
Au verso, une cape de quatre mètres peinte à la main d’un cèdre, œuvre authentique de l’artiste Najla Hobeiche. Photo Patrick Sawaya
Surplombant la mer, partiellement détruit par la double explosion au port du 4 août 2020, le palais Sursock se refait une santé en attendant son grand retour à la vie. Sous ses lambris protégés par des filets, s’ébauche une animation qui présage une nouvelle ère. Le sol de marbre blanc quadrillé de noir, les colonnes et les murs vides entre lesquels souffle l’esprit de Lady Yvonne Cochrane, souveraine de ces lieux où elle fut mortellement blessée, accueillait un défilé du jeune couturier libano-panaméen Omran Osman.
Bravant la morsure glaciale du vent nordique déchaîné ce soir de fin février sur la ville sans que la lumière chaude inondant la façade ne parvienne à l’attendrir, les invitées n’avaient pas hésité à arborer sous leurs manteaux de fourrure aussitôt retirés ces robes de soirée épaules nues, décolletés vertigineux et jambes livrées aux éléments, perchées sur d’arachnéens talons que le marbre glissant malmenait sans pitié. Ce n’est qu’une heure trente passé l’heure annoncée, un temps occupé en poses et prises de photos, retouches maquillage, réglage des lumières et centaines de « posts » sur Instagram, que les dizaines d’influenceuses ont enfin été invitées à prendre place le long des ailes en croix du palais. La musique lounge est soudain interrompue par un silence annonçant l’arrivée de la pop star libanaise Maya Diab. Le couturier se précipite des coulisses pour embrasser l’icône populaire habillée par ses soins d’une robe courte en organza noir entièrement drapée et ornée aux épaules de deux roses géantes de la même matière. Le défilé peut commencer.
L’effet dramatique des lumières brusquement éteintes, ne laissant briller dans l’obscurité que le monumental monogramme en double « O » du jeune créateur, est aussitôt secoué par un éclairage a giorno braqué sur le premier mannequin, chaloupant sur les premières notes de Li Beyrouth. La jeune femme est habillée d’une longue robe blanche drapée à la taille, deux cèdres dorés se détachant sur le buste transparent. Au verso, soutenue par ses bras ouverts, une cape de quatre mètres glisse majestueusement sur le sol centenaire, peinte à la main d’un cèdre, œuvre authentique de l’artiste Najla Hobeiche qui n’a de cesse, depuis plusieurs années, d’explorer cet emblème choisi par les Libanais pour incarner leur pérennité.

Au-delà de cette collaboration symbolique en hommage à la capitale libanaise convalescente, le thème de la collection est Epica Esplendida, ou Splendide épopée. Un titre annonciateur de pourpres et d’ors antiques. Les smartphones se braquent alors sur une palette saturée de violets, de roses shocking et d’ors que Omran Osman déploie en une profusion de broderies baroques de type Cornely ou caviar, dans des scintillements de cristaux Swarovski ou de diamants véritables dont certains de près de 1,5 c. ornant des roses de tissu d’une valeur d’un demi-million de dollars ou un corset doré. Plus surprenant encore est le récit qui inspire cette ligne de 25 modèles déclinés en crêpe, taffetas, satin duchesse, tulle et mousseline, tout en volumes et sculptures complexes. Il s’agit d’une vision couture centrée sur les amours compliquées du baron du cartel de Medellin, Pablo Escobar, partagé entre son épouse Maria Victoria Henao et ses nombreuses maîtresses dont la plus connue est Virginia Vallejo. On navigue entre les années 1970 et 1980, le luxe exotique et la majesté byzantine. Deux robes de mariée, blanches, clôturent le défilé, l’une romantique avec sa longue traine transparente ornée de cristaux en rivière, l’autre en double éventail plissé soleil ornée en son milieu d’un motif de cristaux brodés.