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Vert et jaune, rouge et noir

Dans la foulée de ce titre en technicolor qui ne doit rien hélas aux immortelles voyelles de Rimbaud, il faut tout d’abord marquer d’une pierre blanche cette journée de jeudi où le Liban en gravissime crise financière s’est doté d’un nouveau gouverneur de la banque centrale, événement en tout point capital, dans un pays où le dernier détenteur de cette haute charge se trouve incarcéré depuis sept mois pour malversations présumées dans diverses affaires.

La nomination de Karim Souhaid aura cependant donné lieu à plus d’une première. Elle n’est pas cette fois le fruit d’un de ces ententes ou compromis négociés en coulisse, mais d’un vote des plus concluants intervenu en Conseil des ministres. Dans cette opération conduite à main levée, on a vu s’affronter au grand jour deux volontés que l’on s’obstinait à tenir pour absolument indissociables au sein du tandem de rêve qui incarne en ce moment le pouvoir exécutif : celles du président de la République qui parrainait ostensiblement ce choix, et du Premier ministre qui s’y opposait. Prenant acte du vote, ce dernier n’a pas pour autant abandonné ses sérieuses réserves, allant jusqu’à rappeler publiquement au nouveau patron de la Banque du Liban la nécessité de se mettre au diapason de la politique financière du gouvernement.

Ce retour aux pratiques démocratiques et aux procédures constitutionnelles tombées dans l’oubli peut-il suffire pour compenser ce que le duo Joseph Aoun-Nawaf Salam perd visiblement en cohésion et unité ? Il va clairement en falloir bien davantage, à l’heure où le Liban s’apprête à reprendre langue, à effectifs enfin complets, avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Clairs sont les enjeux, notamment les réformes structurelles que ces organismes exigent en vain depuis années. Clairs sont aussi les objectifs de l’autorité politique, du moins tels qu’esquissés dans le discours d’investiture du chef de l’État et le programme gouvernemental. Dès lors, c’est du gouverneur Souhaid, gardien des billets verts et des lingots de métal jaune encore présents dans les coffres, qu’il faut légitimement attendre ne serait-ce qu’une liste des priorités. À ce talentueux gestionnaire de fortune bardé de prestigieux diplômes mais lui-même objet de polémique, il incombe de prouver à ses détracteurs que notre pays n’est pas celui de l’union sacrée entre argent et politique, entre banquiers et dirigeants. Que ce n’est pas l’innocent déposant qui doit payer la lourde facture du désastre financier, mais l’État voleur et, avec lui, les établissements de crédit qui ont entretenu son insatiable appétit.

Mais comment traiter rationnellement ces affaires de gros sous, aussi pressantes qu’elles puissent être, quand le kaléidoscope libanais vire au noir et au rouge ; quand, en écho au volcan toujours actif de Gaza, c’est dans sa terre, dans sa chair et son sang que notre pays ne cesse d’encaisser coup après coup ? Malgré le cessez-le-feu de novembre dernier, la guerre est toujours là, même si par résilience ou par fatalisme, par bravade ou par lassitude, les Libanais s’efforcent souvent de l’occulter. Omniprésente au Sud et dans la Békaa, elle vient de frapper aux portes de Beyrouth, dans la banlieue de Hadeth surpeuplée et abritant écoles et universités, et Netanyahu menace de la porter partout ailleurs au Liban. Or si le président Aoun, en visite à Paris, a exclu toute responsabilité du Hezbollah dans les tirs répétés de roquettes contre Israël ; si de son côté le président Macron s’est porté volontaire pour protester auprès de Washington et Tel-Aviv, le fait demeure que la pression ne cesse de croître sur Beyrouth pour que soit désarmée la milice, en prélude à un règlement durable entre le Liban et Israël.

Particulièrement préoccupantes à cet égard sont les idées affichées par les États-Unis, et qui vont bien plus loin que la fin de l’occupation israélienne, la délimitation des frontières terrestres et l’instauration d’un état de non-belligérance, toutes réalisations dont se suffirait fort bien le Liban. Pour être fixé sur les grandioses desseins de l’Oncle Sam, il suffit d’écouter l’émissaire de la Maison-Blanche Steve Witkoff ou alors son adjointe Morgan Ortagus. Nul besoin, là, de fuites aussi énormes que celles de ce Signalgate incroyable d’amateurisme et de légèreté ; l’on y a vu en effet les boys de Trump se servir de leurs téléphones, groupés sans trop de précautions, pour se livrer à un grisant jeu de guerre contre les houthis du Yémen. En rigolant comme des bossus.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Dans la foulée de ce titre en technicolor qui ne doit rien hélas aux immortelles voyelles de Rimbaud, il faut tout d’abord marquer d’une pierre blanche cette journée de jeudi où le Liban en gravissime crise financière s’est doté d’un nouveau gouverneur de la banque centrale, événement en tout point capital, dans un pays où le dernier détenteur de cette haute charge se trouve incarcéré depuis sept mois pour malversations présumées dans diverses affaires.La nomination de Karim Souhaid aura cependant donné lieu à plus d’une première. Elle n’est pas cette fois le fruit d’un de ces ententes ou compromis négociés en coulisse, mais d’un vote des plus concluants intervenu en Conseil des ministres. Dans cette opération conduite à main levée, on a vu s’affronter au grand jour deux volontés que l’on...