Encore une plainte. Cette fois, contre Marhaba Dawlé, une émission satirique qui, avec l’humour comme arme douce, ose regarder l’État et ses absurdités en face. Et voilà que les autorités religieuses, chrétiennes comme musulmanes, crient au blasphème. Rien de nouveau, sinon que cette fois, c’est l’époque elle-même qui s’étrangle.
Combien de temps allons-nous encore prétendre vivre au XXIe siècle tout en pensant comme au XIIIe ?
Le Moyen Âge est un temps révolu : le leur, le nôtre, tous. Celui de l’Europe inquisitrice, celui des califats doctrinaires, celui des empires d’Asie qui condamnaient pour hérésie. Partout, le même fantasme : museler la pensée pour préserver l’ordre. Mais l’ordre de qui ? De quoi ? Certainement pas celui de l’homme pensant, axiome oublié de toutes les religions que certains, avec une constance admirable, s’appliquent à piétiner.
Car oui, l’homme est libre. C’est là le postulat de toute foi digne de ce nom. Libre de douter, de croire, de se tromper, de chercher, de créer. Libre de parler. Libre même de dire ce que d’autres préfèrent taire. Toute religion qui nie cette liberté devient non pas une spiritualité, mais une prison.
Le Moyen Âge a sa place dans les livres d’histoire. Et pourtant, ici, nous semblons y rester accrochés, comme à un manteau d’ombre devenu confortable. On dénonce une blague comme on dénonçait une hérésie.
Mais l’absurdité est ailleurs. Elle est dans cette prétention des hommes à protéger Dieu. Comme si Dieu pouvait être offensé par un sketch. Comme si l’immense pouvait être ébranlé par le minuscule. Il faut avoir bien peu de foi, en réalité, pour croire que l’humour menace le sacré.
Car les religions, dans leur essence, sont du côté de l’humain. Elles naissent de ses questions, de ses vertiges, de sa soif d’infini. Et si elles doivent continuer à être une nécessité, elles doivent aussi répondre à l’évolution de la pensée humaine. C’est ce que le pape François, tout au long de son pontificat, a tenté de rappeler : une foi qui dialogue, qui écoute, qui évolue. Une foi qui ne se ferme pas dès qu’on allume une caméra.
Certains espèrent que cette lumière-là continue de briller, malgré les résistances, malgré les crispations de ceux qui confondent autorité spirituelle et pouvoir sur les esprits.
Et puis, il y a le Liban. Ce pays brisé, mais debout. Ce pays qui espère encore se relever. Mais aucune reconstruction ne sera possible sans reconstruction de la pensée. On ne rebâtit pas une nation à coups de censures. On ne redonne pas espoir à un peuple en lui ôtant ses mots. Le Liban ne pourra renaître que s’il accepte que la liberté d’expression n’est pas une menace mais une promesse.
Alors oui, il est temps de sortir du Moyen Âge. De croire de nouveau en l’intelligence. En l’humour. En la liberté. Et peut-être, en Dieu – le vrai, le libre, le bienveillant.
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22 h 06, le 17 mai 2025