais la déception n’est pas loin face au vécu et surtout face à la défaillance des responsables. Le peuple est en défiance face aux politiques. Le pays est mal mené. Ni la famille ne fait lien ni les religions ne peuvent rassembler. Comment donner de l’espoir aux jeunes pour bâtir leurs rêves. Comment peut-on aspirer à une philosophie humaniste et un lien républicain ? C’est une pénurie de talent, de créateurs et de bâtisseurs. Nous sommes face à un avenir sans espoir. Face à un État ingouvernable, les responsables politiques se blanchissent la réputation. Ils proposent des projets utopiques qu’ils savent qu’ils sont incapables d’appliquer. Ils déclarent ne pas couvrir tel ou tel coupable. Mais qui les croit. Le peuple sait que certains responsables sont à l’origine de la corruption. Ils sont la corruption même. Ils se drapent de confessionnalisme pour maintenir leur pouvoir. Le Liban est englué dans les doctrines radicales, dans l’intégrisme et le fondamentalisme religieux. On est dans la rigidité des passions et le radicalisme des convictions. Les politiques profiteurs savent que la thèse extrémiste attire plus le peuple que le bon sens. On vit une période de doute sur la démocratie libérale, une période sans perspectives pour un lendemain meilleur. Que font les penseurs de la liberté, les intellectuels éclairés, les philosophes des grands principes pour éclairer les voies d’avenir. Les politiques sont dans l’attente et appliquent la politique de ne rien faire, et surtout le laisser-faire. Qui fera les réformes ? Qui fera la paix ? Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas que c’est difficile. De l’extérieur on nous dit : nous ferons la paix chez vous, pour vous et sans vous. Les responsables ne se décident pas librement ou volontairement. On sait qu’il n’y a pas de vents favorables pour ceux qui ne savent pas où aller. Certains se demandent s’il y a un pilote dans l’avion. On laboure sans semer et on s’étonne qu’il n’y ait pas de récolte à la fin. Il y a beaucoup de promesses, de déclarations mais pas d’action ou d’application.
Nos penseurs doivent le dire et l’exprimer clairement pour libérer le pays. Ils doivent alerter les pays arabes, les décideurs internationaux pour retrouver une paix équitable au Liban et dénoncer la souffrance des Palestiniens. Notre équipe au pouvoir qui se démène doit doubler d’effort et travailler à appliquer la constitution. Les grands principes sont clairs, appliquons-les, sinon discutons d’un nouveau modèle de République, un nouveau consensus politique. Évitons la déroute et édifions une République possible pour rattraper la révolution technologique, échapper à l’obscurantisme avec un nouveau pacte national et de nouveaux responsables.
Adel AKL
Psychiatre,
psychanalyste
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