Monsieur le Président Joseph Aoun,
Monsieur le Premier ministre Nawaf Salam,
Depuis bien longtemps, le
Liban-Sud est le parent pauvre de la distribution des richesses de notre pays. Il subit simultanément les dures conséquences d’une situation géographique à risque sécuritaire quasi permanent depuis de nombreuses décennies, du fait de son voisin immédiat ; d’une période d’occupation ennemie particulièrement meurtrière dont le souvenir rémanent pollue nos mémoires ; d’une économie essentiellement agricole alors que le reste du pays continue de bénéficier d’une attractivité touristique liée à la manne abondante de notre diaspora ; de l’ostracisation de sa population méprisée par le monde entier et par les autorités successives du pays.
Désormais, avec la nouvelle équipe que vous avez formée, nous devons saisir l’occasion de réparer cette injustice.
Vous le savez, de nombreux villages ont été complètement rasés par notre voisin, et votre gouvernement s’apprête à lancer un ambitieux programme de reconstruction, depuis les infrastructures jusqu’aux superstructures des bâtiments.
Nous vous demandons instamment d’y inclure d’urgence une profonde réflexion sur les enjeux de notre siècle en matière de développement durable, de changement climatique, d’économie d’énergie, de résilience… Il serait dommage de ne pas prendre le train en marche, voire devancer les normes que d’autres ne manqueront pas de nous imposer une fois de plus, à tort et à travers, sans concertation véritable, sans cohérence et donc sans aucun effet positif.
Nous avons la chance de pouvoir convoquer sur notre terre une histoire riche que d’autres s’acharnent encore à enfouir dans des conflits d’intérêts sans fin. Notre région est dotée d’une architecture singulière, avec ses maisons traditionnelles, ses palais, une ruralité exceptionnelle à l’accueil chaleureux dans un environnement naturel particulièrement généreux. Nous devons à tout prix préserver nos ressources naturelles et éviter de nous précipiter dans une modernisation à contre-courant de l’intérêt profond de notre pays.
L’anarchie qui prédominait sur une grande partie du territoire, encore récemment, ne pouvait qu’étouffer les meilleures aspirations comme les ambitions les plus nobles dans des régions déjà défavorisées.
Elle s’est encore distinguée dans nos villages, privés de toute promotion socio-économique ou culturelle, sans soutien national. Nous avons beaucoup de retard dans de nombreux domaines.
Des propriétés, des exploitations sont à l’abandon. La région se paupérise depuis des décennies du fait de la guerre continuelle et de l’émigration vers des contrées plus prospères. Sans descendance, certains propriétaires rompent ce lien du sol.
Votre réponse à cet état de fait est le vote d’une loi organique qui nous donne les moyens de faire de chaque village un petit Beyrouth tout en sauvegardant l’esprit des villages et en assurant un patrimoine convenable aux anciens propriétaires trop souvent spoliés.
Il serait à notre avis pertinent de faire établir et voter un second texte pour l’institution d’un organisme de logements sociaux locatifs à destination des plus fragiles.
Pour cela, il faut urgemment mettre en place une commission d’experts chargés d’enquêter, d’analyser, de rapporter, de réfléchir et d’étudier les modalités de réalisation d’un « nouvel acte de construire » imposant de concevoir un cahier des charges général déclinable en aménagements sur mesure, adaptés aux particularités et à l’histoire de chaque collectivité, à savoir :
• Un corps de juristes pour produire les textes, anticiper les problématiques de propriété et de transmission et les régler.
• Un corps de géomètres pour relever l’existant, réunir les données antérieures, étudier les statistiques, produire des rapports fiables et neutres.
• Un corps d’urbanistes pour mettre en perspective l’évolution du village, en projeter les futurs contours et respecter l’héritage, établir des schémas directeurs.
• Un collège d’ingénieurs experts en voirie et réseaux divers capables d’élaborer des plans et de faire construire une centrale de traitement des eaux usées favorisant leur réutilisation.
• Un collège d’ingénieurs en géotechnique pour assurer la compatibilité des constructions avec les sols et ce qu’ils contiennent (nappes phréatiques, qualité des sols, éventuelles autres ressources…).
• Un collège d’ingénieurs thermiciens pour leur connaissance du terrain, du climat, des enjeux futurs, pour l’optimisation des constructions neuves par leur orientation, leur isolation et les nouvelles technologies pour la production de l’eau chaude solaire par exemple...
• Un collège d’ingénieurs en électricité pour les réseaux d’éclairage et la production d’énergie.
• Et toutes autres parties prenantes dont représentants d’élus locaux, de riverains, de travailleurs sociaux, entreprises du bâtiment et autres associations locales…
L’architecte, concepteur et maître d’œuvre reste la cheville ouvrière de cet ensemble. Son rôle, essentiel, consiste à recueillir le besoin, aligner et faire parler les données, et enfin construire des harmonies en unissant le détail dans le respect de l’habitant et le global dans le respect de notre histoire et de notre patrimoine.
Ce travail effectué et livré dans le cadre de marchés cadres, chaque pays donateur pourra en assurer l’application au village qu’il aura la charge de reconstruire.
Nous serions honorés de voir notre région désignée pilote de ce « nouvel acte de construire », promotrice d’une des réformes majeures dont notre pays avait besoin, initiée par vos soins et ceux de votre gouvernement.
Beaucoup d’injustices seraient ainsi réparées.
C’est toute une population qui sortirait lavée de près d’un
demi-siècle de misères et d’humiliations.
Elle vous saurait longtemps gré de votre sollicitude.
Sincèrement vôtre,
Paul ASSOUAD (Jezzine) Toulouse
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.
Merci Mr Assouad pour cette vision globale, égalitaire et juste, misant sur l’honnêteté et la compétence des éventuels exécutant de ce type de projet. Projet intéressant par son côté équitable à plus d’un titre et par son caractère reproductible à l’ensemble des villages de notre sud sinistré. Tout cela suppose bien entendu que notre gouvernement appuie ce projet pour une efficience totale, en dehors des réflexes clientélisme et de de corruption qui sont trop souvent et depuis trop longtemps à l’œuvre dans notre pauvre pays…
21 h 42, le 10 mai 2025