
La cinéaste et activiste iranienne Sepideh Farsi devant un portrait de la photographe palestinienne Fatima Hassouna, lors d'une séance photo à Paris, le 5 mai 2025. Joel Saget/AFP
Gaza, sa prison, est devenue son tombeau : le Festival de Cannes a rendu hommage jeudi à Fatima Hassouna, photographe gazaouie de 25 ans tuée par un missile israélien le 16 avril, au lendemain de la sélection du documentaire que la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi lui a consacré.
Le missile, qui a réduit sa maison en poussière, a tué toute sa famille avec elle, à l'exception de sa mère. La veille, Fatima Hassouna avait appris que « Put your soul on your hand and walk » (Mets ton âme sur ta main et marche) était sélectionné à l'Acid, une section parallèle du festival, où elle rêvait de se rendre. « Elle m'a beaucoup donné, elle nous a beaucoup donné. Elle disait “Ma caméra est une arme”, elle disait “Je voudrais une mort bruyante, éclatante, je ne veux pas être un chiffre à la dernière page d'un journal” », a témoigné Sepideh Farsi lors de la première du film, devant une salle très émue.
« Elle n'est pas là mais elle est là quand même, ils n'ont pas pu la vaincre », a ajouté la réalisatrice, à côté d'un grand portrait de Fatima Hassouna riant aux éclats, le poing levé. « Ces gens-là, ils ont un nom, ce sont des Palestiniens, il faut leur donner un visage, des histoires », a-t-elle plaidé, invitant le public à aller voir les photos de Fatima Hassouna, exposées à Cannes jusqu'à la fin du festival, qui documentent la guerre à Gaza.
Quelques heures plus tôt, le Britannique Ken Loach, double Palme d'or à Cannes, a appelé sur X à « honorer cette jeune femme courageuse, ainsi que ses collègues journalistes palestiniens (...) qui ont donné leur vie pour témoigner du massacre de masse » à Gaza et à mettre fin aux « crimes de guerre » et au « génocide ».
Mardi déjà, à l'ouverture du festival, plus de 380 artistes et stars du 7e art, dont Pedro Almodóvar, Susan Sarandon et Richard Gere, exhortaient, dans une tribune, à « ne pas rester silencieux.se.s tandis qu'un génocide est en cours ». Plusieurs ONG internationales, dont Amnesty International et Human Rights Watch, affirment qu'Israël a commis des actes de « génocide » à Gaza, une accusation rejetée par l'État israélien qui dénonce des « mensonges sans fondement ».
« Son sourire est là »
Lors de la cérémonie d'ouverture du Festival de Cannes mardi, la présidente du jury Juliette Binoche a également rendu hommage à la photojournaliste palestinienne : « Fatima aurait dû être parmi nous ce soir. L'art reste », a lancé l'actrice. « Son sourire traverse le film. Son regard, ses yeux verts qui changent de couleur selon la lumière... Tous ces moments, heureusement, sont filmés et seront là à jamais », a souligné Sepideh Farsi dans une interview à l'AFP. Réfugiée politique en France, la cinéaste de 60 ans a par le passé filmé clandestinement, au portable, un documentaire en Iran. La réalisatrice ne pouvait pas tourner à Gaza, interdit à la presse internationale par Israël. Elle a donc noué un lien à distance, par visio, avec la photographe qui postait ses clichés sur les réseaux sociaux.
Le film retrace un an d'échanges au cours desquels Fatima Hassouna décrit son enfermement. « Le grand monde est là et, Gaza, c'est l'antichambre, c'est une petite boîte et on est dedans. Je sais que le monde est là, mais je n'ai jamais pu y aller. J'aimerais sortir après la guerre, faire le tour du monde, mais rentrer après », expliquait la jeune femme à la réalisatrice. « Elle me disait : “Aucun endroit n'est sûr à Gaza, de toutes façons, et moi je ne peux pas quitter Gaza. Mon Gaza a besoin de moi” », ajoute la cinéaste iranienne. « J'ai des heures de rushs, il n'y a jamais eu une parole teintée de vengeance ou de haine. De résistance et de résilience, oui, ça c'était présent chez elle. »