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Idées - Commentaire

L’élection du président Joseph Aoun et les lectures erronées de la Constitution


L’élection du président Joseph Aoun et les lectures erronées de la Constitution

Le président de la République, Joseph Aoun, lors de son discours d’investiture, le 9 janvier 2025. Photo d’archives AFP

L es semaines précédant l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République ont proliféré des interventions affirmant l’illégalité de cette élection, comme contraire à la Constitution.

Il y a eu pire : pour expliquer leur adhésion pragmatique aux résultats de cette élection dont ils continuaient à contester la légalité, certains prétendaient qu’il s’agissait, pour eux, d’empêcher, par opportunisme, tout recours devant le Conseil constitutionnel contre le vote positif de la Chambre, afin d’empêcher qu’il ne demeurait un nombre de députés suffisant, le tiers au moins, pour signer le recours en invalidation.

Ces points de vue opposés partent d’une lecture inappropriée d’une disposition constitutionnelle qui, à partir des amendements introduits concomitamment aux accords de Taëf, en septembre 1990, interdit l’élection à la présidence de la République des fonctionnaires de première catégorie, au cours de l’exercice de leur fonction ou durant les deux années suivant sa cessation (article 49, 3e alinéa). Le général-commandant de l’armée est, légalement, comme un fonctionnaire de première catégorie, visé de ce fait par cette interdiction.

Lecture « exégétique »

Or s’agissant d’interpréter cette interdiction, diverses méthodes se présentent. La plus simple reviendrait à en faire une application littérale. Se référant à une expression attribuée au président Fouad Chéhab, il y en a qui croient dire le droit lorsqu’il leur faut appliquer un texte qui se présente à eux en répétant qu’il faut lire « le livre », quitte à ne retenir aucune nuance entre la violation de la Constitution et la non-application littérale d’une disposition constitutionnelle. Il en est ainsi de ceux qui prétendent et enseignent, sans nuance, que l’interdiction de l’article 49 est absolue. Mal perçue comme si elle limitait l’analyse à une simple lecture, cette invitation à revenir au « livre » ne doit pas faire oublier que l’étude de toute question à élucider était le fait de fins juristes et d’analystes politologues qui entouraient le président Chéhab.

Cette méthode « exégétique » aboutirait à dire que l’élection du 9 janvier 2025 est entachée d’une irrégularité équivalant à une violation de la Constitution. Ainsi le sexennat inauguré ce jour-là ne devrait son existence et sa durée qu’aux vertus de l’expiration du délai du recours en invalidation, du fait que, par complaisance, des députés ont voté en faveur de l’élection.

Erronée en droit, cette analyse est, en outre, contraire aux égards dus au chef de l’État. Elle viole également les règles de la bienséance à l’égard des représentants des États amis qui ont accompagné les méandres de toute cette période, truffée de difficultés. Que dire enfin de la majorité populaire qui avait applaudi à la fin d’une vacance à la tête de l’État ? Long de plus de deux ans et neuf mois, ce vide viole une saine compréhension de la Constitution qui consacre la primauté de la place qu’occupe le président de la République au sommet de l’État et des compétences régaliennes qui lui appartiennent en propre, à l’exclusion de tout autre autorité ou pouvoir. Une définition politicienne des pouvoirs du président de la République a ouvert la voie aux vacances et blocages répétés et à la violation du cadre et des limites des affaires courantes.

Interprétation hic et nunc

À cette méthode, on préfère de plus en plus la méthode dite « téléologique » qui situe le texte dans un environnement plus large et se projette dans l’avenir. En appliquant cette méthode au droit constitutionnel, le professeur Edmond Rabbath a justement écrit : « La loi s’est élevée au rang d’une institution qui possède sa vie propre, susceptible de s’arracher aux conditions sociales, devenues périmées, qui lui ont donné naissance. Sous peine de rester inopérante, une loi est toujours tenue d’obéir aux impératifs du milieu où elle est appliquée et, principalement, aux besoins nouveaux qu’il ressent. » (La Constitution libanaise, origines, textes et commentaires).

Ainsi pour interpréter l’alinéa 3 de l’article (49) de la Constitution, nous devons le faire hic et nunc, en tenant compte des circonstances de temps et de lieu : il en est ainsi, par exemple, du vide et du blocage qui perdurent à la tête de l’État ; des affaires courantes qui à la suite d’une mauvaise lecture du principe de la continuité des pouvoirs publics dépassent le cadre restreint et purement administratif de l’intérimat ; il en est ainsi également de l’état de guerre, qui dépasse de beaucoup le concept de circonstances exceptionnelles en droit public ; de la sauvegarde de l’intérêt général qui impose sa marque à chaque initiative administrative et politique, sans exclure la volonté du peuple terrorisé par les faits de guerre et les catastrophes qui les accompagnent. Autant d’éléments qui se situent en dehors des textes de la Constitution et s’imposent néanmoins à l’interprète, en droit public, puisqu’ils conditionnent la règle de droit.

Si l’on est sincère, en disant que le peuple est « la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté », comment, du fait d’une interprétation purement littérale, de l’article 49 (3e alinéa) de la Constitution, dépassée par les circonstances, voire même par le droit, ignorer la volonté populaire d’avoir enfin un chef qui dirige et qui traite avec son gouvernement, les conséquences et les risques toujours présents et inhérents à la situation catastrophique dans tous les domaines ?

Il est indubitable qu’avec ces circonstances de crises multiples, graves et persistantes, et la guerre qui menace de reprendre, à la méthode « exégétique » littérale, doit se substituer la méthode « normative » ou « téléologique » conditionnée par les circonstances et par la personnalité du chef qui, pour faire face aux dangers présents et redonner vie à l’intérêt général et au bien commun, jouit des qualités et de l’expérience accouplées à l’appui et au vœu de la majorité populaire.

Il en découle que les résultats de l’élection présidentielle du 9 janvier 2025 ne doivent rien à la complaisance de ceux qui disent que leur vote positif était dû à leur volonté d’éviter tout recours devant le Conseil constitutionnel.

Cette élection est totalement conforme à l’orthodoxie juridique. Elle n’est entachée d’aucune violation de la Constitution.

Par Hassãn-Tabet RIFAAT

Avocat, professeur émérite à la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, ancien directeur général de la Justice (1977-1982) et ancien président de l’Inspection centrale (1982-1987).

L es semaines précédant l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République ont proliféré des interventions affirmant l’illégalité de cette élection, comme contraire à la Constitution.Il y a eu pire : pour expliquer leur adhésion pragmatique aux résultats de cette élection dont ils continuaient à contester la légalité, certains prétendaient qu’il s’agissait, pour eux, d’empêcher, par opportunisme, tout recours devant le Conseil constitutionnel contre le vote positif de la Chambre, afin d’empêcher qu’il ne demeurait un nombre de députés suffisant, le tiers au moins, pour signer le recours en invalidation.Ces points de vue opposés partent d’une lecture inappropriée d’une disposition constitutionnelle qui, à partir des amendements introduits concomitamment aux accords de...
commentaires (1)

Voilà une explication qui est, on ne peut plus clair pour tous les grincheux qui commentent l’élection de notre président en la faisant passer pour illégitime. Ils auraient voulu que leurs zaims pourris restent en place pour continuer à massacrer le pays et ses citoyens en pillant et dégradant tout sur leur passage. Merci pour cet article indispensable pour tous les sourds et aveugles, qui ne cessent de regretter leurs leaders corrompus qui nous ont fait perdre des années de notre vie et la grandeur de notre pays.

Sissi zayyat

17 h 52, le 09 mars 2025

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Commentaires (1)

  • Voilà une explication qui est, on ne peut plus clair pour tous les grincheux qui commentent l’élection de notre président en la faisant passer pour illégitime. Ils auraient voulu que leurs zaims pourris restent en place pour continuer à massacrer le pays et ses citoyens en pillant et dégradant tout sur leur passage. Merci pour cet article indispensable pour tous les sourds et aveugles, qui ne cessent de regretter leurs leaders corrompus qui nous ont fait perdre des années de notre vie et la grandeur de notre pays.

    Sissi zayyat

    17 h 52, le 09 mars 2025

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