Critiques littéraires Critique

L’ode à la mer de Christophe Ono-dit-Biot

L’ode à la mer de Christophe Ono-dit-Biot

© Aaron Kotowski

Un jour, un vieux pêcheur de Byblos m’a avoué avec sagesse et fatalisme : « Ma mna‘ref el-bahr. (On ne connaît pas la mer). » Imprévisible, secrète, elle nous échappe, nous nargue, nous déroute.  Or, en lisant le dernier livre, à la fois personnel et édifiant, de Christophe Ono-dit-Biot, Mer intérieure (allusion à esô thalassa, le nom que les Grecs donnaient à la Méditerranée), qui vient de paraître aux éditions de L’Observatoire, cette impression d’insaisissabilité se dissipe étrangement. 

Diversité des thèmes 

Né au Havre en 1978, ce passionné de la Grande Bleue, qui pratique la plongée sous-marine afin de « transpercer la toile de ce grand tableau monochrome pour aller voir dessous », proclame d’emblée son attachement viscéral à la mer : « Ce texte, j’aurais pu l’écrire partout, à condition d’être au bord de ce monde que je chéris et qu’on appelle la mer. À condition de pouvoir offrir à mes yeux, dès que je lève la tête, le spectacle des mille et un plis de cet épiderme fluide qui me fascine. À condition de pouvoir offrir à mes oreilles, fermant les yeux, son souffle profond et régulier dont les longs soupirs cachent de puissantes déflagrations. À condition de pouvoir offrir à toute ma peau, en réalité, sa caresse toujours tonique… »

Cette déclaration faite, l’auteur nous démontre, preuves à l’appui, « combien la mer nous est essentielle (...). Combien elle n’est plus seulement une origine, mais la possibilité d’un avenir ». Il part de son enfance dans son port natal pour évoquer ensuite l’impressionnisme de Monet, les pirates et les corsaires, sa première baignade, les mythes grecs qu’il connaît bien (il a publié en 2019 un ouvrage intitulé La Minute antique : Quand les Grecs et les Romains nous racontent notre époque), notamment ceux d’Ulysse et de Pénélope, une mystérieuse épave romaine échouée en Corse, les leçons de vie données par les fossiles (à l’instar de ceux qu’on trouve au Liban, particulièrement à Hakel, véritables icônes où s’inscrit la mémoire de la mer), ou encore la découverte d’une Atlantide au large de Naples… Cette hétérogénéité ne désarçonne pas le lecteur puisque la mer reste le fil conducteur du livre et que le récit est servi par une plume alerte qui sait allier l’art du conteur à l’humour, et le sens de la formule à l’érudition. « Ces textes dessinent les contours d’un cabinet de curiosités personnel et nomade, le petit musée aquatique que je porte en moi », affirme l’auteur dont l’enthousiasme et la curiosité sont contagieux.

Au fil des pages, il nous raconte la destinée du paquebot « France » (qui inspira à Michel Sardou une chanson désabusée), l’estran  – « ce qu’on voit de la mer quand elle s’est retirée » –, les conteneurs « pleins d’histoires, de surprises, de secrets », le dieu de la mer Poséidon, les sirènes et leur chant envoûtant, avant de nous embarquer à la découverte du « bestiaire aquatique », à savoir le dauphin, le poulpe – animal fascinant pourtant décrié par Victor Hugo qui, dans Les Travailleurs de la mer, le jugeait « exécrable » –, la baleine – qu’on retrouve aussi bien chez Jonas et Sindbad que chez Moby-Dick –, le requin – dont l’auteur se fait l’avocat ! –, ou encore le corail qui aurait « des origines mythologiques »…

Chasses au trésor et héros littéraires 

L’auteur part ensuite à la chasse au trésor, évoque les épaves, les faussaires et le bleu d’Yves Klein, avant de nous offrir des pages littéraires où l’on retrouve le capitaine Achab du Moby-Dick de Melville, le capitaine Nemo des Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, considéré comme « l’un des tout premiers héros écologistes », Une jeune fille nue de Nikos Athanassiadis, Le Quart de Nikos Kavvadias, ou encore Apollinaire dont un seul vers suffit pour exprimer « la puissance évocatrice de la mer… » Rapidement cité, Le Vieil Homme et la Mer aurait peut-être pu inspirer à l’auteur un chapitre supplémentaire. Le roman de Hemingway mérite-t-il sa réputation ?

Au terme de ce merveilleux voyage, Christophe Ono-dit-Biot signe un fervent plaidoyer en faveur de la mer, « notre ligne de vie », dont les abysses devraient être considérés comme de véritables « sanctuaires ». Avant qu’il ne soit trop tard.

Mer intérieure de Christophe Ono-dit-Biot, Éditions de L’Observatoire, 2025, 237 p.

Un jour, un vieux pêcheur de Byblos m’a avoué avec sagesse et fatalisme : « Ma mna‘ref el-bahr. (On ne connaît pas la mer). » Imprévisible, secrète, elle nous échappe, nous nargue, nous déroute.  Or, en lisant le dernier livre, à la fois personnel et édifiant, de Christophe Ono-dit-Biot, Mer intérieure (allusion à esô thalassa, le nom que les Grecs donnaient à la Méditerranée), qui vient de paraître aux éditions de L’Observatoire, cette impression d’insaisissabilité se dissipe étrangement. Diversité des thèmes Né au Havre en 1978, ce passionné de la Grande Bleue, qui pratique la plongée sous-marine afin de « transpercer la toile de ce grand tableau monochrome pour aller voir dessous », proclame d’emblée son attachement viscéral à la mer : « Ce texte, j’aurais pu...
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