
La cour de justice de New York, aux États-Unis. Photo d’illustration Bryan R. Smith/AFP
Le fait que le gouvernement de Nawaf Salam se soit promis de lancer la restructuration du secteur bancaire libanais n’a pas calmé les déposants les plus déterminés à poursuivre en justice les banques qui ont restreint leur accès à leurs dépôts depuis le début de la crise qui a éclaté au Liban en 2019.
Lancée en 2020, l’affaire opposant la famille Raad à Bank Audi devant la justice américaine en est une illustration. Patricia Raad accuse la banque libanaise de refuser de lui restituer 17,6 millions de dollars de fonds placés au Liban par son mari Michel, décédé en 2009. La septuagénaire a comparu le 3 avril devant la cour d’appel fédérale américaine siégeant à Manhattan, dans le cadre d’un nouvel appel interjeté après avoir été déboutée de sa dernière demande le 5 mars 2024.
S’exprimant dans les colonnes du New York Post dans un article publié deux jours après l’audience, elle a notamment déclaré que le fait de priver sa famille de son héritage revient à « tuer Michel une deuxième fois ». La cour n’a pas fixé de date pour faire connaître sa décision à laquelle sont suspendues les éventuelles suites au dossier.
Cosmétiques et parfums
Homme d’affaires dans les parfums et cosmétiques, Michel Raad avait quitté le Liban pour les États-Unis à l’âge de 18 ans, selon les détails publiés par le New York Post et complétés par le jugement de 2024, qui est disponible en ligne.
Pendant trente ans, Michel Raad a transféré des millions de dollars placés dans une fiducie (ou trust fund) au bénéfice de ses enfants à la Bank Audi, basée au Liban. La mise en relation initiale s’est faite via Interaudi Bank, une enseigne indépendante du groupe bancaire libanais, où Patricia et Michel Raad étaient clients depuis 1984. Mais les contrats de placements ont été conclus entre ce dernier et Bank Audi au Liban.
La fiducie arrive à maturité en 2018 et Patricia Raad demande alors que les fonds soient transférés à New York. Elle assure au New York Post que le cadre de Bank Audi qui gère son dossier a commencé à la « supplier » de ne pas le faire. La crise financière libanaise qui a conduit la quasi-totalité du secteur bancaire devenu insolvable à bloquer des dizaines de milliards de dollars de dépôts de façon unilatérale et sans être rappelé à l’ordre par les autorités libanaises n’avait pas encore éclaté au grand jour, mais les premiers signes laissant craindre un effondrement étaient déjà perceptibles.
En octobre 2019, alors que la crise éclate au grand jour, la famille demande le virement des 17,6 millions de dollars comme le prévoyait le contrat. La plaignante assure que Bank Audi n’a pas transféré le moindre dollar depuis.
Trois jugements
Dès 2020, la famille Raad engage une procédure qui commence devant la cour suprême de l’État de New York et au cours de laquelle les deux parties vont s’affronter sur le terrain de la compétence de la juridiction saisie.
Parmi les étapes importantes :
• La justice new-yorkaise donne d’abord raison en novembre 2021 à Bank Audi qui faisait valoir une clause contractuelle selon laquelle tout litige ne pouvait être tranché que par les tribunaux de Beyrouth.
• En décembre 2022, la famille Raad remporte une manche avec l’annulation d’une décision de première instance concluant que la clause de juridiction du contrat ne consacrait pas clairement cette exclusivité.
• En mars 2024, la justice penche cette fois en faveur de Bank Audi, en considérant que les juridictions américaines ne pouvaient pas juger de l’affaire vu que le contrat avait été signé au Liban entre la famille et la banque libanaise. Cependant, elle n’a pas considéré que les tribunaux libanais avaient une compétence exclusive dans ce domaine.
Le verdict de la cour d’appel fédérale saisie en 2024 déterminera donc si les juridictions américaines s’estiment compétentes pour trancher les litiges portant sur les restrictions bancaires illégales – dans le sens où elles n’ont pas été autorisées par une loi établissant un contrôle formel des capitaux – entre les banques libanaises et leurs clients résidant aux États-Unis. Cités par le journal, les avocats de la famille Raad ont souligné que ce droit avait été accordé à des déposants en France ou en Angleterre ces dernières années.
L’avocat Fouad Debs, cofondateur de l’Union des déposants – une organisation née après le début de la crise qui a frappé le Liban fin 2019 –, comprend la démarche engagée par la famille Raad, assurant que « le système judiciaire au Liban est largement aligné sur les intérêts des banques ». Il regrette qu’il ait fallu attendre juillet dernier pour que la première action collective soit lancée par des déposants contre des banques libanaises, jugeant que ce type de procédure, bien que plus complexe, aurait eu plus d’impact. Il considère enfin que les actions en justice permettent aux déposants les plus aisés d’avoir une chance d’obtenir gain de cause, mais n’apportent pas de solution « globale » à la crise bancaire et au problème des avoirs en dollars au Liban.
Contactée, Bank Audi a déclaré que « tout ce qu’il y avait à dire avait été dit sur ce dossier. » Nous n’avons enfin pas été en mesure d’entrer directement en contact avec la famille Raad.
Si c'est de l'argent qui n'est pas volé, c'est une dette qu'il faut rendre. Parlant de larmes, c'est sur la jalousie de certaines personnes qu'il faut en verser.
12 h 24, le 10 avril 2025