On s’en aperçoit avec ravissement en croisant néanmoins les doigts. Pour la première fois depuis des décennies le Liban semble bien parti pour crever, quasiment tout à la fois, trois de ces venimeux abcès qui minaient sa santé : pour s’arracher des pieds ces trois et grosses échardes qui plombaient sa marche vers le salut, la sérénité, la normalité. La plus évidente de ces délivrances est l’assainissement de nos rapports avec notre turbulent voisin syrien. Signe des temps : plus d’un demi-siècle après leurs indépendances problématiquement jumelles, qui aurait pu imaginer un seul instant que c’est en un régime islamiste que le Liban pluriculturel trouverait le plus ouvert, le plus favorablement disposé des interlocuteurs syriens ?
Car c’est une moisson de prometteuses perspectives que rapporte de sa visite officielle à Damas le chef du gouvernement Nawaf Salam, qu’accompagnaient les ministres des AE, de la Défense et de l’Intérieur : tracé des frontières terrestres et maritimes et élimination des circuits de contrebande, retour des réfugiés syriens à leurs foyers, réglementation du trafic et du transit commerciaux, tout cela dans le respect mutuel de l’indépendance, de la souveraineté – et surtout la spécificité – des deux pays. À jamais révolu est le mensonger slogan des Assad voulant que Syriens et Libanais forment un seul peuple au sein de deux États : formule qui faisait du plus puissant des deux le maître absolu de la baraque, lequel n’hésitait pas à recourir systématiquement au meurtre pour établir sa domination.
Chefs d’État ou de gouvernement, leaders politiques ou religieux, journalistes et autres façonneurs d’opinion ont payé de leur vie leur héroïque résistance à l’occupation ; et par un juste – bien que tardif – retour des choses, les officiers qui ont monté ces attentats pourraient être livrés au Liban. Quelle justice au monde cependant pourra-t-elle jamais nous dédommager des violences que n’a cessé de nous infliger l’autre voisin, celui du Sud ? Au terme de tant d’agressions diverses, dont deux invasions de vaste ampleur, le Liban n’aspire qu’à la délimitation et la pacification définitives de sa frontière avec Israël, à la faveur d’une stricte mise en application des résolutions onusiennes. À ce stade du moins, il ne peut compter que sur une médiation de l’Amérique dans le cadre de négociations indirectes avec l’ennemi : une Amérique outrageusement partiale certes, mais régnant en maître sur le marché des influences internationales. Toujours est-il que l’État s’acquitte au mieux de ses engagements sur le terrain. Sans tambour ni trompette, l’armée régulière étend ainsi son déploiement dans le sud du pays, débusque régulièrement des caches d’armes, détruit des galeries souterraines. De la sorte pourrait être enfin brisé ce cercle vicieux où l’on voit Israël prendre prétexte de la survie du Hezbollah pour camper sur le territoire libanais et poursuivre ses frappes meurtrières, et la milice invoquer l’occupation pour clamer son irrédentisme. On en vient ainsi à ce troisième et ultrasensible volet des tractations à caractère politique et sécuritaire. Le Liban n’a évidemment aucune prise sur l’Iran, créateur, père nourricier et froid manipulateur de la résistance chiite.
Il ne saurait non plus attendre trop longtemps quelque retombée positive du dialogue qui vient d’être renoué entre Washington et Téhéran. Dès lors et loin de toute publicité, la négociation est déjà en cours avec le Hezbollah ; on pourrait même la qualifier de confidentielle, voire d’intime, puisque c’est le président de la République qui s’en charge en personne. Le général Joseph Aoun se dit confiant que le désarmement de la milice interviendra par le dialogue dans le courant de cette année ; et s’il envisage l’intégration à l’armée des combattants qualifiés, il exclut toute idée de brigade milicienne au sein de la troupe.
Et de trois ! Mais est-on vraiment au bout du compte ? Pourparlers avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, restructuration du secteur bancaire, éradication de la corruption, les réformes, revitalisation des institutions, justice sociale : il faudrait en réalité plus des dix doigts pour répertorier ces travaux d’Hercule auxquels s’est courageusement attaqué le tandem Aoun-Salam. Rien que pour avoir relevé le gant, il mérite amplement l’unanime confiance des Libanais.
Issa GORAIEB
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