
La foule rassemblée devant le Sérail de Tripoli, le 12 mai 2025. Photo fournie par Michel Hallak
Le ministre de l’Intérieur Ahmad Hajjar s’est rendu mardi au palais de justice de Tripoli pour la deuxième fois en moins de 24 heures, afin de suivre de près les opérations de dépouillement et la publication des résultats des élections municipales et des moukhtars, qui se sont tenues dimanche, dans un climat de tension lundi soir et de soupçons de fraude. Il a affirmé avoir « confiance dans les résultats qui seront publiés par les commissions de comptage des voix », tout en rappelant que son ministère « ne possède pas la compétence d’annuler les élections », alors que l’Association libanaise pour la démocratie des élections (LADE) a appelé à leur réorganisation.
« Le ministère de l’Intérieur ne possède pas la compétence pour annuler les élections. La décision concernant la validité du processus électoral ou son annulation relève du pouvoir judiciaire compétent et du Conseil d’État, qui est l’instance habilitée à statuer sur la validité de tout recours ou plainte juridique liée au processus électoral », a précisé M. Hajjar depuis le palais de justice de la grande ville du Nord. Il a également indiqué que les résultats des élections des moukhtars étaient entièrement finalisés et qu’ils seraient annoncés prochainement. Ce qui a en effet été fait en soirée. « Ces résultats sont fiables et livrés par les commissions de comptage, selon un mécanisme précis en trois étapes, ce qui reflète la transparence et l’intégrité du processus », a assuré le ministre.
Concernant les élections municipales, il a reconnu que « le processus de dépouillement a pris beaucoup de temps », mais il y voit « un aspect positif, lié à la précision du travail accompli par les commissions ». Il a précisé que « certains candidats et délégués de listes ont formulé des remarques et des objections, aussitôt traitées par les commissions qui ont parfois procédé à un recomptage ou au dépouillement complet de certaines urnes dans les cas de doutes ou d’erreurs ».
M. Hajjar a aussi admis que « le premier dépouillement dans les bureaux de vote a pu connaître quelques confusions dues à un manque de formation ou à une mauvaise interprétation de certains bulletins », tout en soulignant que « ces remarques sont ensuite examinées dans la deuxième phase par des commissions présidées par des juges ». Il a salué à ce titre « les juges et les employés qui travaillent au sein des commissions 24 heures sur 24 pour terminer les opérations de dépouillement avec la plus grande précision et transparence ». Et d'ajouter : « Nous faisons confiance aux résultats qui seront publiés par ces commissions. »
Le ministre a également assuré que « le ministère a suivi toutes les plaintes reçues, qu’elles soient administratives ou liées à des soupçons d’infractions, et que des dossiers ont été transmis au parquet de cassation et à l’Inspection centrale, pour que les mesures appropriées soient prises ». « Le retard dans certaines procédures ne signifie pas nécessairement qu’il y a un dysfonctionnement systémique. Il est dans la plupart des cas dû à des circonstances techniques et logistiques, qui ont été traitées en temps voulu », a-t-il ajouté.
Plaintes en série
De son côté, la LADE a demandé que les élections municipales et des moukhtars à Tripoli soient annulées, notant que deux jours après la clôture du scrutin de dimanche, les résultats officiels n'ont pas encore été publiés. L’association a également dénoncé « de multiples plaintes faisant état de graves irrégularités apparues pendant les opérations de dépouillement, lesquelles ont nécessité un recomptage des bulletins de plusieurs urnes ». Elle affirme que « cela soulève de sérieux doutes sur la régularité et l’intégrité du processus électoral », et estime que « le processus électoral à Tripoli ne répond plus aux critères d’élections libres et équitables, ce qui justifie une annulation du scrutin dans la ville ».
L’association a aussi indiqué qu’avant même le jour du vote, des autorisations avaient été refusées aux délégués de certaines listes, les empêchant ainsi de suivre le déroulement du scrutin et de surveiller les opérations de dépouillement dans les bureaux. Elle y voit « une violation claire du principe de transparence et d’égalité des chances ».
Tripoli a connu un week-end tumultueux à l’occasion des municipales au Liban-Nord, et une soirée particulièrement tendue lundi, marquée par un rassemblement de manifestants devant le Sérail pour dénoncer la lenteur du dépouillement. Le calme est toutefois revenu progressivement mardi dans la grande ville du Nord, rapporte notre correspondant Michel Hallak. Les commerces ont rouvert, les cours ont repris dans les écoles et les universités, les administrations et entreprises ont repris le travail, et la circulation est revenue à la normale dans les rues de Tripoli.
Lundi, M. Hajjar avait appelé les habitants de la ville à « faire preuve de patience », assurant que « tout fonctionnaire ayant commis une erreur sera tenu pour responsable ». Il a insisté sur « la transparence du scrutin », affirmant qu’« aucun bulletin n’a été falsifié » et que « tous les bulletins ont été pris en compte tels qu’ils ont été déposés dans les urnes ». Pour sa part, le ministre de la Justice qui s'est également rendu à Tripoli, a souligné « la transparence du processus électoral » et remercié le ministère de l’Intérieur pour les efforts déployés. Le bureau de presse du Premier ministre a fait savoir que Nawaf Salam suivait de près la situation à Tripoli et insistait sur « la garantie de l’intégrité du processus électoral et la prévention de toute infraction ».
Un important dispositif de sécurité avait été déployé lundi, mobilisant l’armée et les forces de l’ordre. Toutes les routes menant à la place al-Nour, adjacente au Sérail, avaient été fermées à la circulation.
Le deuxième dimanche électoral, qui avait lieu au Liban-Nord et dans le Akkar, ne s'était pas déroulé sans heurts : 675 plaintes et réclamations ont été enregistrées, parmi lesquelles 143 incidents sécuritaires et près de 120 altercations et bagarres qui ont perturbé le processus, selon un bilan communiqué lundi par le ministre de l'Intérieur. La LADE a publié le même jour son troisième rapport pour les municipales 2025, déplorant des « violations généralisées qui se répètent dans un climat de chaos ».
Le ministère de l'Intérieur a par ailleurs annoncé mardi avoir publié sur son site Internet les résultats définitifs des élections à Menniyé-Denniyé et au Akkar. Les commissions de décompte des voix avaient achevé peu après minuit mardi le comptage des votes dans le Akkar, qui ont été validés et remis au mohafez du Akkar, Imad Labaki, rapportait notre correspondant dans la région. Lundi, le ministère avait publié ceux des cazas de Bécharré, de Batroun, de Zghorta et du Koura. Dimanche prochain, ce sera au tour des électeurs de Beyrouth et de la Békaa de se rendre aux urnes, suivis le samedi 24 mai de ceux du Liban-Sud.