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Nos Lecteurs ont la Parole

Paradoxalement chez moi

Paradoxalement chez moi

Les cèdres du Barouk. Photo Wissam Moussa

Bien avant d’intégrer la faculté d’agronomie de l’Université libanaise, je vivais à Jezzine, un village du Sud-Liban renommé pour sa biodiversité. À quelques kilomètres des majestueuses réserves de cèdres du Chouf, ma cousine Maryan et moi volions en secret les clés des voitures de nos parents pour nous aventurer loin de la maison. Notre objectif ultime ? Atteindre le légendaire cèdre d’Alphonse de Lamartine. Chaque dimanche, l’escapade de

l’après-midi comportait son lot de frissons. Nous roulions prudemment, serrant le volant comme si nos vies en dépendaient. Le passage du checkpoint entre le Sud et le Mont-Liban faisait battre nos cœurs à tout rompre. À l’approche des soldats, nos mains devenaient moites, tremblant à l’idée qu’ils nous demandent des papiers que nous n’avions jamais emportés. À 17 ans, le parfum de la liberté rendait chaque moment intense et inoubliable.

J’emportais souvent un livre avec moi, que je conserve encore aujourd’hui dans mon appartement à Saint-Malo. Un livre rédigé à la fois en arabe et en anglais qui portait sur les arbres et détaillait les espèces locales que l’on retrouve au Liban. Dans les pages de ce livre, j’essayais de comprendre le cèdre du Liban, sa morphologie, sa physiologie, sa reproduction, sa croissance et son développement. À chaque lecture, je découvrais le lien de cet arbre emblématique avec l’écosystème et les communautés qui l’entourent. Quelques années plus tard, j’ai compris que ce comportement m’avait déjà initié à la botanique, sans pour autant mettre de mot sur la science que je pratiquais déjà chaque dimanche.

En deuxième année du cycle universitaire, j’ai découvert la nomenclature botanique, inventée par le naturaliste suédois Carl von Linné. Cette discipline de droit botanique permet de classifier et d’identifier des plantes selon un système de noms scientifiques binomiaux (genre et épithète spécifique), en latin, universellement reconnu par le code international de nomenclature botanique. La séance durant laquelle nous avons évoqué le nom binomial du cèdre m’a profondément perturbé. Je me suis rendu compte, à 19 ans, que le cèdre du Liban (Cedrus libani), n’était pas la seule espèce de cèdre dans le monde. En plus du cèdre du Liban, il existe le cèdre de Chypre

(Cedrus brevifolia), le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) et le cèdre de l’Himalaya (Cedrus deodara). J’avais du mal à accepter qu’un arbre aussi grandiose, qui raconte l’héritage et l’histoire de mon Liban, puisse dépasser mes frontières et exister ailleurs.

L’idée de découvrir d’autres cèdres m’a toujours fasciné, et pour ce faire, j’ai décidé en novembre 2024 de me rendre au Maroc pour observer de près l’espèce endémique de ce pays. J’ai atterri le 23 novembre à l’aéroport de Fès puis j’ai pris le train de 7h jusqu’à Marrakech, avant de prendre un bus à Imlil, dans le Haut Atlas. Pendant trois jours, j’ai choisi de me déconnecter du monde et de réaliser l’ascension du mont Toubkal, le plus haut sommet de l’Afrique du Nord. Sur le chemin, jusqu’à ses 4 167m d’altitude, il fallait absolument repérer les cèdres.

De loin, je parvenais à les distinguer. Tout comme les nôtres, ils étaient majestueux. Certains des cèdres de l’Atlas atteignent des hauteurs similaires à celles du cèdre du Liban, environ 40 mètres. Cependant, le cèdre de l’Atlas est souvent plus élancé, avec une forme de cime moins conique que celui du Liban. Il peut également avoir un tronc moins droit, souvent plus tortueux. Ses aiguilles sont un peu plus courtes (généralement entre 1 et 2 cm) et présentent une teinte plus bleutée ou argentée, ce qui lui confère un aspect distinct que je n’avais jamais vu auparavant. Celles du cèdre du Liban sont plus longues, mesurant jusqu’à 3 cm, et sont disposées en faisceaux de 20 à 30, de couleur vert sombre. Les cônes du cèdre de l’Atlas sont également plus petits, mesurant entre 6 et 8 cm, et ont tendance à être légèrement plus aplatis. Quant à ceux du cèdre du Liban, ils sont plus grands, certains pouvant atteindre 8 à 12 cm de long.

Ces quelques différences ne m’empêchaient pas de me dresser devant le cèdre de l’Atlas, tout comme je le fais avec le cèdre du Liban.

Au-delà de cette majestuosité, j’arrivais à ressentir le lien profond entre le sol et l’arbre. En effet, la région de l’Atlas au Maroc est habitée par différents groupes ethniques, y compris les Berbères, ou Amazighs, dont la culture et la langue (le tamazight) sont profondément enracinées dans cette région. Pour cette communauté, le cèdre représente la force, la longévité et la résilience, des valeurs qui résonnent avec l’identité et l’histoire des peuples berbères. Pour Hussein et beaucoup d’autres habitants, le cèdre est associé à la protection et à la solidité des traditions ancestrales qui ont marqué les montagnes de l’Atlas. Loin du Liban, je me sentais paradoxalement chez moi.

Mon amour pour le cèdre a longtemps été un amour égoïste, un amour que je voulais uniquement pour moi. Sous un cèdre de l’Atlas, je me suis assis et j’ai soufflé, laissant derrière moi mes traumatismes de guerre et d’explosion. Les larmes aux yeux, je me suis dit, tout comme ce que je me disais à 17 ans sous le cèdre du Liban : « Qu’elle est belle la vie, malgré tout. »

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Bien avant d’intégrer la faculté d’agronomie de l’Université libanaise, je vivais à Jezzine, un village du Sud-Liban renommé pour sa biodiversité. À quelques kilomètres des majestueuses réserves de cèdres du Chouf, ma cousine Maryan et moi volions en secret les clés des voitures de nos parents pour nous aventurer loin de la maison. Notre objectif ultime ? Atteindre le légendaire...
commentaires (2)

Même en Italie sur les hautes montagnes du lac de garde ( Brescia ) il y a des cèdres du Liban

Eleni Caridopoulou

18 h 59, le 13 janvier 2025

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Commentaires (2)

  • Même en Italie sur les hautes montagnes du lac de garde ( Brescia ) il y a des cèdres du Liban

    Eleni Caridopoulou

    18 h 59, le 13 janvier 2025

  • Très instructif, y compris pour l'expression "droit botanique" retrouvée dans l'article Wikipédia sur la nomenclature botanique. Il faudrait pouvoir interviewer les Cèdres du Liban plantés hors du Liban, comme ceux de Genève, et leur demander si, débarrassés du poids imbécile du symbole que nous en avons fait (en plus de leur installation entre deux mares symboliques de sang sur un bout de tissu, on a osé "Cèdres de Dieu", le pendant botanique du Hezbollah), ils se sentent plutôt bien dans leur écorce ou alors si le prestige de pacotille de leurs congénères restés au pays leur manque.

    M.E

    08 h 33, le 13 janvier 2025

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