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On doit au poète Pierre Reverdy cette très belle phrase concernant l’amour : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. » Cela ne sert à rien de dire à quelqu’un je t’aime s’il n’y a aucune preuve de notre amour.
Pour la haine, c’est la même chose. Mais là, la tentation, voire la tentative de détruire l’autre est toujours présente. En amour, s’il n’y a pas d’amour parce qu’il n’y a pas de preuves d’amour, l’autre est préservé car au pire il a affaire à un mensonge.
Dans la haine, la destruction est toujours là. Et comme il est difficile de supporter la haine en soi, contrairement à l’amour qui est un sentiment heureux, même s’il n’est pas payé de retour, on projette cette haine sur l’autre. La projection sur l’autre d’un sentiment qui nous appartient est un phénomène bien connu dans le monde psychique. Au lieu de reconnaître qu’on persécute quelqu’un, on croit fermement que ce quelqu’un nous persécute. On se défend alors contre l’autre, sentiment plus commode que de reconnaître cette persécution en soi.
Le pire sentiment de haine est celui qu’on adresse au mort, à un être cher qui vient de mourir. On lui en veut de nous quitter, de nous abandonner, on s’en veut de lui en vouloir et on lui en veut de nous pousser à en arriver là. Cette ambivalence est le propre du deuil. Et le deuil se termine quand cette ambivalence est épuisée.
Mais pour de nombreuses personnes, la haine pour le mort n’est pas assumée. On accuse un autre d’être responsable de la mort d’un être cher. Moyennant quoi, on ne fait pas notre deuil parce qu’on fait la guerre à cet autre. Entre autres, c’est une interprétation possible de la cause de la guerre en général.
Dans ce cas, la guerre devient interminable et, pire, elle se transmet de génération en génération. Faire la guerre devient une échappatoire pour ne pas faire son deuil. Et la haine de l’autre, parce qu’on ne peut haïr son mort, se transmet alors de génération en génération.
La vengeance, voire la vendetta s’installent. Bien connue en Corse, en Sicile et en Sardaigne, mais aussi dans le pourtour de la Méditerranée, la vendetta est une poursuite de la vengeance. Et elle peut se transmettre aux générations futures. Ainsi, au lieu de faire son deuil qui passe nécessairement par la haine du mort, on détourne cette haine vers un autre, supposé en être la cause. Moyennant quoi le deuil n’est pas accompli et les générations suivantes en paient le prix.
La naissance de l’humanité s’est fait par l’enterrement des morts et le deuil qui s’en suit, ne pas faire son deuil transforme les humains en cannibales avides de la chair et du sang de l’autre.
Cette régression est le propre du rêve qui permet à l’homme de transgresser les tabous et les interdits. Mais dans le rêve, cela reste du domaine de l’imaginaire, ce qui permet à l’être humain de ne pas passer à l’acte dans la réalité.
Ainsi, le refus du deuil par la vengeance et la vendetta ramène l’être humain à la sauvagerie de la préhumanité.
La celebration de la Ashoura depuis l'an 680 qui marque le deuil de l'imam Hussein en est me semble t-il un parfait exemple au niveau de toute une communauté. Excellent article.
10 h 16, le 23 mars 2025