
De gauche à droite, le ministre de la Justice, Adel Nassar, les présidents du CSM, du Conseil Constitutionnel, de la Cour des comptes et de l’Inspection judiciaire, Souheil Abboud, Tannous Mechleb, Mohammad Badrane et Ayman Oueidate. Photo C.A.
Dans un contexte où les affaires judiciaires envahissent l’espace médiatique, les relations entre magistrats et médias sont marquées par des tensions considérables, en raison d’une différence d’approche dans leur traitement des dossiers. Comment concilier le devoir de réserve des uns et la liberté d’expression des autres pour préserver la confidentialité de ces dossiers et la dignité des personnes impliquées, tout en garantissant au public son droit à l’information, à l’écart de toute pression et de tout préjugé ?
Lors d’un colloque intitulé « Le juge et les médias », organisé lundi par le ministre de la Justice Adel Nassar, sous le haut patronage du président de la République Joseph Aoun et en collaboration avec Konrad Adenauer Stiftung, une vingtaine de personnalités du monde politique, juridique, judiciaire et des médias, parmi lesquelles des universitaires français, se sont penchées sur la problématique, tout en proposant des pistes de réforme. L’événement s’est tenu à l’hôtel Phoenicia à Beyrouth, en présence de députés, magistrats, journalistes et avocats.
S’exprimant d’abord au nom du président Aoun, le ministre de la Justice a rappelé que « le devoir du juge est de garantir la liberté d’expression », tout en soulignant que « cette liberté ne peut s’exercer sans être accompagnée de l’obligation de ne pas diffamer ». La liberté des médias « exclut les atteintes à la dignité des magistrats et les jugements en lieu et place des tribunaux », a ajouté M. Nassar. Dans le même esprit, le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souheil Abboud, a dénoncé « les procès médiatiques portant atteinte à la vie privée », tandis que le bâtonnier de Beyrouth, Fadi Masri, a déclaré que « les jugements ne peuvent être rendus ni dans la rue, ni sur les réseaux sociaux, ni par les médias », insistant sur « la présomption d’innocence ». Une position partagée par Mireille Najm, membre du Conseil constitutionnel, qui a déploré « des prononcés de jugement avant que les verdicts ne soient rendus ».
Hervé Lecuyer, professeur à Paris-II, a cité les cas récents de l’acteur Gérard Depardieu, accusé d’agressions sexuelles, et de la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen, condamnée en première instance à deux ans de prison ferme et cinq ans d’inéligibilité. Certains médias ont émis très tôt un jugement à l’encontre de M. Depardieu, alors que son procès est toujours en cours ; de même que l’inéligibilité de Mme Le Pen avait été médiatiquement débattue bien avant sa condamnation.
La présidente du Club des juges, Najate Abou Chacra, juge d’instruction auprès du tribunal militaire, a noté, à cet égard, que dans les rapports entre la justice et les médias, ceux-ci « sont les plus forts », car « ils ont accès aux gens ».
Plutôt que d’un rapport de force, l’ancienne ministre Marie-Claude Najm a parlé d’« une opposition radicale » des deux corps de métier, dans leur rapport au temps. « La justice travaille sur le temps long, elle exige patience, silence, sérénité, nuance (…), rationalité, (…), recherche, réflexion. Les médias sont au contraire dans une logique de l’instantané (…), du spectaculaire, de l’émotion, et parfois de manichéisme », a-t-elle précisé.
Comme autre dissemblance, le président du CSM a souligné la « différence dans les méthodes de travail ». « Le juge est armé de la loi et des principes du procès équitable, évitant l’interaction avec les médias, tandis que ceux-ci recourent à des sources secrètes, parfois non fiables ou partiales », a-t-il souligné.
En tout état de cause, « il faut un équilibre entre la liberté d’information et la protection de personnes ciblées par les médias », a prôné M. Nassar, tandis que Youmna Fawaz, journaliste d’investigation, a considéré que « la justice doit œuvrer avec le pouvoir exécutif pour renforcer la protection des journalistes », soulignant le rôle important des médias dans une société démocratique. Ils sont « les premiers lanceurs d’alerte de la justice », a renchéri Marie-Claude Najm.
Le débat a également porté sur le droit de réserve des magistrats, dans le cadre duquel l’ancien président du Club des juges Faycal Makki avait été poursuivi en 2022 pour être intervenu en direct à la télévision, sans autorisation préalable. M. Makki a affirmé que c’est après que le juge Ayman Oueidate a pris les rênes de l’Inspection judiciaire, le 27 mars, que son dossier a été classé sans suite. À cet égard, Valérie Dervieux, magistrate à la cour d’appel de Paris, a noté que les syndicats français des magistrats ont le droit de communiquer. De même que les procureurs, qui « s’expriment sur des procédures en cours », à condition de fournir « des informations objectives (...) de nature à pallier les rumeurs et fausses informations ».
Quelles solutions ?
Le ministre de la Justice a prôné la création d’une institution du CSM en charge de la communication. Il a rejoint sur ce plan la présidente de la chambre honoraire de la Cour de cassation, Randa Kfoury, favorable à « un service de communication spécialisé, chargé notamment d’expliquer les raisons du temps long que peut prendre le prononcé d’une décision, ou d’annoncer des dates d’auditions et de jugements ». « Pour mieux protéger des témoins éventuels, ce n’est pas le juge chargé de l’affaire qui doit faire cette communication », a-t-elle souligné.
Mounir Younès, journaliste à L’Orient-Le Jour, s’est dit, pour sa part, dans l’attente de la loi sur l’indépendance de la justice, actuellement étudiée par une sous-commission parlementaire présidée par le député Georges Okais, présent à l’événement. Cette loi permettrait la réduction de l’ingérence de la politique dans la justice, qui serait alors à l’abri des critiques des médias. « Encore qu’une telle loi ne peut voir le jour sans la contribution active du pouvoir politique », a noté Issa Goraïeb, éditorialiste à L’OLJ, prônant par ailleurs « une loi sur la cyberinformation ».
M. Okais a préconisé l’élaboration de nouvelles lois sur les imprimés et sur l’organisation de la justice judiciaire, celles en vigueur datant des années 60. Il a, par ailleurs, affirmé que la nouvelle loi sur l’information sera articulée sur « une liberté responsable, la création d’une autorité nationale de régulation et l’épuration du corps des journalistes ».
Benoît Dumontet, avocat et directeur de l’Hedac (Haute École des avocats conseils-France), a insisté sur la nécessité d’« une motivation importante des décisions pour faire face aux critiques des médias ». Une solution également souhaitée par Randa Kfoury, qui a proposé par ailleurs l’enseignement de la communication médiatique aux magistrats, et une formation spécialisée dans les questions juridiques, destinée aux journalistes.
Le fait de réclamer un contrôle du financement de tous les médias ne semble pas convenir à LOLJ d’où la censure de mon commentaire. Que faut il comprendre?
14 h 21, le 30 avril 2025