Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Et on continue à se dire « normal »...

Je me suis rendu compte de l’immensité des choses qu’on a pu endurer au Liban seulement après l’avoir quitté. Lorsque j’étais plongée dedans, tout ce que je me disais, c’est que tout était « normal ». Ça faisait partie de la vie. De ma vie.

Des assassinats de temps en temps… Des voitures piégées… On les a entendues avec mes potes, quand on était assis sur les bancs de l’école surplombant la mer, les montagnes, mais aussi Beyrouth… Mais normal. Ce n’est rien. C’est peut-être un franchissement du mur du son, les Israéliens qui nous rendent une visite, comme d’habitude…

Une crise des déchets ? Normal. On trouvera bien une benne loin de notre quartier pour éviter d’empiler nos ordures sur la montagne de déchets déjà présente autour de notre immeuble…

Des coupures d’électricité à n’en plus finir ? Ça va, normal… On peut allumer des bougies, comme ça, on se rappelle comment ils vivaient « à l’ancienne »…

La politisation dans mon université, où l’on t’oblige à choisir un camp, un parti politique corrompu, dès l’âge de 18 ans… C’est tout à fait normal. On a qu’ à voter pour les indépendants et faire comme si de rien n’était…

Une crise financière, un blocage total des épargnes d’une mère, d’un père, d’une famille... Normal. Ils travailleront jusqu’à la fin de leur vie, la retraite, pas besoin !

Des guerres consécutives ? Normal. En tout cas, ça ne nous touchera jamais… Le pont de Maamaltein, près de chez nous, est bombardé… Mais t’inquiète, on pourra peut-être passer par les montagnes…

Des bombes, des destructions… Pendant la célébration de ma première communion entre famille et amis… Normal. L’important, c’est que tu peux enfin goûter l’hostie !

Des régimes corrompus au pouvoir ? Normal. On ferme les yeux… Ça va le faire…

Une explosion apocalyptique, voir sa capitale réduite en cendres ? Normal. On reconstruira pour la millième fois, aux côtés des milliers de bénévoles libanais descendus dans les rues de Beyrouth pour remplacer l’État absent…

Mais tout ça… Toute cette normalité, toute cette minimisation qu’on a créée pour alléger nos esprits, pour tenter de vivre des vies « normales »… Toute cette « résilience »… est-ce vraiment un choix ?

Ça part où, tout ça, dans le corps d’un(e) Libanais(e) ?

L’anxiété, la peur, le stress, la colère, l’incertitude, le sentiment de rejet ressenti par un peuple envers un État qui a refusé d’assumer ses responsabilités…

Tout ça, ça part où ?

Qui va briser ces cycles de traumatismes intergénérationnels ?

Est-ce que ce sont les partis politiques qui vont nous aider à guérir ? Non.

C’est toujours nous, le peuple – malgré nous –, qui portons ce fardeau.

Le fardeau d’avoir vécu dans un pays si beau… Mais détruit jusque dans ses fondations.

Avec l’espoir que cette nouvelle ère, ce nouveau Liban nous redonne la vraie sensation de la « normalité ».


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Je me suis rendu compte de l’immensité des choses qu’on a pu endurer au Liban seulement après l’avoir quitté. Lorsque j’étais plongée dedans, tout ce que je me disais, c’est que tout était « normal ». Ça faisait partie de la vie. De ma vie. Des assassinats de temps en temps… Des voitures piégées… On les a entendues avec mes potes, quand on était assis sur les bancs de l’école surplombant la mer, les montagnes, mais aussi Beyrouth… Mais normal. Ce n’est rien. C’est peut-être un franchissement du mur du son, les Israéliens qui nous rendent une visite, comme d’habitude… Une crise des déchets ? Normal. On trouvera bien une benne loin de notre quartier pour éviter d’empiler nos ordures sur la montagne de déchets déjà présente autour de notre immeuble… Des coupures d’électricité...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut