
Une vue du port le jour de la double explosion du 4 août 2020. Photo Matthieu Karam/L’Orient-Le Jour
Pour la première fois depuis le début de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août 2020, un homme politique a été auditionné par le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar. L’ancien ministre de l’Intérieur (2014-2018) Nohad Machnouk a ainsi été entendu jeudi dans le cadre de l’enquête, en présence de son avocat, Naoum Farah, lors d’une audience tenue durant une heure trente.
En 2021, M. Machnouk avait été convoqué par le juge d’instruction, mais n’avait pas comparu, portant en septembre de la même année un recours en dessaisissement contre le juge Bitar pour l’avoir mis en examen « sans l’entendre d’abord à titre de témoin ». Chargée de statuer sur la requête, la chambre de la cour d’appel présidée par Nassib Élia l’avait rejetée. Par la suite, l’ancien ministre avait introduit une action en responsabilité de l’État contre « les actes graves » de M. Bitar, qui n’avait pas été tranchée en raison d’une perte du quorum de l'assemblée plénière de la Cour de cassation, cette assemblée étant compétente pour statuer sur cette action. L'ancien ministre a déposé mercredi, soit la veille de sa comparution, un nouveau recours, après la nomination mardi dernier par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) des dix présidents de la Cour de cassation qui composent l’assemblée plénière. Pour que celle-ci puisse siéger, il faut cependant attendre que le ministre de la Justice, Adel Nassar, approuve le choix des noms, ce qui devrait survenir prochainement.
Question de compétence
Dans sa nouvelle action, M. Machnouk conteste la compétence du juge Bitar à l’interroger. À sa sortie de l’audience, il a affirmé aux journalistes présents au Palais de justice que sa comparution ne devait pas être interprétée comme une reconnaissance de cette compétence, se disant attaché à la loi qui donne au Parlement « la compétence exclusive de décider de déférer à la Haute Cour, chargée de juger les présidents et les ministres, les actes commis dans le cadre de l’exercice des fonctions ministérielles ». À l’opposé, le juge Bitar considère que lorsqu’une affaire est déférée devant la Cour de justice, qui est un tribunal d'exception, les magistrats de cette cour détiennent la compétence exclusive d’interroger toutes les parties concernées.
M. Machnouk a qualifié l’interrogatoire de « minutieux », affirmant qu’« il a été utile à la clarification de l'image » relative aux faits pour lesquels il a été questionné. Une autre source proche du dossier l’a décrit comme « complet », précisant que l'ancien ministre a été laissé libre en attendant un complément d’enquête.
Dans l’après-midi, Me Farah a publié un communiqué dans lequel il a affirmé que l’audience a principalement porté sur « un rapport de la Sûreté générale (SG) informant l’ancien ministre, le 14 mai 2014, du « problème de l’équipage d’un bateau qui traversait le port de Beyrouth en transit dans le port de Beyrouth ». Selon le communiqué, ce problème était lié à « des difficultés financières et d’un besoin de vivres ». Il s’agissait du navire Rhosus, à bord duquel était transporté le nitrate d'ammonium, dont l'explosion est à l'origine de la catastrophe. « Ce même rapport indiquait la présence de plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium », souligne le communiqué, précisant que le mot « plusieurs » signifie « une dizaine ou une vingtaine de tonnes, et non des milliers ».
En citoyen
À la question de savoir pourquoi il a voulu se présenter devant le magistrat, alors qu’il a recouru en justice contre lui, M. Machnouk a affirmé avoir agi en citoyen (et non en tant que mis en cause), « désireux de répondre à la volonté des parents des victimes d’obtenir vérité et justice ». Il a également souligné qu’en tant qu’ancien député de Beyrouth, il était soucieux de favoriser l’enquête sur une affaire aussi tragique ayant frappé la capitale.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Me Farah a, pour sa part, estimé que la loi régissant la Cour de justice devrait être « améliorée », en vue de « réduire le débat concernant la compétence du juge d’instruction, mais également de créer une juridiction de 2e degré pour examiner des recours contre celui-ci, et garantir ainsi un procès équitable ».
Sur un autre plan, Me Farah a estimé que la convocation de son client « n’est pas conforme à la loi », soulignant qu’elle ne précise pas les articles légaux sur lesquels le magistrat s’est appuyé pour mettre en cause son client. « Comment un justiciable peut-il organiser sa défense s’il ne connaît pas la nature juridique des actes qui lui sont reprochés ? » interroge à ce sujet Me Farah. « En tout état de cause, il n'y a aucun lien entre Nohad Machnouk et l'explosion au port de Beyrouth », poursuit-il, soulignant qu’« un ministre de l’Intérieur n’a aucune compétence en ce qui concerne les navires amarrés ou en transit dans le port de Beyrouth ».
Le prochain homme politique à devoir être entendu est l’ancien chef du gouvernement (décembre 2019- août 2020) Hassane Diab. Le juge Bitar lui a fixé une audience le 25 avril. M. Diab avait fait l’objet d’un mandat d’amener, en septembre 2021, mais il avait aussitôt porté une action en responsabilité de l’État contre le juge d’instruction pour contester sa compétence à l’interroger. Il restera ensuite à convoquer l’ancien ministre des Travaux publics (février 2014- décembre 2016) Ghazi Zeaïter, qui avait également porté un recours devant l’assemblée plénière pour suspendre l’enquête du juge Bitar.
D’autres responsables politiques sont mis en cause dans l’affaire : Ali Hassan Khalil, ancien ministre des Finances (février 2014-janvier 2020) et Youssef Fenianos, ancien ministre des Travaux publics (janvier 2016-janvier 2020). Visés par des mandats d’arrêt, en décembre 2021, pour avoir refusé de comparaître, eux aussi avaient agi en justice contre le juge d’instruction.
Wafic Safa doit suivre et doit être emprisonne si il a menace le juge Bitar. C'est l'application des principes de base de la justice.
14 h 10, le 18 avril 2025