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Eschatologie barbare

L’expression eschatologie barbare est une combinaison de deux concepts distincts mais complémentaires : l’eschatologie (« eschatos » signifie le dernier ou l’ultime et « logos » est l’étude), qui se réfère aux doctrines relatives aux fins dernières de l’humanité. Elle est souvent associée à des notions de fin du monde, du jugement dernier, du retour du Messie et du Mehdi ou la bataille finale entre le bien et le mal. Le concept de barbare est généralement perçu comme une altérité religieuse, culturelle, radicale, sauvage, destructrice. Donc l’eschatologie barbare se rattache à une vision apocalyptique du monde, non pas par une transition ordonnée vers un ciel nouveau et une terre nouvelle, ou une fin structurée par des concepts religieux ou philosophiques élevés, mais plutôt par une destruction brutale, chaotique sans rédemption. Au nom d’Allah, c’est l’idée de destruction et d’incivilité, d’une fin du monde où la violence, la sauvagerie et la désintégration des valeurs humaines, culturelles et morale prédominent.

Donc, cette eschatologie barbare serait synonyme de chaos, de brutalité et de la fin de la civilisation humaine sans espoir ni issue constructive. Cette régression civilisationnelle marque l’idée que la fin du monde ne serait pas marquée par une élévation spirituelle, mais par un retour à la barbarie, à une forme de brutalité primitive où toute notion de culture, de progrès ou d’humanité disparaîtrait et par une absence de transcendance. Dans ce sens, il ne faut pas sous-estimer la puissance des motifs et des mythes.

Parallèlement aux considérations géopolitiques connues, l’émotion eschatologique des peuples, en Orient particulièrement, entraîne des bains de sang sur le fond d’une « guerre des dieux » sur une Terre promise entre les grandes religions monothéistes – le judaïsme, le christianisme et l’islam. Les guerres actuelles, ces guerres saintes s’inscrivent dans l’histoire humaine des communautés d’Orient comme « Qadâ’ wa Qadar », une lutte tragique entre les peuples religieusement et idéologiquement endoctrinés, chacun croyant défendre la volonté divine en opposition à celle des autres. Ces conflits historiques et religieux, motivés par la foi, la mythologie et l’idéologie sont souvent menés au nom de Dieu. Ils peuvent être interprétés comme des manifestations d’une eschatologie à dimension barbare où la parousie (le retour du Messie, de Jésus et du Mehdi) et la fin du monde prennent une forme paradoxalement a-sacrée, violente et sanguinaire. Loin de conduire à une union transcendante de l’humanité avec le divin, cette forme d’eschatologie destructrice semble écartelée entre des conceptions concurrentes de la fin des temps, chacune teintée de violence et d’hostilité.

Au Proche-Orient, les religions monothéistes possèdent des récits eschatologiques qui promettent la fin du monde ou la venue d’un « Jugement dernier », où chacun sera appelé à rendre compte de sa foi et de ses actes. Le judaïsme, bien qu’il n’ait pas de vision aussi structurée de l’eschatologie, partage l’attente d’un Messie et d’une ère de paix finale. Dans le christianisme, l’Apocalypse est décrite comme un affrontement final entre le bien et le mal, avec le retour du Christ et le jugement des âmes. Dans l’islam, il existe l’idée de la fin des temps (« Yawm al-Qiyâmah ») ou « Yawm al-Hisâb », marquée par l’apparition du Mehdi, le retour de Issa et la venue de « Yajuj et Majuj » et par un dernier jugement.

Malgré des divergences doctrinales, ces religions se rejoignent dans l’idée que la fin des temps marquera un triomphe du divin sur le mal. Cependant, lorsque les hommes interprètent cette vision comme un appel au combat terrestre, une guerre sainte contre les « ennemis de la foi », l’eschatologie prend un tour violent, barbare. La « guerre des dieux » se traduit alors en guerres terrestres. Ces guerres n’étaient pas seulement des conflits pour des terres, pour des idées, des ambitions ou pour des richesses, mais incarnaient une rivalité eschatologique, une lutte pour le contrôle du destin spirituel de l’humanité. Chaque camp voyait l’autre comme un représentant du mal et s’autorisait à agir avec une violence extrême, convaincu que ses actions étaient légitimées par une autorité divine. Dans cette eschatologie barbare, le sacré et le barbare se confondent, puisque la fin espérée n’est plus le triomphe de l’humanité, mais l’écrasement total de l’autre.

Aujourd’hui, l’eschatologie barbare se perpétue à travers les idéologies religieuses extrémistes qui prônent la violence au nom d’une vision de la fin des temps. Dans certaines versions radicales de l’islamisme, des groupes extrémistes annoncent un djihad mondial comme prélude au jugement divin, cherchant à imposer leur vision apocalyptique par la force. De même, certains mouvements chrétiens, notamment les mouvements millénaristes, attendent et encouragent des conflits pour hâter la venue de la fin des temps, voire des catastrophes naturelles et humaines qui sont perçues comme des signes divins. Cette guerre des dieux moderne ne se limite pas au Moyen-Orient, mais s’étend à travers des actes de violences religieuses et des discours de haine qui opposent les peuples en réactualisant l’idée de guerre sainte.

Dans cette vision eschatologique moderne, la barbarie n’est plus seulement l’affrontement des armées, mais elle passe aussi par la guerre psychologique et l’instrumentalisation des médias pour diviser les peuples et les nations. Les extrémistes de chaque camp voient dans les autres religions des menaces à éliminer, nourrissant une idéologie qui n’a plus besoin de grandes croisades pour s’imposer mais qui se manifeste par une violence au quotidien.

En extrapolant cette tendance à l’avenir, la « guerre des dieux » pourrait se traduire par une polarisation accrue des sociétés humaines, où l’identité religieuse devient un motif de confrontation irréconciliable. Cette vision d’un futur eschatologique barbare serait marquée par des guerres civiles, des conflits ethniques et religieux, et une instabilité globale, un « choc des civilisations » permanent qui pousse l’humanité vers une fin fracturée. Le danger ici n’est pas seulement physique mais psychologique : une humanité divisée en communautés hostiles, méfiantes et repliées sur elles-mêmes, qui voit dans l’autre non pas un semblable mais une menace à éradiquer.

L’eschatologie barbare contemporaine pourrait également s’accentuer à travers les technologies modernes, notamment les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle, qui, confondues, permettent la diffusion massive de discours extrémistes et de propagandes radicales, instrumentalisant les croyances religieuses pour les transformer en armes idéologiques. Dans un tel contexte, la guerre des dieux devient un horizon permanent de haine et de violence, une fin des temps sans résolution qui nourrit un cycle de barbarie perpétuel, où chaque groupe croit jouer un rôle sacré dans une confrontation ultime entre le bien et le mal.

Face à ce tableau sombre, dépasser l’eschatologie barbare impose une réconciliation des religions monothéistes, non pas dans un syncrétisme naïf, mais dans une reconnaissance de l’humanité commune. Ce dépassement appelle à repenser l’eschatologie non comme une guerre entre dieux rivaux, mais comme une quête de paix et de compréhension mutuelle, où la fin des temps serait le début d’une humanité plus unie. L’alternative à l’eschatologie barbare est une eschatologie de la fraternité, où chaque croyance contribue à la survie et non à la destruction de l’autre.

Ainsi, il est nécessaire de reconstruire une vision commune de la fin, non pas marquée par l’élimination des autres religions mais par une compréhension que la fin de l’humanité viendrait de son incapacité à coexister pacifiquement. Cette eschatologie nouvelle offrirait une perspective pour sortir de l’enchaînement de violences et de divisions, évitant que l’avenir de l’humanité ne devienne une succession de guerres saintes marquées par la barbarie.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

L’expression eschatologie barbare est une combinaison de deux concepts distincts mais complémentaires : l’eschatologie (« eschatos » signifie le dernier ou l’ultime et « logos » est l’étude), qui se réfère aux doctrines relatives aux fins dernières de l’humanité. Elle est souvent associée à des notions de fin du monde, du jugement dernier, du retour...
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