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Un conflit deux fois monstre


En juin 1967, il suffisait de six jours à Israël pour terrasser non moins de trois armées arabes. Vendredi dernier, l’État hébreu recourait une fois de plus à l’avantage que procure le primordial facteur de surprise, mais c’est à morceau nettement plus gros qu’il s’attaquait.

Israël a indiscutablement pour lui la maîtrise des airs, face à une aviation iranienne manquant de pièces détachées et une défense antiaérienne peu performante ; il dispose, de surcroît, d’une écrasante supériorité en matière de renseignement, d’infiltration et d’attentats ciblés, tous actifs sur place. En revanche, et bien qu’affaiblie ces derniers mois par une série de graves revers, la République islamique, barricadée dans son immense territoire qui lui permet d’éparpiller ses sites névralgiques, mise sur son arsenal de fusées balistiques. Car il s’avère qu’à la différence des illusoires feux d’artifice tirés en défense de Gaza ou du Liban, ces engins sont capables de faire mouche à tous les coups, pourvu seulement qu’il aient, en vertu de la loi du nombre, réussi à percer le fameux Dôme de fer montant la garde au-dessus Israël.

Parlant de ce métal, ce n’est donc pas tout à fait un pot de terre et un autre de fer que l’on voit se heurter en ce moment, car dans les deux camps, les jointures de l’armure et même le talon pourraient s’avérer d’argile. Le défaut de la cuirasse, pour l’Iran, serait l’assèchement de son stock de missiles, suite aux bombardements incessants visant ses usines de production, entrepôts de stockage et rampes de lancement. Pour Israël, ce serait un coût exorbitant, sans précédent, en termes de destructions et de pertes civiles. Pour la première fois sans doute, la doctrine Dahié, érigée en dogme par l’état-major de Tsahal (et qui consiste à recourir à un usage disproportionné de la force contre des espaces à forte densité de population), fait un magistral pied de nez à ses propres auteurs. Et même si Israël assure à ses citoyens suffisamment d’abris souterrains, le spectacle des quartiers éventrés de Bat Yam, à la lisière de Tel-Aviv, n’a rien à envier à celui de la banlieue sud de Beyrouth, celle-là même qui a donné son nom à une telle barbarie. Tout cela pour dire qu’à défaut d’une guerre éclair, c’est un concours d’endurance, mené tambour battant, qui semble s’annoncer, à moins que…

… À moins que ne survienne quelque développement absolument, imparablement décisif sur le terrain, ou alors une percée diplomatique de dernière heure. Or l’une et l’autre de ces éventualités sont du ressort quasiment exclusif de l’Amérique. Elle seule en effet détient, avec la bombe à grande pénétration GBU-57, le moyen d’annihiler les installations nucléaires iraniennes enfouies à une centaine de mètres sous terre. Et seule elle est capable, le cas échéant, de modérer les ardeurs de Benjamin Netanyahu. C’est là cependant que l’on bute sur cette véritable énigme à tiroirs qu’est un Donald Trump s’évertuant à lancer à tous azimuts les signaux les plus contradictoires.

En l’espace de quelques jours, de quelques heures parfois, on aura vu l’homme le plus puissant du monde passer d’un extrême à l’autre, allant renier jusqu’à sa propre prétention à incarner l’art de la négociation. La dernière version de Trump à l’heure où sont écrites ces lignes est celle d’un homme qui reprend à son compte l’appel israélien aux habitants de Téhéran les pressant de fuir leur capitale ; qui n’est plus spécialement d’humeur à discuter avec l’Iran mais qui n’a pas encore enterré la solution diplomatique ; qui se fiche éperdument de l’avis de sa propre directrice en chef des renseignements US Tulsi Gabbard, laquelle avait exclu toute possibilité pour l’Iran de se doter d’une arme atomique avant des années ; et qui va enfin jusqu’à décocher au président français, coupable d’avoir évoqué un possible cessez-le-feu, cette assassine sentence : Emmanuel est un chic type mais il ne comprend jamais rien.

Toujours est-il que pour suivre en direct le cours des opérations dans sa salle de crise à la Maison-Blanche, le président américain a déserté avant l’heure le sommet du G7 qui se tenait au Canada, et qui s’est tout de même prononcé pour la désescalade. La déclaration commune des nations industrialisées ne manque pas d’affirmer le droit d’Israël à se défendre alors que c’est lui qui a attaqué l’Iran. Le texte fait en outre de Téhéran la principale source d’instabilité et de terrorisme dans la région. La principale source, on ne chicanera pas trop là-dessus, mais certes pas la seule. Tout compte fait, la confrontation oppose deux monstres froids qui portent chacun sa part de responsabilité dans les sanglantes secousses que connaît notre partie du monde : ici une théocratie moyenâgeuse acharnée à exporter son idéologie, et là un État en proie à ses délires bibliques d’hégémonie, gouverné par un homme qui ne trouve d’autre chance de survie politique que dans la guerre.

Le Liban est funestement bien placé pour témoigner de cette double malédiction.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

En juin 1967, il suffisait de six jours à Israël pour terrasser non moins de trois armées arabes. Vendredi dernier, l’État hébreu recourait une fois de plus à l’avantage que procure le primordial facteur de surprise, mais c’est à morceau nettement plus gros qu’il s’attaquait.Israël a indiscutablement pour lui la maîtrise des airs, face à une aviation iranienne manquant de pièces détachées et une défense antiaérienne peu performante ; il dispose, de surcroît, d’une écrasante supériorité en matière de renseignement, d’infiltration et d’attentats ciblés, tous actifs sur place. En revanche, et bien qu’affaiblie ces derniers mois par une série de graves revers, la République islamique, barricadée dans son immense territoire qui lui permet d’éparpiller ses sites névralgiques, mise sur son arsenal...