Sans le dire ouvertement, le tandem chiite est assez inquiet. Le « traumatisme » de ce qui s’est passé le lundi 13 janvier avec la désignation surprise de Nawaf Salam – alors qu’ils s’attendaient à un accord autour de la reconduction de Nagib Mikati – à la présidence du gouvernement reste vivace.
Pour le tandem, le coup est dur et, surtout, il est double. Non seulement ce qu’il appelle un accord préliminaire conclu avec le président Joesph Aoun et avec des parties étrangères au sein du Quintette n’avait pas été selon lui respecté, mais de plus un message clair lui avait été envoyé, selon lequel il apparaît qu’un président du Conseil peut être désigné avec ou sans les voix chiites. C’est d’ailleurs une première dans la vie politique libanaise depuis la conclusion de l’accord de Taëf (1989) qui a donné aux parlementaires la prérogative de désigner le président du Conseil à travers les consultations obligatoires. Mais en même temps, il n’y a rien dans la Constitution qui exige que le président du Conseil obtienne des voix de toutes les composantes confessionnelles. Le processus est donc légal.
Nawaf Salam a donc été désigné et le tandem chiite, qui ne s’oppose pas à la personne en elle-même, s’est senti exclu. Il a immédiatement riposté en refusant de participer aux consultations parlementaires facultatives, menées par le président du Conseil désigné, tout en précisant qu’il ne compte nullement boycotter Salam ni bouder le gouvernement en gestation. D’ailleurs, la réunion le 17 janvier, au lendemain des consultations parlementaires facultatives, entre le président de la Chambre Nabih Berry et le Premier ministre désigné était un message clair en ce sens.
Dès lors, les contacts pour la formation du gouvernement ont été entamés et, selon les informations rapportées par les médias, la communauté chiite devrait en principe obtenir 5 portefeuilles, dont le ministère des Finances. Les personnalités choisies devraient avoir, au moins, l’approbation des deux formations chiites, qui disposent de toute la représentativité parlementaire de cette communauté. Ces informations sont de nature à rassurer les deux formations et la communauté chiite en général. Mais elles ne sont pas confirmées par des sources officielles et aussi bien le Hezbollah qu’Amal craignent que la tendance change à la dernière minute, comme cela a été le cas pour l’élection présidentielle le 9 janvier dernier. D’autant que cette fois, aucun accord préliminaire n’a été conclu et il n’y a pas eu de discussion préalable à ce sujet. Ainsi, la dernière déclaration de Salam dans laquelle il affirme qu’aucune communauté n’a le monopole d’un portefeuille en particulier a été perçue comme une possibilité d’octroyer les Finances à une autre communauté, sous prétexte d’adopter le principe de la rotation dans les portefeuilles régaliens, mettant ainsi les deux formations chiites devant le fait accompli. C’est d’autant plus possible que le portefeuille des Finances est déterminant pour la période à venir, en raison des fonds attendus pour la reconstruction du pays. Ce qui inquiète le tandem chiite, qui craint que la distribution des fonds pour la reconstruction, après le refus des aides iraniennes, ne soit une arme dirigée contre lui. De même, pour le Hezbollah en particulier, la visite jeudi du ministre saoudien des Affaires étrangères Fayçal ben Farhane pourrait être l’occasion de décider d’exclure cette formation, sachant que, selon plusieurs sources diplomatiques et politiques, les Saoudiens ont joué un rôle dans l’élection du général Joseph Aoun à la présidence et dans la désignation de Nawaf Salam. Le timing de cette visite, au moment où les tractations pour la formation du gouvernement vont bon train, est venu augmenter encore les craintes du tandem chiite.
Pour l’instant, il s’agit de simples craintes, car cette visite est surtout le signe de la volonté saoudienne de revenir au Liban après les années de froid, en marquant l’intérêt porté à l’élection d’un nouveau président de la République, qui plus est appuyé par les autorités de Riyad. Celles-ci l’avaient en effet reçu il y a quelques semaines alors qu’il était encore commandant en chef de l’armée, montrant ainsi l’intérêt particulier qu’elles lui portent. Toutefois, le Hezbollah (et le tandem chiite en général) se sent actuellement pris pour cible à l’intérieur et craint donc de faire les frais de ce que certaines parties appellent « la nouvelle donne régionale et internationale ». Mais il a choisi, cette fois, de ne pas exprimer ouvertement ses craintes ou son éventuel mécontentement. Il a donc changé de tactique, optant pour le silence en attendant la suite des développements. Il est aussi conscient du fait que les entraves à la formation du gouvernement viennent de toutes les parties et de toutes les composantes. C’est pourquoi il estime que, pour l’instant, il ne doit pas s’en mêler. Il vaut mieux laisser les responsables régler d’abord les problèmes avec les autres parties et il sera ensuite toujours temps d’exprimer son mécontentement si le besoin s’en fait sentir. Mais, en douce, la méfiance reste de mise.
Si le tandem chiite est encore sous « le traumatisme du 13 janvier, c’est qu’il refuse d’admettre ses erreurs et les dégâts catastrophiques engendrés. Dans ces conditions, il est impossible qu’il soit capable d’apporter une aide quelle qu’elle soit au Liban.
18 h 27, le 24 janvier 2025