Critiques littéraires Critique

L’IA et l’intelligence « incarnée »

L’IA et l’intelligence « incarnée »

D.R.

Une brève histoire de l’intelligence de Max Bennett nous embarque dans une exploration fascinante de l’évolution de l’intelligence, depuis les premières formes de vie dotées d’un système nerveux jusqu’aux récentes avancées en intelligence artificielle (IA). En croisant neurosciences, biologie évolutive et recherche en IA, l’auteur tente de répondre à une question essentielle : qu’est-ce qui rend l’intelligence humaine si unique ?

L’intelligence s’est affinée au fil de millions d’années d’évolution, marquée par cinq grandes avancées qui ont débuté il y a environ 600 millions d’années, lorsque les premiers organismes dotés d’un système nerveux rudimentaire – des créatures vermiformes appelées bilatériens – ont acquis la capacité de se déplacer intentionnellement vers des environnements favorables. Ce premier pas vers l’intelligence a marqué le début d’une évolution progressive.

Avec le temps, l’orientation seule ne suffisait plus. Les premiers vertébrés ont développé un système de récompense basé sur la dopamine, leur permettant d’associer certaines actions à des conséquences positives ou négatives. Cette forme primitive de mémoire a jeté les bases de l’apprentissage et de la prise de décision.

Les mammifères ont ensuite franchi une étape décisive en étant capables de modéliser mentalement leur environnement et d’anticiper les conséquences de leurs actions avant de les exécuter. Cette capacité à simuler des scénarios leur a permis de résoudre des problèmes et de s’adapter à leur milieu.

Avec l’apparition des primates, l’intelligence sociale a pris une importance capitale. Pouvoir comprendre les intentions et les émotions des autres a permis des interactions plus complexes, facilitant la coopération, la tromperie et l’apprentissage collectif.

Enfin, l’humanité s’est distinguée par l’invention du langage, un outil puissant pour transmettre des idées abstraites, accumuler des connaissances et collaborer à grande échelle. Cette dernière percée a ouvert la voie à la civilisation telle que nous la connaissons.

Au fil du livre, Max Bennett dresse un parallèle entre l’intelligence biologique et l’intelligence artificielle. Si les IA modernes sont capables de battre les humains aux échecs ou au Go, elles échouent encore sur des tâches simples du quotidien, comme charger un lave-vaisselle. Pourquoi ? Parce que, contrairement à nous, elles ne comprennent pas vraiment ce qu’elles font. Elles « ne font que » traiter d’immenses quantités de données et reconnaître des motifs, sans perception ni expérience « incarnée » du monde.

L’auteur rappelle qu’il y a plusieurs décennies, des pionniers comme Marvin Minsky annonçaient que l’IA atteindrait l’intelligence humaine en une dizaine d’années. Or, l’intelligence ne se résume pas à une question de puissance de calcul : elle repose sur la curiosité, l’adaptabilité, la compréhension intuitive du monde et l’expérience sensorielle, des facultés propres au cerveau humain – du moins dans l’état de l’art actuel. Le cerveau humain reste ainsi une machine bien plus complexe avec ses 86 milliards de neurones interconnectés, il fonctionne selon des principes que nous comprenons encore mal. L’intelligence humaine ne se limite clairement pas à résoudre des problèmes  ; elle est guidée par des motivations profondes, des émotions et une volonté intrinsèque d’explorer et d’apprendre.

Les systèmes d’IA, eux, excellent à optimiser des tâches définies par des humains, mais n’ont pas de « soif innée de connaissance ». C’est une différence fondamentale qui rend peu probable l’émergence d’une IA véritablement autonome et consciente, sous sa forme actuelle.

Max Bennett pose une question intrigante : sommes-nous à l’aube d’une sixième grande percée de l’intelligence ? Sera-t-elle alors d’origine biologique, avec une nouvelle évolution de notre cerveau, ou viendra-t-elle de l’IA, si elle parvient à s’affranchir de ses limitations actuelles ? Il estime qu’une intelligence artificielle vraiment comparable à celle des humains devrait intégrer une forme de « cognition incarnée » qui nous autorise à interagir avec le monde physique en temps réel et à éprouver une motivation naturelle pour acquérir, traiter et interpréter l’information.

Le style clair, accessible et abondamment illustré d’Une brève histoire de l’intelligence nous offre un regard captivant sur l’évolution de la cognition et nourrit le débat autour de l’intelligence artificielle. Ce livre nous invite à réfléchir à ce qui fait la singularité de notre intelligence et à nous interroger sur l’avenir : serons-nous capables de recréer l’intelligence humaine ou resterons-nous à jamais face à une énigme irrésolue ?

A Brief History of Intelligence de Max Bennett, William Collins, 2023, 432 p.

Une brève histoire de l’intelligence de Max Bennett nous embarque dans une exploration fascinante de l’évolution de l’intelligence, depuis les premières formes de vie dotées d’un système nerveux jusqu’aux récentes avancées en intelligence artificielle (IA). En croisant neurosciences, biologie évolutive et recherche en IA, l’auteur tente de répondre à une question...
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