
Serana Hanna. Photo Micheal Aoun
« Le sentiment d’insécurité sur les routes m’envahit », confie Amar Sakr, qui poursuit un master en architecture d’intérieur à l’USEK. Travaillant à Dar al-Handasah, elle confie ressentir également un véritable danger à chaque fois qu’elle traverse la rue. « Les piétons se sentent plus en danger que les conducteurs au volant. » Une inquiétude que partage Serena Hanna, 18 ans. « On entend beaucoup de mauvaises nouvelles ces derniers temps... L’absence d’application de la loi et le manque de surveillance et de contrôle créent une profonde appréhension ! » souligne cette étudiante en première année d’audiovisuel à la NDU.
Amar Sakr. Photo Charles Jabbour
« La route est l’endroit où nous sommes le plus souvent en contact avec les autres. Nous vivons dans une jungle », lance quant à lui Jimmy Salem, étudiant en première année de droit à l’Université de la Sagesse. Quant à Antonio Costantine, âgé de 21 ans et dont le sentiment d’insécurité sur la route « varie en fonction du comportement des autres conducteurs », il avoue « ne jamais savoir ce qui pourrait arriver si le conducteur en face est en colère ! » Cet étudiant en troisième année de finance à l’USEK blâme la situation financière et économique qui « pousse les Libanais à réagir d’une façon incontrôlable ».
Le jeune influenceur sur les réseaux sociaux et entraîneur de sport poursuit : « Tout peut provoquer le conducteur libanais et le pousser à perdre son sang-froid ! Parfois, un simple regard suffit à le faire réagir et l’entraîne dans une dispute inutile. » « Les conducteurs sont inattentifs et souvent distraits par leur téléphone portable. Je les trouve coléreux et agressifs la plupart du temps, surtout à Beyrouth lorsque les travailleurs se précipitent pour quitter leur travail », constate Amar Sakr. Serena Hanna acquiesce : « Chaque jour, je suis témoin d’une pluie d’insultes sur les routes. » Estimant, elle aussi, que les conducteurs ne sont pas toujours concentrés et « qu’ils sont souvent anxieux », elle souligne que « la concentration est un élément essentiel selon les règles du code de la route et les formations à la conduite ». Par ailleurs, elle constate que « chaque personne au volant croit que la route lui appartient ! L’ego joue un rôle déterminant : un conducteur n’accepte pas qu’un autre le double. Ce n’est pas une course de formule 1 ! » « Les conducteurs n’admettent pas toujours leurs erreurs et cherchent à se montrer supérieurs aux autres, déplore-t-elle. Chaque incident peut déclencher une colère incontrôlable. »
Antonio Costantine. Photo DR
Des risques multiples
Antonio Costantine évoque un autre problème majeur : le fait qu’un grand nombre de jeunes conduisent sans permis de conduire. « Les jeunes recherchent la montée d’adrénaline déclenchée par l’accélération », juge Amar Sakr. Un avis que Serena Hanna ne semble pas partager, estimant que les jeunes d’aujourd’hui sont très vigilants et prudents sur la route, en particulier ceux âgés de 18 à 21 ans. « La suspension de la délivrance des permis au centre d’enregistrement des véhicules (Nafaa) les incite à plus de prudence, car l’assurance ne couvre aucun dommage en cas d’accident », explicite-t-elle. Antonio Costantine, qui redoute « de conduire sur la voie de gauche », ajoute « ressentir une certaine incertitude. Les motos qui tournent follement autour des voitures représentent une menace constante. L’absence de radar pour repérer les excès de vitesse est un réel problème, aggravé par le manque de présence policière pour surveiller la situation routière ».
Les jeunes interviewés pointent du doigt également l’état du réseau routier inadapté au Liban. « Les routes manquent d’entretien, elles sont mal éclairées et, dans la plupart des cas, les feux de signalisation sont en panne », résume Serena Hanna. « Sans oublier les piétons qui se jettent parfois devant les véhicules en marche. » Amar Sakr souligne un autre facteur de risque : une préparation à la conduite insuffisante. « Les formations manquent de sensibilisation à la gestion du stress au volant. » Serena Hanna, qui conduit depuis quatre mois, évoque l’écart entre la théorie et la réalité. « Sur le terrain, tout est différent ! Nous ne sommes pas suffisament préparés aux imprévus ! »
Jimmy Salem. Photo Christina Chebabi
Une formation renforcée, des mesures préventives et un sursaut du ministère des Travaux publics
« Le ministère des Travaux publics est pratiquement absent, ce qui explique la détérioration des routes, particulièrement en hiver. Nous ne voulons plus perdre de jeunes à cause de l’insécurité routière », déclare Jimmy Salem. Pour réduire les accidents, « il est primordial d’équiper nos routes inadaptées et de mettre en place des sanctions plus sévères », estime Amar Sakr. Selon Antonio Costantine, « des mesures préventives doivent être mises en place pour sensibiliser davantage les jeunes au code de la sécurité routière, qui reste trop souvent une théorie sans pratique. » Le jeune homme insiste sur le rôle crucial de la police. « Il est essentiel de garantir la sécurité générale en appliquant la loi, en responsabilisant et en sanctionnant toute personne qui commet une infraction. Les jeunes doivent développer un véritable sens civique en matière de sécurité routière. »
Serena Hanna exhorte l’État à renforcer la surveillance et les sanctions liées au non-respect du code de la route, ainsi qu’à imposer des amendes, qui demeurent, selon elle, « le seul moyen pour inciter les citoyens à respecter les règles routières ». Pour elle, « les jeunes conducteurs, de leur côté, doivent s’autodiscipliner afin de ne pas laisser la colère les dominer et les pousser à commettre des actes irresponsables ». Pour Jimmy Salem, il est essentiel d’élargir le champ des campagnes de sensibilisation. « Il faut alerter sur les dangers de la conduite sous l’effet de l’alcool et de la drogue, l’utilisation du téléphone au volant, ainsi que la conduite en état de fatigue », insiste-t-il. L’étudiant se souvient d’une campagne de sensibilisation organisée par la fondation Kunhadi dans son école : « C’était la première fois qu’on nous expliquait réellement le code de la sécurité routière. » Il souligne que le secteur privé tente tant bien que mal de pallier les lacunes du secteur public. Et de conclure sur une note plus optimiste : « Malgré ce chaos, je ne perdrai pas espoir. Ce pays nous appartient, nous avons un rôle à jouer ! »
Et les moins jeunes,? C’est uniquement les jeunes que cela concerne ?
17 h 45, le 16 février 2025