
Maya Hamadé. DR
Portés par une conscience aiguisée et un désir de changement, les jeunes Libanais prennent la parole. Entre lucidité, engagement et déceptions, une génération se dresse, bien décidée à faire entendre sa voix. Tous n’ont pas encore l’âge de voter, mais ils observent, analysent, débattent et, surtout, espèrent.
Dans un pays secoué par des crises successives, et désormais pris dans une guerre qui dure, ces étudiants racontent avec leurs propres mots ce que signifient pour eux les élections municipales et législatives. Pour eux, s’intéresser à la politique n’est plus une option : c’est une nécessité.
À 20 ans, Christia Slim, étudiante en 3e année de traduction à l’Université Saint- Joseph (USJ), observe la politique avec attention. Bien qu’elle ne puisse pas encore voter, elle perçoit l’urgence de comprendre. Depuis les bouleversements au Liban, elle, comme beaucoup de jeunes, ressent un besoin profond de comprendre les rouages du pouvoir. « On vit ici. On ne peut plus rester indifférents. »

Autour d’elle, beaucoup ne votent pas. « C’est dommage, confie-t-elle, parce que chaque voix compte. Voter, c’est faire entendre son opinion. » Mais elle comprend aussi le découragement. « Certains ont perdu espoir, se disant que leur vote ne changera rien. C’est compréhensible. » La jeune étudiante, elle, mise sur la jeunesse. « C’est notre voix qui doit compter. À nous, la nouvelle génération, d’apporter une brise de fraîcheur. »
Une fraîcheur déjà bien présente à Kfardebian, où Joseph Akiki, 21 ans, étudiant en 4e année de médecine à l’USJ, a vécu une mobilisation électorale sans précédent. Issu d’une famille engagée, il a vu naître un élan porté par une nouvelle génération de candidats. Ce qui l’a marqué : l’enthousiasme des jeunes, avides de comprendre le processus électoral. Certes, tous ne sont pas allés voter. Il en connaît qui vivent désormais à l’étranger, ou qui ne se sentent pas concernés, souvent parce qu’ils viennent de familles éloignées de la politique. « Mais ils sont minoritaires, estime-t-il. Le vrai message, c’est que notre pays avance. La preuve, ce sont ces élections et cette mobilisation. »
Mais tous ne partagent pas le même optimisme. Hassan, étudiant en informatique à l’Université libano-américaine (LAU), originaire de Houla, un village du Sud, confie : « J’aurais peut-être voté blanc, simplement pour vivre l’expérience. » Le jeune homme, qui souhaite rester anonyme, observe « une politique inefficace », figée dans un clivage stérile. Marqué par la guerre récente et la perte de sa maison, il doute du pouvoir de changement local. « Peu importe qui arrive au pouvoir, j’ai l’impression qu’il ne peut pas, ou ne veut pas, changer les choses. Au Liban, le pouvoir ne tire pas sa légitimité de ce qu’il offre en services, mais plutôt de la peur de l’autre, de positions politiques ou confessionnelles. »

Pourtant, il croit en sa génération. « On n’a plus la même peur de l’autre. Notre manière de penser peut changer les choses. »
Cet espoir traverse aussi le témoignage de Ravecca Fahed, 19 ans, étudiante en 2e année de journalisme à l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK). Elle s’intéresse à la politique quand elle touche au quotidien. « Les municipales, c’est du développement. Pour rêver d’un Liban meilleur, il faut commencer petit », estime-t-elle.
Elle n’a pas encore l’âge requis pour voter, mais elle aurait participé si elle avait pu. À Zeitoun-Ftouh, dans le Kesrouan, elle a vu émerger de jeunes candidats instruits. « Même le président précédent était très âgé. Avec Joseph Aoun, plus jeune, on sent un déclic. » Elle observe un regain d’intérêt chez les jeunes. « On avait perdu espoir. Maintenant, on veut que ça change. Et cela commence par voter. » Autour d’elle, Ravecca observe un changement d’attitude : tous ses amis sont allés voter.
Toni Haddad, 20 ans, étudiant en 2e année de journalisme à l’USEK, partage cette même foi dans le pouvoir du vote. Grâce à ses études, il suit de près le processus électoral, à travers des reportages et des échanges avec des observateurs. Malgré les irrégularités, il constate des progrès. « Moins d’intimidation, plus de recours légaux. » Trop jeune pour voter, il affirme qu’il aurait sauté sur l’occasion. « Chaque citoyen doit voter », affirme-t-il. Il note avec fierté l’implication croissante des jeunes : « Beaucoup se sont présentés, et on parle enfin de nos préoccupations. »

Une nouvelle génération, porteuse d’espoir
À l’étranger, Chadi Kotaiche, étudiant en première année de droit à l’université Paris Nanterre, dénonce une politique paralysée et des élections souvent jouées d’avance. Cette année, dans son village, à Houla, une seule liste commune (Hezbollah, Amal, communistes) s’est présentée, faute de moyens.

Chadi suit aussi d’autres scrutins et, pour lui, le changement reste lointain. « L’État est paralysé, donc les municipalités aussi. » Il dénonce les manœuvres politiques : votes achetés, élections instrumentalisées. Et pourtant, Chadi croit encore à la puissance du vote des jeunes. « La voix des jeunes peut vraiment avoir un impact. Mais pour cela, il faut changer la manière dont se déroulent les élections, et surtout proposer de nouvelles listes, avec de nouveaux visages. Il faut sortir des dynasties politiques traditionnelles. »
Maya Hamadé, 21 ans, actuellement à Doha pour ses études en master en journalisme, a vu dès 2016 dans son village de Gharifé, au Chouf, l’impact de l’absence d’une municipalité. « Il y avait des désaccords sur la répartition des sièges en 2016, sur la manière de structurer la municipalité. Finalement, il n’y a pas eu d’accord, donc pas de municipalité », explique-t-elle. « Les ordures s’accumulaient, personne ne gérait rien », raconte-t-elle. Cette expérience, combinée à son engagement académique et familial, a forgé sa conscience politique. Si elle était au Liban, elle aurait voté sans hésiter. Pour elle, « notre génération a des choses à dire », et les récentes élections montrent que des changements sont possibles.

Au-delà des urnes, ces jeunes portent une conscience politique neuve, nourrie d’expérience, d’observation et de volonté. Tous ne partagent pas la même foi dans les institutions, mais ils s’accordent sur un point : sans la jeunesse, rien ne changera. À travers leurs récits, c’est une nouvelle page qui s’écrit, celle d’une génération qui refuse le silence et choisit d’agir, pas à pas, pour reconstruire le pays.
Neuf ans après les dernières élections municipales, sans cesse repoussées pour mille raisons, ces étudiants sont unanimes : il était temps. Temps d’organiser enfin ces élections. Temps d’avancer. Temps de changer la donne. Temps de laisser place à une nouvelle génération, porteuse d’espoir pour un Liban meilleur.
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