L’onde de choc de la révolution annoncée, que Donald Trump s’est empressé de déclencher urbi et orbi dès le premier jour de son mandant, se propage inexorablement à l’intérieur comme à l’extérieur des États-Unis.
À l’intérieur du pays, on a vu la moitié du Congrès, exaltée, se lever comme un seul homme, toutes les deux minutes, ovationner le discours fleuve du président devant les deux chambres réunies, tandis que l’autre moitié, raillée à plusieurs reprises, semblait complétement dépassée.
Il faut dire que les démocrates peinent encore à sortir de l’état d’hébétude dans lequel leur défaite cuisante les a plongés, sans parler de la purge administrative qui s’en est suivie et des décrets cinglants signés tous azimuts. La prochaine échéance pour eux sera les élections de mi-mandat, en novembre 2026, mais le temps passe vite et la question qui se pose est de savoir si les coupes budgétaires brutales, les licenciements en masse, le remaniement profond des politiques en matière de soins de santé, d’éducation, de recherche, de prestations sociales, de minorités, de liberté d’expression, et autres, auront eu ou pas, d’ici là, leur effet boomerang.
Sur le plan externe, l’impact est tout au moins aussi profond. Par ses revirements, ses désengagements (Europe, OMS, USAID, climat), ses soi-disant solutions novatrices pour Gaza et l’Ukraine, ses sanctions contre la Cour internationale de justice et ses revendications néocoloniales sur le Canada, le canal de Suez et le Groenland, l’administration Trump ébranle l’ordre international.
Par sa guerre tarifaire contre le Canada, le Mexique, l’Union européenne et la Chine, l’administration Trump sape les fondements mêmes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont les États-Unis sont l’un des membres fondateurs et l’un des principaux bénéficiaires. Cela risque d’embarquer le monde dans des guerres commerciales et de l’entraîner dans une spirale inflationniste.
Si le monde arabe a suivi avec gêne la conférence de presse surprise, imposée au roi de Jordanie dans le Bureau ovale, c’est avec sidération que les alliés de l’Amérique, dans le monde entier, ont assisté au lynchage en direct du président ukrainien.
Le lâchage de l’Ukraine, au mépris des mémorandums de Budapest et du rôle déterminant joué par l’OTAN dans le déclenchement de l’invasion russe, est terrifiant pour les alliés et les pays amis des États-Unis. Le ministre de la Défense singapourien, allié des États-Unis en terre chinoise, y a vu le comportement non pas d’un allié, mais d’un propriétaire qui réclame le paiement des arriérés de loyers.
La presse taïwanaise a largement commenté le passage à tabac médiatique de Zelensky. Et pour cause. Face aux visées déclarées de son grand voisin, la petite île pourra-t-elle encore compter sur son allié américain ? À quel prix ? Donald Trump ne lui a-t-il pas récemment reproché de ne pas faire assez pour sa propre défense ?
Et Netanyahu, s’est demandé Haaretz, a-t-il eu froid au dos en voyant le président ukrainien pris en étau par le président et le vice-président américains et sommé de rembourser l’aide fournie ?
Le président égyptien, au vu de l’humiliation médiatique infligée au roi de Jordanie, a renoncé au grand oral dans le Bureau ovale. Le prince héritier saoudien en ferait-il de même, le moment venu ? Il a payé son dû par avance et promis des investissements à hauteur de 600 milliards de dollars, mais pourra-t-il pour autant « dormir sur de la soie », comme on dit chez nous ?
En Europe, les États-Unis, perçus jusque-là comme libérateurs, suscitent désormais la méfiance. L’alliance d’hier basée sur des intérêts stratégiques communs et sur des valeurs humaines, éthiques, culturelles et historiques communes se veut dorénavant une simple relation d’échanges commerciaux, à somme nulle, dans laquelle le moindre service est monnayé.
Friedrich Merz, futur chancelier allemand, a déclaré que l’indépendance de l’Allemagne vis-à-vis de l’Amérique sera la priorité de son mandat. Sous l’impulsion de la France et du Royaume Uni, l’Europe vient également d’adopter une enveloppe de 800 milliards d’euros pour son réarmement. Ainsi, la tumultueuse histoire de l’Europe de la défense, longtemps prônée par la France et freinée par les États-Unis, se voit revitalisée.
Les autres puissances feront-elles de même ? Le Japon, la Corée du Sud et d’autres pays chercheront-ils à acquérir l’arme nucléaire ? Serions-nous à la veille d’une nouvelle course aux armements ?
Paradoxalement, le système international que Donald Trump est en train de saper, y compris le système de libre-échange, est en grande partie l’œuvre des États-Unis et son outil pour asseoir sa domination sur le monde.
Le parapluie de défense que Donald Trump veut retirer à ses alliés renforce pourtant l’emprise des États-Unis sur ses derniers. Les programmes d’aide internationale démantelés l’un après l’autre, sont autant d’outils de soft power dans le monde entier, au même titre que la contribution élevée des États-Unis au budget de l’OMS, par exemple, ou à celui d’autres agences spécialisées des Nations unies. Même si, sur le papier, tous les pays membres de l’OMS, du BIT, de l’UIT, de l’OMPI, de la FAO et des autres organisations onusiennes sont égaux, certains pays, les États-Unis en particulier, y ont toujours pesé plus que d’autres, du fait même de leurs contributions budgétaires et extrabudgétaires élevés. Pourquoi s’en priver ?
Cette dominance politique et sécuritaire planétaire profite au statut indisputé du dollar dans les réserves et les échanges mondiaux, qui permet aux États-Unis de vivre impunément au-dessus de ses moyens depuis des décennies. Les revirements de politique extérieure ne risquent-ils pas d’éroder ces privilèges, de détrôner le dollar et d’affaiblir la puissance des États-Unis dans le monde ?
Ces chamboulements s’avèreront-ils un autogoal monumental ?
Le temps nous le dira mais ils constituent, sans le moindre doute, un cadeau inespéré pour la Russie et la Chine. Ils instaurent également un système international basé sur les rapports de force et l’impunité, ce qui enhardit les dictateurs en herbe et aiguisent déjà l’appétit des petits et moyens prédateurs, au Proche-Orient et ailleurs.
Toufic ABICHAKER
Ancien chef interprète de l’OMS
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.