Cette histoire pourrait être celle d’un roman et pourtant… C’est celle d’une femme qui m’appelle un jour pour prendre un rendez-vous, me demandant si je faisais des thérapies de couple. Je lui réponds : « Venez, on en parlera. » Âgée d’une soixantaine d’années – elle ne faisait pas son âge et paraissait beaucoup plus jeune, plutôt proche de la quarantaine –, elle vient pourtant seule à son rendez-vous.
« Depuis que la guerre a éclaté, mon mari a beaucoup changé », confie-t-elle. « Il est scotché à la télévision pour écouter les nouvelles. » Elle ajoute qu’il a été licencié, comme beaucoup pendant la crise de 2019, la boîte pour laquelle il travaillait ayant fait faillite, et que, depuis, il est devenu « impuissant ».
Avec une grande facilité et une franchise désarmante, elle me raconte que depuis, elle a « consommé » beaucoup d’amants. Pour le sortir de sa torpeur, elle le lui a dit. Sa réponse fut tellement indifférente qu’elle a, encore plus, multiplié ses aventures.
Mais son problème n’est pas là. Elle est retombée sur un « amour » de 20 ans, avec lequel elle vivait une histoire intermittente. Peu de temps après, à sa demande à lui, ils se mirent en couple. Je pense qu’elle est devenue polyandre, la version féminine de la polygamie.
Peu de temps après, son mari se suicide, mais en camouflant son geste, afin qu’elle puisse obtenir l’assurance-vie. Devenue riche, et libre, elle se comporte avec son nouveau partenaire comme elle le faisait avec son mari, maintenant décédé. « Vous savez, s’il n’y avait pas cette fichue guerre, je serais peut-être restée fidèle, » m’a-t-elle dit.
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne l’ai pas crue. Peu après, le dernier « amour » en date meurt dans un accident de voiture. « Vous savez, me dit-elle encore, je me comporte comme Don Juan, mais en pire. Ses conquêtes féminines étaient éplorées, mais elles restaient en vie. Moi, je tue mes amants, je suis une tueuse. »
Quoique troublé par cet aveu, je ne laisse rien transparaître. « Oui, je suis une tueuse, mes hommes meurent. » Elle a dit cela avec une telle froideur que je me suis senti glacé.
La question qui s’est posée à moi était dure : dois-je la prendre en thérapie analytique ou pas ? C’est cette froideur qui trancha : je ne peux pas la prendre ni en analyse ni en thérapie analytique. Je pense au livre collectif Le Désir et la perversion, cosigné par cinq des meilleurs analystes lacaniens, Piera Aulagnier-Spairani, Jean Clavreul, François Perrier, Guy Rosolaro et Jean-Paul Valabrega, et paru en 1967. À l’époque, j’avais avalé ce livre. Le pervers est analysable, dit Lacan. Il veut juste se mesurer à l’analyste en ce qui concerne la question de la jouissance. Connu pour avoir besoin d’un fétiche (soulier féminin, talon, dessous féminins en cuir…) pour pouvoir jouir, pour cette femme, le fétiche est la mort, comme la guerre. Elle en jouit.
Il faut la mettre en prison.Simple!
08 h 38, le 06 décembre 2024