Le Premier ministre libanais sortant, Nagib Mikati, a déclaré que le tracé des frontières terrestres et maritimes avec la Syrie sera l'une des « priorités », après son arrivée samedi à Damas pour sa première visite officielle depuis la prise du pouvoir en Syrie en décembre dernier par des rebelles islamistes qui ont renversé le régime de Bachar el-Assad.
La visite de M. Mikati, qui répond à l'invitation, selon son bureau de presse, du nouveau dirigeant syrien, Ahmad el-Chareh, est aussi la première d'un chef de gouvernement libanais depuis le déclenchement du conflit armé en Syrie en 2011 et alors que les deux pays cherchent à améliorer leurs relations. Elle intervient après des années de tensions en raison du soutien apporté par le Hezbollah pro-iranien à l'ancien dirigeant, allié de Téhéran, pendant la guerre civile en Syrie, déclenchée par la répression d'un soulèvement pro-démocratie.
Trop tôt » pour Chebaa
Dans une réponse à un journaliste au cours de la conférence de presse conjointe avec Ahmad el-Chareh, Nagib Mikati a affirmé que « certaines activités à la frontière doivent être entièrement contrôlées, en particulier aux points de passage illégaux, afin de mettre fin à toutes les opérations de contrebande entre le Liban et la Syrie ». Il a aussi souligné que la coopération qui doit être mise en place à cette fin n’éclipsait pas la nécessité de régler la « question de la démarcation de la frontière » et annoncé qu’un « comité libano-syrien » sera mis en place « pour mener à bien ce processus ».
Ahmad el-Chareh a, quant à lui, assuré que la « question des frontières est la priorité absolue », après avoir rappelé que le nouveau pouvoir syrien n’est en place que depuis un mois, qu’il devait être amené à traiter de « nombreuses questions » et qu’il aurait besoin de « temps ». « La priorité actuelle en Syrie est la situation intérieure, la situation sécuritaire, la contrôle des armes par l’État, et ensuite rassurer les pays voisins. Nous en sommes encore à la première réunion et nous espérons nous rencontrer souvent, si Dieu le veut. De nombreux sujets devraient être abordés dans les prochains jours, la question des frontières étant la priorité absolue », a-t-il plus précisément déclaré.
Interrogés sur la question des fermes contestées de Chebaa, les deux hommes ont botté en touche, Nagib Mikati soulignant qu’il s'agissait d'une composante du dossier des frontières et Ahmad el-Chareh estimant qu'il était trop tôt pour aborder le dossier.
La Syrie « à égale distance » de tous
« Nous nous donnons l'opportunité de construire une relation durable pour la période à venir, basée sur la souveraineté du Liban et de la Syrie », a déclaré M. Chareh à la suite de sa rencontre avec M. Mikati, cette fois cité par l'Agence nationale d'information (ANI, officielle). « Il y aura des relations stratégiques durables, avec de grands intérêts communs », a-t-il ajouté, soulignant que l'élection du général Joseph Aoun jeudi à la présidence conduira à une «situation stable» au Liban. Le nouveau dirigeant syrien a aussi assuré que son pays n'allait plus exercer « une ingérence négative » dans le pays voisin.
« En Syrie, nous resterons à égale distance de tous au Liban et résoudrons les problèmes par la consultation et le dialogue », a poursuivi le chef de la coalition islamiste, affirmant avoir discuté entre autres avec M. Mikati « des problèmes de la contrebande, des épargnes syriennes bloquées dans les banques libanaises et du tracé des frontières entre les deux pays ». Interrogé sur son avis concernant le nouveau président libanais Joseph Aoun, élu jeudi dernier après plus de deux ans de vide à la tête de l’État libanais, M. Chareh a répondu : « Nous avons déjà déclaré que nous le soutenions, bien que nous ne le connaissions pas et que nous n'ayons eu jusqu'ici aucune relation avec lui. (...) Je pense qu'il y aura des rapports stratégiques à long terme, et nous avons de très grands intérêts communs avec le Liban. Nous espérons une situation stable au Liban avec la présence du président Joseph Aoun ou de Nagib Mikati s'il est reconduit dans ses fonctions ».
Le dossier des disparus
Interrogé par la suite sur la question des disparus en Syrie et sur le journaliste américain Austin Tice, enlevé aussi en Syrie, M. Chareh a affirmé que le sujet avait été abordé avec le Premier ministre libanais, qui lui a demandé de rouvrir le dossier. « Nous avons discuté de cette question, et la partie syrienne joue pleinement son rôle en établissant un organisme spécial pour les affaires criminelles et en recherchant toutes les personnes disparues à l'aide de listes. Nous fournirons à la nouvelle administration syrienne des listes complètes des noms des personnes disparues, et il pourrait être nécessaire de procéder à des examens médico-légaux et à des tests ADN », a-t-il précisé. Il a aussi exprimé l’espoir que le journaliste américain soit retrouvé « vivant ».
De son côté, M. Mikati a déclaré, à l’issue de la rencontre, que « le tracé des frontières terrestres et maritimes avec la Syrie figure parmi les priorités ». La Syrie du clan Assad qui a exercé pendant des décennies une tutelle sur le Liban, a refusé à plusieurs reprises de délimiter ses frontières avec son voisin.
M. Mikati a également loué « les bonnes relations de voisinage et de proximité entre nos pays », ajoute l'ANI. « Nous devons faire fonctionner nos relations sur la base de la souveraineté nationale des deux pays, et empêcher tout ce qui pourrait nuire à cette relation », a poursuivi le chef du gouvernement. Il a également insisté sur la nécessité de résoudre la question du retour en Syrie des ressortissants syriens installés au Liban. « Cette visite est pionnière, et ce que j'ai vu de M. Chareh quant à la relation de nos deux pays me rassure », a conclu M. Mikati.
La Syrie a été pendant trois décennies une force politique et militaire dominante au Liban, où elle est intervenue pendant la guerre civile de 1975-1990 et où de nombreux assassinats de personnalités politiques lui sont imputés. Elle en a retiré ses troupes en 2005 sous la pression internationale, après l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri.
Le Hezbollah a, de son côté, été affaibli par plus d'un an de conflit avec Israël, dont deux mois de guerre ouverte qui a pris fin le 27 novembre avec un accord de cessez-le-feu. Depuis le déclenchement des opérations en Syrie qui ont mené à la chute du régime Assad, la zone frontalière a été le théâtre d'une série d'affrontements et d'incidents opposant des groupes armés aux forces du nouveau pouvoir à Damas.
Les affrontements se sont produits dans la province côtière de Tartous (ouest), bastion de la minorité alaouite dont est issu le président déchu, puis se sont concentrés autour de la localité syrienne de Tal Kalakh, dans la province de Homs, située à moins de 5 kms de la frontière avec le Liban et assiégée par des combattants de Hay'at Tahrir el-Cham (HTC) de M. Chareh pour déloger les factions pro-Assad. Les membres du Hezbollah auraient déployé des miliciens pour protéger ce point de passage habituellement utilisé par le parti chiite pour faire transiter des armes.
Est ce que notre Président a approuvé cette visite? Était il seulement au courant du déplacement de Mikati?
18 h 23, le 12 janvier 2025