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Idées - Commentaire

Désarmement du Hezbollah : le syndrome des communautés endeuillées

Le Hezbollah affronte à présent, comme d’autres partis auparavant avec leur communauté, les dilemmes propres aux défaites, et oscille entre déni des faits et adaptation aux réalités.

Désarmement du Hezbollah : le syndrome des communautés endeuillées

Obsèques collectives de combattants du Hezbollah tués avant l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre, dans le village d’al-Taybé, près de la frontière israélienne, le 6 avril 2025. Phot d’illustration Rabih Daher/AFP

Il est dans la vie mouvementée des communautés confessionnelles du Liban des moments où le destin semble chavirer et la vie basculer. Des moments où une mort soudaine vient interrompre un parcours de chef adulé soustrait à la ferveur des siens par des mains assassines. Des moments où des défaites semblent consommées, non le plus souvent du fait de l’adversaire, mais à cause des calculs étroits de stratèges improvisés se livrant à des guerres au-dessus de leurs moyens, ou victimes de visions hallucinées de destruction d’un ennemi fantasmé voué, croit-on, à disparaître en quelques minutes. Des moments où des accords contraints, dictés, signés sous la férule étrangère, parfois dans des pays étrangers, plongent une communauté dans les abysses des déprimes existentielles. Alors la communauté éplorée se calfeutre, se lamente, plaint son sort, haut et fort, confesse timidement ses torts, puis, retrouvant sa fierté, se reprend et se rebelle. Son narratif change, revigoré après l’intermède dépressif par l’espoir de meilleurs lendemains. Son humeur combative retrouvée, elle se retourne, emportée comme à l’accoutumée par ses partis politiques dominants, contre ses adversaires intérieurs, les accusant de pactiser avec l’ennemi, de manquer de compassion à son égard et de vouloir figer le malheur qu’elle subit en un statut de communauté punie.

Psychose du désarroi

La situation que traverse aujourd’hui la communauté chiite depuis les terribles déconvenues de la guerre de soutien à Gaza ne déroge pas à ce schéma. Peu ou prou, la condition générale qui est la sienne ressemble à celle des chrétiens après la lutte fratricide entre le général Aoun et les Forces libanaises, ou après la prise du palais de Baabda par les troupes syriennes en 1990, ou aux lendemains de la signature des accords de Taëf. De même, le reflux des forces du Mouvement national après l’entrée des troupes syriennes et la défaite palestinienne dans les années qui suivirent l’invasion israélienne du Liban, firent perdre à la communauté sunnite sa stratégie, ses supports et ses alliés. Que dire aussi des éliminations des leaders communautaires charismatiques, de Kamal Joumblatt à Bachir Gemayel, et de Rachid Karamé à Rafic Hariri en passant par Moussa Sadr, Hassan Khaled et Hassan Nasrallah, pour ne parler que d’eux, qui plongèrent leurs partisans dans l’affliction collective. Une psychose de l’abandon et du désarroi s’empare alors des esprits. Elle dicte pour longtemps les comportements politiques, forge les appréhensions, alimente les peurs et nourrit les ressentiments, ces niches de l’âme humaine dans lesquelles grandissent les haines tribales.

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La dangereuse fuite en avant du Hezbollah

La communauté chiite du Liban, sans qu’il soit nécessaire bien entendu d’y inclure automatiquement tous ses membres, vit aujourd’hui le syndrome des communautés endeuillées. Des chefs pétris de savoirs prémonitoires et nantis de pouvoirs exécutoires ont conduit au désastre une population exaltée par leurs soins et tenue par les multiples liens des servitudes consenties. S’inspirant des pratiques des commandements autoritaires, un parti avait réussi à enrégimenter un peuple longtemps marginalisé, abandonné par un État lointain et laissé pour compte de tous les développements sauf ceux de la misère et de la guerre. L’histoire de la communauté chiite est lourde, en effet, de tous les avatars tortueux de l’histoire libanaise de ces dernières décennies. De fait, recrutée par la guérilla palestinienne, servant de communauté-classe expérimentale aux théoriciens de la cause des peuples, amenée à servir les cohortes prétoriennes des envahisseurs successifs du Sud libanais, bombardée et devenue nomade à force d’incessants déplacements, cette communauté a fini par symboliser dans son malheur celui de l’État. Sa révolte contre cet état de choses ne date pas de l’émergence du Hezbollah. Bien avant, dès la fin des années soixante du siècle dernier, son premier chef charismatique, Moussa Sadr, avait su la mobiliser. Avec le début de la guerre libanaise, la tentation des armes était apparue comme moyen de se protéger dans ce vide sécuritaire que devenait le Liban-Sud en proie à la présence rampante des formations armées palestiniennes puis des incursions israéliennes à répétition. De fief autonome palestinien le Sud deviendra terre d’occupations et terrain du jeu stratégique régional. Un destin maudit semblait avoir scellé le sort de la région avant que la libération des lieux ne soit entreprise par le Hezbollah désormais dominant au sein de sa communauté.

L’histoire de la communauté chiite est lourde de tous les avatars tortueux de l’histoire libanaise de ces dernières décennies

Bombardée, asservie, humiliée, déplacée, voilà que la communauté chiite, ayant retrouvé la jouissance de la région du Liban où elle se trouve majoritaire, se percevait désormais avec le Hezbollah en situation d’extrême puissance. Dès lors, à l’instar, là aussi, d’autres communautés libanaises en d’autres temps, commence à s’écrire une histoire d’hégémonie où le parti dominant s’empare de l’État, l’investit, ou plutôt le truffe de ses hommes, dicte sa politique à l’ensemble national, conserve « ses » armes, double l’armée, contrôle les frontières de l’État, mène des guerres à l’étranger, se range aux côtés d’une puissance extérieure qui lui fournit ses moyens financiers et son armement, crée son circuit de financement par prébendes et contrebandes et fait de ceux qui le critiquent des agents stipendiés de l’étranger.

Retour à l’humilité

Dans sa conquête du pouvoir, le Hezbollah, comme les autres partis, a prospéré sur un vaste réseau de corruption. Il n’a pas été le seul. Il n’a pas été seul, non plus, dans cette entreprise de capture de l’État et d’extraction de la rente frauduleuse. Durant tout un mandat présidentiel, le Hezbollah a pu d’abord compter sur un autre parti qui lui a servi d’alibi et de marchepied.

Mais plus encore que d’autres communautés, il a pu aussi bénéficier d’une étonnante coordination de travail en interne en s’appuyant sur un homme-clé rompu à la gestion communautaire du pouvoir avec lequel il a partagé habilement sa partition : le président de la Chambre, Nabih Berri. Des trois dirigeants emblématiques de la communauté chiite, deux, qui furent des clercs, durent se sacrifier ; lui sut se préserver. Débonnaire autant qu’autoritaire, homme de toutes les saisons de la guerre comme des époques de la paix et inlassable acteur de la scène politique libanaise depuis plus d’un tiers de siècle, l’homme qui préside aux destinées des délibérations de la volonté nationale a enrichi, par sa pratique erratique, personnalisée et novatrice de ses prérogatives institutionnelles, la pratique de l’État, tout comme son emprise locale et nationale. Premier employeur de l’État autant que parrain de la prospérité de sa communauté et de celle de ses hommes d’affaires, il a fini par en devenir le protecteur. Par temps de tempêtes, il est le refuge et le premier consolateur. C’est vers lui que se tourne, comme aujourd’hui, le parti pro-iranien lorsque, vaincu par ses propres aventures, il n’a plus de recours que l’État dont le président de l’Assemblée nationale est l’un des principaux représentants, et en période de vacance de pouvoir, le seul.

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Cette gouvernance chiite s’est affaissée dans la tourmente générée par le 8 octobre libanais. Le Hezbollah affronte à présent, comme d’autres partis auparavant avec leur communauté, les dilemmes propres aux défaites, et oscille entre déni des faits et adaptation aux réalités. Ses prises de positions contradictoires sur sa renonciation aux armes l’attestent suffisamment. Cette renonciation serait de fait un renoncement à la force sur laquelle le parti-milice a bâti sa puissance et s’est assuré la fidélité de ses militants qui se sont voués par leurs larmes à leurs armes.

Or, seule cette voie permettrait à un parti qui s’est longtemps cru différent des autres ou supérieur à eux de redevenir un parti comme les autres. C’est là, pourtant, la condition nécessaire pour refonder avec l’ensemble des composantes libanaises un ordre politique solidaire, pacifié, d’où seront bannis toute hégémonie, tout droit supposément acquis et tout privilège prétendument conquis. Ce serait là un retour à la raison et à l’humilité que les protagonistes de la guerre libanaise ont tous expérimenté… Loin de la volonté de punir de certains et à distance de ceux qui continuent à avoir pour le Hezbollah la fascination du lapin pour le cobra.

Par Joseph MAÏLA

Professeur de relations internationales à l’Essec (Paris), ancien recteur de l’Université catholique de Paris et ancien vice-doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’USJ.

Il est dans la vie mouvementée des communautés confessionnelles du Liban des moments où le destin semble chavirer et la vie basculer. Des moments où une mort soudaine vient interrompre un parcours de chef adulé soustrait à la ferveur des siens par des mains assassines. Des moments où des défaites semblent consommées, non le plus souvent du fait de l’adversaire, mais à cause des calculs étroits de stratèges improvisés se livrant à des guerres au-dessus de leurs moyens, ou victimes de visions hallucinées de destruction d’un ennemi fantasmé voué, croit-on, à disparaître en quelques minutes. Des moments où des accords contraints, dictés, signés sous la férule étrangère, parfois dans des pays étrangers, plongent une communauté dans les abysses des déprimes existentielles. Alors la communauté éplorée se...
commentaires (13)

LES DEUX REACTIONS CONCERNAIENT L,ARTICLE FUITE SUR LE HAMAS ET PAS CET ARTICLE.

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 43, le 09 mai 2025

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Commentaires (13)

  • LES DEUX REACTIONS CONCERNAIENT L,ARTICLE FUITE SUR LE HAMAS ET PAS CET ARTICLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 43, le 09 mai 2025

  • MERCI D,AVOIR PUBLIE MES DEUX LIBRES REACTIONS. BONNE SOIREE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 37, le 09 mai 2025

  • OU EST LE SECOND COMMENTAIRE LE PLUS INTERESSANT ? VOUS L,AVEZ CENSURE SANS FUITER L,ARTICLE ? POURQUOI AVOIR DEROGE AU SYSTEME SUIVI DERNIEREMENT CONTRE LA PLUPART DE MES TRES RARES INTERVENTIONS ? PRIERE DE PUBLIER CE MOT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 28, le 09 mai 2025

  • FUITEZ CET ARTICLE AUSSI. LA LIBRE EXPRESSION EST MAITRESSE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 12, le 09 mai 2025

  • PLACEZ L,ARTICLE DANS UNE PLACE CONVENABLE POUR ETRE LU. APRES AVOIR FUITE L,AUTRE ARTICLE, VOUS ME DEVEZ CA.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 06, le 09 mai 2025

  • -LE HAMAS ASSURE A L,ETAT, -SON RESPECT DU CESSEZ-LE FEU. -FUT-IL UN SIGNATAIRE AUSSI, -DES TOUS POUR UN ET UN POUR TOUS ? -CAR IL MANQUAIT UN DARTAGNAN ! -QUI L,AVAIT INVITE CHEZ NOUS ? -PAS L,ETAT A QUI IL S,ADRESSE. -*L,ILLICITE SE VEUT JOUEUR* ? -GRAND ATTIREUR DE CATASTROPHES, -SUR UNE TERRE NON LA SIENNE. = STOP ! STOP ! LE DERNIER PARAGRAPHE, -DE SIX LIGNES DE CET ARTICLE, -EST UNE HONTE NATIONALE !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 59, le 09 mai 2025

  • -LA POLITIQUE DES PETITS PAS, -DANS DES DIFFERENTS AVEC VOISINS, -EST SAINE ET PLEINEMENT CONSEILLEE, -AUX GOUVERNEMENTS DE LA PLANETE. -LA MODERATION EST LA GARANTE, -DE LA PAIX ET LA SACURITE. -*JE LA CONSEILLE A NOS GOUVERNEURS*. =QUAND A L,APPLIQUER A L,INTERIEUR, -AVEC LES MERCENAIRES IRANIENS, -UN ETAT ERIGE DANS L,ETAT, -DECIDANT DE LA PAIX ET LA GUERRE, -AUX ORDRES DES ENTURBANNES PERSES, -ET QUI CONTINUE ET S,EN REJOUIT, -N,EST PLUS MODERATION PAS A PAS, *MAIS C,EST DU PUR RECONNU SUICIDE*. -LES AGNEAUX AVEC LEURS BELEMENTS, -NE MATENT PAS LES MEUTES DE LOUPS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 47, le 09 mai 2025

  • Excellent article qui relate avec exactitude chronologique, sans chichi, des faits et leurs conséquences et qui sont comprises par le commun des mortels. HB a joué avec le sort de son pays, se croyant immortel et au dessus des lois. Il a payé le prix comme tous les autres partis et états complotistes contre notre pays avant lui. Aucune communauté ne peut prétendre à une hégémonie sur une autre. Le Liban a eu pléthore d’expériences qui ont coûté cher au peuple libanais pour ramener à la raison ses différents fossoyeurs, sans que cela ne leur serve de leçon. Est ce que le HB serait le dernier

    Sissi zayyat

    13 h 21, le 08 mai 2025

  • Personne n'a le droit de se faire justice lui meme, ni au Liban ni ailleurs. Personne n'a le droit d'utiliser la violence politique. Le fait de justifier le port des armes parce que les autres sont dans l'erreur ou sont violents ne peut etre accepté ni en droit ni en fait. Que le hezballah sorte de son syndrome de persecution. C'est lui qui a persécuté les libanais les 20 dernières années. C'est lui qui a tué. C'est lui qui a été à l'origine de la crise économique. Les Communautés libanaises ont vécu pareil jusqu'à son arrivée au pouvoir. Aucune ne doit avoir un monopole sur l'empathie

    Moi

    09 h 30, le 06 mai 2025

  • Votre article considère le Hezbollah comme un parti libanais avec une autonomie de décision. Or ce parti, financé par l’Iran, aux ordres des Mollah, avec comme idéologie affichée « Wilayet el Fakih » n’a aucun objectif national et n’a même pas le souci de sa communauté libanaise. Le déclenchement de la dernière guerre avec Israël l’a prouvé de manière éclatante. Les premiers à souffrir de la puissance passée du Hezbollah sont les chiites, devenus soumis intellectuellement, célébrant le culte de la violence et soumettant leurs femmes à des pratiques d’un autre âge.

    AFL

    06 h 38, le 06 mai 2025

  • Raed,No one has an issue with the Shia community itself—the frustration is with Hezbollah, and that includes many Shia voices as well. What’s truly offensive is your attempt to deflect responsibility by blaming the economic collapse on decisions made over 20 years ago by Sunni politicians, while willfully ignoring the damage done over the past two decades under Hezbollah’s grip on the country.As for the weapons—you’re well aware that no one will come asking nicely. So, by all means, keep them. Just understand what they represent and the consequences they continue to bring.Cheers,

    Ben

    16 h 41, le 05 mai 2025

  • Très bien écrit bien qu'inexate. La période 1992-2005 fût dominée par le Haririsme et non par le Hizbollah, avec les résultats économiques désastreux qu'on connaît aujourd'hui. Plus grave, et tant qu'un racisme viscéral contre les " Shiaa" persiste, par toutes les communautés qui continuent de les considérer comme venus d'une autre planète, en plus de la menace Israélienne, les Shiaas ne remettrons pas leurs armes. A vous d'en juger.

    Raed Habib

    15 h 59, le 05 mai 2025

  • A very pertinent analysis the Chiite community is not poor but it has found in Hezbollah a means to impose itself on other lebanese communties and now that this is no longer possible it is realazing that it is hard to climb down the tree but eventually it will and it needs is a lot of humility.

    EL KHALIL ABDALLAH

    12 h 57, le 05 mai 2025

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