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La métamorphose en marche

Oui, le changement est bien là, il est résolument en marche et chaque jour nous en apporte une nouvelle preuve, dans la région comme au sein du microcosme libanais. D’aucuns n’y verront que le résultat d’un irrésistible effet Trump, illustré entre autres par l’accord de cessez-le-feu à Gaza, et qui pour opérer n’aura pas attendu l’investiture du président élu républicain. Pour d’autres, on assiste plutôt à une logique conséquence de la déroute que vient d’essuyer, au Liban comme en Syrie, l’axe iranien. Ce n’est pas cependant faire preuve d’angélisme que de croire fermement à une salutaire évolution (on n’ose encore parler de mutation !) de l’action politique, telle qu’elle était funestement pratiquée au Liban.

En élisant le général Joseph Aoun à la présidence de la République, en désignant le magistrat Nawaf Salam pour former le nouveau gouvernement, les députés ont sans doute appréhendé correctement l’air du temps, capté et suivi la direction du vent. Une fois n’est pas coutume, ils se sont aussi conformés à la massive exigence populaire de renouveau, de progrès, de retour à la normalité institutionnelle dans le fonctionnement de la vie publique. De la vie oui, on ne le soulignera jamais assez, plutôt que du suicidaire culte de l’irresponsabilité, de l’aventure, du désastre, imposé depuis des décennies au pays et érigé en doctrine de gouvernement. Voilà toujours un début d’amendement offert à ces charmants élus, pour peu évidemment qu’ils accompagnent et étoffent un processus qui n’a pas fini de bénéficier d’un vaste soutien international.

Pour nous encourager à persévérer dans la bonne voie comme pour s’assurer de la bonne marche de la pacification de la frontière sud, le chef de l’ONU et le premier des Français foulaient tous deux notre sol hier. Une fois de plus, c’est Paris qui prend l’initiative d’abriter une méga-conférence pour aider à la reconstruction du Liban ravagé par la guerre. Chargé de symboles, de foi dans la capacité du Liban à se relever, est par ailleurs le pèlerinage, agrémenté d’un bain de foule, qu’a tenu à effectuer Emmanuel Macron dans cette rue Gouraud ravagée par les explosions de 2020 au port de Beyrouth, et qu’il avait déjà parcourue dès le lendemain du criminel cataclysme. Or il faut croire qu’une hirondelle ne vient – ou ne revient – jamais seule.

Par un heureux hasard augurant d’une réhabilitation de la justice, l’on voit en effet l’indomptable enquêteur, Tarek Bitar, longtemps ligoté par un parquet sensible aux pressions politiques, reprendre du service et décocher toute une salve de poursuites contre des responsables sécuritaires et fonctionnaires du port.

Reste cependant l’essentiel, à savoir la forme et le programme solennel du gouvernement à naître. À cet égard, le duo Amal-Hezbollah n’a fait ces derniers jours que collectionner les paradoxes. Il s’est empressé de décréter illégitime, car enfreignant la règle de coexistence communautaire, tout cabinet qui le frapperait d’exclusion : extrémité que nul pourtant n’avait jamais envisagée. Bien qu’étant le premier intéressé à une réhabilitation rapide des zones d’habitation chiites particulièrement sinistrées, le Hezbollah s’en est pris implicitement au premier des argentiers de la reconstruction, l’Arabie saoudite, accusée de l’avoir frauduleusement frustré de son Premier ministre d’élection, Nagib Mikati. La milice pro-iranienne s’est fait fermement prier pour honorer les consultations parlementaires menées par le chef de l’État ; et elle a carrément dédaigné par la suite celles engagées par le Premier ministre désigné, Nawaf Salam, avec les différentes formations politiques. Ce n’est finalement qu’hier que le tandem finissait de faire la coquette, avec les promesses de coopération prodiguées à ce dernier par le président de l’Assemblée et chef du mouvement Amal, Nabih Berry.

Contrastant avec d’aussi flagrants tours et détours, les souhaits des parlementaires, tels qu’exprimés à Salam, auront néanmoins vu se côtoyer franches prétentions à la dignité ministérielle et surprenantes démonstrations d’abnégation. Inhabituellement nombreux auront ainsi été les élus se prononçant pour un cabinet de technocrates non partisans. Certains ont même été jusqu’à plaider pour une totale incompatibilité entre les responsabilités de député et de ministre : ce qui mettrait fin à cette hérésie de gouvernements d’unité reflétant fidèlement la composition du Parlement et faisant place à des ministres d’opposition, ce qui condamnait à la paralysie le pouvoir exécutif.

Mais qui donc pouvait imaginer qu’à un aussi admirable déploiement de vertu démocratique viendrait se mêler le ridicule, et même le cocasse ? C’est en s’armant du plus grand sérieux que le chef du Courant patriotique libre a ainsi demandé à être délivré du dossier de l’Énergie, longtemps accaparé pourtant par lui-même et ses camarades : cela au prix de dizaines de milliards de dollars volatilisés en vaines promesses, expédients foireux et autres scandales. Gebran Bassil ne peut visiblement se résoudre à constater que c’est l’Énergie, elle, qui ne veut plus entendre parler de lui. Suffoquant littéralement d’indignation devant tant d’outrance, le courant électrique n’avait plus qu’à déserter le bâtiment du Parlement en pleine péroraison de l’ancien ministre !

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Oui, le changement est bien là, il est résolument en marche et chaque jour nous en apporte une nouvelle preuve, dans la région comme au sein du microcosme libanais. D’aucuns n’y verront que le résultat d’un irrésistible effet Trump, illustré entre autres par l’accord de cessez-le-feu à Gaza, et qui pour opérer n’aura pas attendu l’investiture du président élu républicain....