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Nos Lecteurs ont la Parole

Le slogan « civilisation contre barbarie » : une propagande coloniale

Le slogan « civilisation contre barbarie » : une propagande coloniale

Le musée du Quai Branly à Paris témoigne de la richesse artistique et culturelle de civilisations dont l’impact demeure durable malgré la disparition de plusieurs d’entre elles. Photo d’illustration Bigstock


Le slogan « civilisation contre barbarie » a souvent été invoqué pour légitimer le colonialisme. Mais peut-il réellement résister à un examen historique ? Pour répondre à cette question complexe, il est crucial d’étudier la colonisation dans toute sa complexité, depuis le XVe siècle jusqu’à la libération de la plupart des colonies au milieu du XXe siècle.

Poussés par une idéologie complexe mêlant supériorité culturelle et supériorité religieuse et raciale, et forts de leur avancée technologique en matière de navigation, de cartographie et d’armement, les Européens du XVe siècle se sont lancés dans une vaste entreprise coloniale. Convaincus d’être porteurs d’une civilisation et d’une religion universelles, ils justifiaient leur expansionnisme par l’idée qu’ils étaient investis d’une mission consistant à « civiliser » et à évangéliser les peuples dits « sauvages ». Cette vision ethnocentrique, nourrie par les théories racistes et

pseudo-scientifiques de l’époque, légitimait la domination européenne et l’exploitation des populations colonisées. Cependant, derrière cette façade idéologique se cachaient principalement des motivations économiques et politiques, à savoir la recherche de nouvelles routes commerciales, de matières premières précieuses, de débouchés pour leurs produits manufacturés en plein essor, ainsi que de moyens d’accroître leur puissance militaire. Voilà ce qui animait, en réalité, les puissances coloniales et attisait ainsi les rivalités entre les nations.

Les principaux empires coloniaux formés étaient l’Empire britannique, celui de la France, de l’Espagne et du Portugal, tandis que la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, la Suède, l’Allemagne et l’Italie s’étaient contentés d’activités coloniales plus modestes. Des continents entiers, tels que l’Afrique, l’Amérique, l’Océanie et une grande partie de l’Asie, ont été colonisés, bien qu’ils aient été le berceau de civilisations développées et riches, influençant la philosophie, la littérature, l’art et la musique du monde. Le musée du Quai Branly à Paris témoigne de la richesse artistique et culturelle de ces civilisations dont l’impact demeure durable malgré la disparition de plusieurs d’entre elles.

Les Européens ont asservi ces civilisations sans reconnaître leur richesse culturelle. Il en est ainsi de l’Inde sous occupation britannique dans laquelle la civilisation védique ainsi que d’autres civilisations anciennes d’Indochine ont joué un rôle crucial dans l’histoire et continuent d’influencer les croyances et les philosophies en Inde et en Occident. En Afrique, outre la civilisation arabo-

musulmane en Afrique du Nord, d’autres civilisations telles que l’Empire du Mali, l’Empire du Ghana, le royaume de Koush et le royaume d’Aksoum ont également laissé leur empreinte dans l’histoire. Les masques africains ont inspiré le cubisme, notamment Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, et leur musique a influencé des genres occidentaux tels que le jazz, le blues et le gospel. En Amérique centrale et en Amérique du Sud, des civilisations telles que les Incas, les Mayas et les Aztèques sont parvenues à des avancées notables dans le domaine de l’art, de l’architecture, des sciences, de l’agriculture et de l’astronomie. De même, les peuples autochtones d’Amérique du Nord vivant en harmonie avec la nature ont développé des sociétés riches en culture et en traditions.

Sitting Bull, chef de tribu américain, dans une lettre au président américain, critique la civilisation européenne, affirmant que l’homme appartient à la terre, non l’inverse. Il oppose le respect autochtone de la nature à l’exploitation vorace des Européens, interrogeant ainsi la notion de civilisation.

La colonisation européenne a laissé un héritage tragique, marqué par des pertes humaines massives, la destruction de cultures et l’exploitation brutale des ressources. Elle s’est déroulée dans une violence impitoyable, avec des soulèvements réprimés dans le sang, des tortures et des épisodes de famine et d’épidémies. En effet, les colonisateurs considéraient les peuples autochtones comme des sujets, dépourvus des droits de citoyenneté.

Parmi les événements les plus marquants, on peut citer :

– La colonisation française qui a provoqué environ deux millions de morts lors de la guerre d’indépendance d’Algérie, de la révolte de Madagascar en 1947, de la répression anticoloniale au Cameroun entre 1950 et 1960 et de la guerre d’Indochine entre 1946 et 1954.

– La colonisation britannique qui a causé entre 40 000 et 80 000 victimes durant les deux guerres anglo-sikhes entre 1845 et 1849, environ 15 millions de morts lors de la Grande Famine de 1876-1878 en Inde et environ trois millions de morts au cours de la famine de 1943 au Bengale, exacerbée par la politique de Winston Churchill. Dans les années 1950, la répression de la rébellion des Mau Mau au Kenya a causé la mort de plus de 100 000 rebelles et civils.

– Sous Léopold II, roi de Belgique, au Congo (1885-1908), l’exploitation économique brutale a causé la mort d’environ dix millions de Congolais, soit un tiers de la population. En Amérique, les populations autochtones ont été réduites à des minorités marginalisées, luttant pour préserver leur identité face à des injustices persistantes. En Australie, les peuples autochtones ont subi des violences, des confiscations massives de leurs terres et la mort de 90 % de leur population due à la maladie, la violence et la dépossession. La colonisation espagnole et portugaise en Amérique latine a anéanti des populations entières par la guerre, l’esclavage et les maladies. Enfin, la traite des esclaves a arraché des millions d’Africains à leur terre et à leur identité, les condamnant à une vie de servitude.

De plus, les indigènes des colonies étaient massivement mobilisés par les colonisateurs européens pour des guerres qui n’étaient pas les leurs, assumant les missions les plus dangereuses et subissant des pertes disproportionnées par rapport aux armées européennes. Le général français Charles Mangin, dans La Force noire (1910), les considérait comme une réserve de soldats sacrifiés en cas de conflit. Cette réalité a renforcé les motivations des révoltes en faveur de l’indépendance après la Seconde Guerre mondiale.

Bien que tous les pays européens aient eu recours à l’exploitation de leurs colonies, leurs approches étaient distinctes. La France a ainsi adopté une politique d’assimilation, imposant aux peuples dominés langue, éducation et valeurs françaises. Les Britanniques, quant à eux, ont pratiqué une domination indirecte, maintenant en place les structures locales du pouvoir. De leur côté, le Portugal et l’Espagne ont favorisé le métissage et l’évangélisation. En pratique, les politiques coloniales, nuancées et complexes, variaient selon les circonstances locales. Ainsi, les Français ont appliqué le protectorat en Tunisie, au Maroc et en Indochine française, permettant à ces régions de conserver une certaine autonomie politique intérieure.

Malgré les nombreux aspects négatifs de la colonisation, certaines infrastructures et technologies introduites par les colonisateurs ont eu un impact positif, quoique limité, sur les populations locales. Les colonisateurs ont ainsi construit des routes, des ponts, des chemins de fer, des ports, des écoles et des hôpitaux, facilitant ainsi le commerce et améliorant la mobilité et l’accès aux services de santé, ce qui a parfois contribué à augmenter l’espérance de vie et à promouvoir l’éducation dans certaines régions. De plus, les technologies introduites ont pu améliorer la productivité industrielle et agricole, certaines infrastructures stimulant le développement économique en intégrant les sociétés colonisées dans l’économie mondiale et en leur permettant de bénéficier des avancées technologiques et industrielles de l’époque. Cependant, il est important de noter que ces réalisations étaient souvent conçues pour servir les intérêts des colons et n’ont pas toujours bénéficié de manière équitable à toutes les populations locales, contribuant ainsi à perpétuer les disparités socio-économiques héritées de la colonisation.

Après la colonisation, la France a créé des institutions telles que la Francophonie et la Renaissance française, association visant à renforcer la culture française dans les anciennes colonies et dans d’autres pays francophones à travers le monde.

Cependant, la colonisation européenne, loin de se résumer au simple slogan « civilisation contre barbarie », fut une entreprise complexe et controversée, marquée par l’exploitation, la violence et les injustices. Si elle a apporté quelques infrastructures et technologies aux peuples sous sa domination, son impact global sur les sociétés colonisées fut dévastateur, bouleversant leurs structures socio-

économiques, politiques et culturelles, ses séquelles persistantes encore jusqu’à aujourd’hui. Cela, sans compter l’exploitation continue des ressources naturelles et humaines des anciennes colonies par l’Occident, souvent via des gouvernements locaux corrompus, qui perpétue les injustices du passé.

En conclusion, la colonisation européenne constitue une période sombre de l’histoire de l’humanité. Reconnaître ses atrocités et leurs effets durables et s’engager à réparer les injustices persistantes est essentiel afin de pouvoir construire un avenir plus juste et plus inclusif pour tous.

Architecte DPLG

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Le slogan « civilisation contre barbarie » a souvent été invoqué pour légitimer le colonialisme. Mais peut-il réellement résister à un examen historique ? Pour répondre à cette question complexe, il est crucial d’étudier la colonisation dans toute sa complexité, depuis le XVe siècle jusqu’à la libération de la plupart des colonies au milieu du XXe siècle.Poussés...
commentaires (1)

Complimenti très intéressant

Eleni Caridopoulou

19 h 47, le 22 janvier 2025

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Commentaires (1)

  • Complimenti très intéressant

    Eleni Caridopoulou

    19 h 47, le 22 janvier 2025

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