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Culture - Cinéma

Metropolis est de retour à Beyrouth

Le cinéma le plus mythique de Beyrouth de ces dernières années, né au lendemain de la guerre de 2006, revient avec une structure inédite amovible et une programmation abondante, avec le soutien de nombreux donateurs et mécènes. Inauguration samedi 21 décembre à 19h. 

Metropolis est de retour à Beyrouth

Les nouveaux locaux de Metropolis à Mar Mikhaël. Photo Laurent Selinder/L'OLJ

De guerre en crise et en reguerre, l'aventure de l’association Metropolis est parallèle à celle du Liban. Créée en 2006, elle avait été lancée dans un petit théâtre de Hamra le 11 juillet 2006, à la veille du déclenchement de la guerre israélienne au Liban. L'espace avait alors été transformé en abri pour les déplacés. Pour garder les enfants à l’intérieur pour leur sécurité, l’équipe leur projetait des films. D'ailleurs, exposer les jeunes au cinéma sera au cœur de la mission de l’association.

En dépit des remous, Metropolis tient bon même après avoir dû affronter la fermeture du cinéma Empire Sofil dont les salles ont été vendues à cause de la crise. Et a désormais trouvé un nouvel espace de déploiement, dans une structure légère et nouvelle qui a pris forme sur un vaste terrain à Mar Mikhaël, non loin de la mer. L’architecte Sophie Khayat en est la conceptrice avec un cahier des charges spécifique pour répondre aux impératifs techniques d’un cinéma et aux conditions climatiques, la structure étant en préfabriqué.

Un nouveau départ, après cinq ans de nomadisme, avec de nombreux projets. Le retour à la salle de cinéma et à l’expérience collective ouvre des horizons et des perspectives à l’heure où dans cette partie du monde, ceux-ci peuvent paraître restreints.  Par les images, les récits, les narratifs qu’il déploie, le cinéma permet d’autres possibles, des angles différents et le jeu de la lumière.

La salle de projection de 200 places de Metropolis à Mar Mikhaël. Photo Laurent Selinder/L'OLJ

Focus sur un combat

Quand en 2020, alors que la crise économique s'aggrave au Liban, les salles de l'Empire Sofil sont vendues, l’association se retrouve sans lieu pour ses projections. C’est la période du Covid, toutes les salles de cinéma ferment leurs portes. S'ensuit la double explosion au port de Beyrouth le 4 août : « On ne savait pas que faire en tant que libanais, confesse la présidente de l’association, Hania Mroué. On se demandait si on avait la force de poursuivre. Avec le Covid, tout le monde nous disait que les salles de cinéma, c’était fini. On a eu un grand doute. On a échangé entre nous, puis on s’est dit qu’on avait envie de rester dans ce pays et que, si on reste, c’est pour faire ce qu’on aime faire et ce qu’on sait faire. On a décidé collectivement qu’on voulait se lancer dans cette nouvelle aventure. Fin 2020, on s’est mis à la recherche d’un lieu, d'une salle ou d'une usine, d'une école. On n’a pas trouvé pour différentes raisons : ce n’était techniquement pas adapté ou bien il était difficile de trouver un bail à long terme, etc. Dans un moment de désespoir, on s’est dit, tant pis on construit. Construisons une tente très simple si on n’a pas les moyens. » En marchant à Mar Mikhaël, Hania Mroué repère ce grand terrain. Elle se renseigne, il s’avère appartenir à la société Unifoncière – qui a pour actionnaires notamment le groupe Obegi et Peter Hrechdakian, lesquels mettent le terrain à la disposition de l’association. Le parcours du combattant se corse avec des questions liées à la construction, à l’obtention de permis et autres lenteurs et lourdeurs administratives. À ces complexités se greffe d'abord le retrait du soutien promis de certains bailleurs de fonds européens après la guerre en Ukraine, suivie par la guerre à Gaza puis au Liban, puis la hausse des coûts consécutifs à l’augmentation du prix des matières premières et du transport.

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Malgré tout, les équipes de Metropolis poursuivent leur projet qui voit le jour avec le soutien de nombreux mécènes particuliers ou corporates, la Coopération suisse et l’ambassade de Norvège, et surtout celui, substantiel, de l’ambassade de France et du CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée en France, NDLR) pour ce qui concerne le matériel technique. D’autres donateurs enthousiasmés par le projet contribuent en nature pour les tissus, l’aluminium, le métal, les carrelages. La société italienne Cinésuite, exploitante de salles de cinéma, envoie de beaux, larges et confortables fauteuils pourpre. Au terme d'un an de travaux, la structure voit enfin le jour. « En d’autres circonstances, cela aurait nécessité seulement six mois », précise Hania Mroué.

Si Metropolis a réussi à tenir, sans murs, pendant quatre ans, c’est parce que l'association « a pu programmer ailleurs. Une des choses qui nous a sauvés est que l'on n’a pas perdu le contact avec le public », souligne la présidente. « Nous sommes très reconnaissants aux structures qui nous ont accueillis comme l’esplanade du musée Sursock, Ishbilia à Saïda, Hammana Artist House, le centre Galaxy », précise-t-elle. Ces partenariats nés sur le tas leur ont permis de décentraliser leurs activités et de renforcer notamment leur investissement dans la pédagogie. Avec des partenariats noués avec 65 établissements scolaires, principalement francophones, Metropolis est attachée à « rester en contact avec le public de demain », les jeunes auxquels elle propose en plus des activités dans les écoles, des formations aux différents métiers du cinéma en partenariat avec la Berlinale qui s’adressent également aux jeunes professionnels du cinéma.

La présidente de l'association Metropolis Hania Mroué. Photo Laurent Selinder/L'OLJUn projet d’archives et des décisions très politiques

Durant ces années sans toit, le projet Cinémathèque Beirut, initié en 2018, a poursuivi son travail d’archivage du cinéma libanais. Il compte actuellement 500 films et la numérisation de revues, articles et affiches de cinéma. « Lorsque nous avons voulu organiser des rétrospectives de cinéastes libanais, des films dont on avait entendu parler, mais qu’on n’avait pas nécessairement vu, nous nous sommes rendu compte du souci d’accessibilité. Les films étaient dispersés et parfois perdus. C’est comme cela que nous est venue l’idée de les répertorier », explique Hania Mroué. À défaut d’une instance officielle qui prenne en charge la préservation de ce patrimoine, de nombreux cinéastes ou leurs ayants droit ou d’autres parties cinéphiles intéressées ont pris le parti de le faire par eux-mêmes comme ça a été le cas pour Jocelyne Saab ou Maroun Baghdadi. « Leur cinéma, c’est l’histoire du Liban », souligne-t-elle. 

Pour mémoire

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Cinémathèque Beirut abrite principalement les films produits à partir des années 80 jusqu’à ce jour, comme ceux de Ghassan Salhab, Hady Zaccak, Randa Chahal et tant d’autres. « Nous avons voulu les conserver avant qu’on aille les chercher dans vingt ans et qu’on se dise seulement yarét , si seulement. Le projet n’est pas terminé, il se poursuit. » La particularité de cette cinémathèque est aussi qu’elle est accessible gracieusement à tout le monde : chercheurs et grand public et que quiconque peut y découvrir ou redécouvrir ces films culte – ou moins – du patrimoine. La Cinémathèque Beirut « n’est pas qu’un lieu de préservation et de consultation, mais aussi d’échanges et de réflexion, insiste Hania Mroué. C’est très important pour nous de faire des rencontres, des séminaires… Nous sommes aussi amenés à nous interroger sur ce que veut dire archiver : qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est-ce qu’on laisse partir. Car ce qui n’est pas préservé – comme nous sommes obligés de laisser partir vu nos moyens – sera de facto détruit dans la durée. Le choix est une décision très politique », indique la présidente de l'association Metropolis.

Une salle de projection de 100 places avec de grands sièges au look rétro dans les nouveaux locaux de Metropolis. Photo Laurent Selinder/L'OLJ

Un public qui va le faire vivre, j’y crois profondément

Le public suivra-t-il dans cet environnement postguerre encore incertain ? Hania Mroué « y croit profondément ». C’est le public qui va faire vivre ce projet « qui compte, signalons-le, deux salles, l’une de 200 places, l’autre de 100 et un grand espace jardin où une programmation dynamique est prévue comme des ciné-concerts lors de l’ouverture le 21 décembre – (voir par ailleurs) ». « Je crois qu’on sous-estime l’expérience de la salle, d’être dans le noir avec des inconnus… Après le Covid, on disait place au streaming chez soi. Et pourtant, lors des projections que nous faisions, c’était plein à craquer de jeunes que je ne connaissais pas et que j’étais ravie de voir dans la salle… On ne se déplace pas que pour voir un film mais aussi pour ne pas être seul », poursuit cette cinéphile engagée et passionnée. Hormis le public, les cinéastes et programmateurs européens – comme ceux de Venise et Cannes – ont immédiatement manifesté leur intérêt de venir au Liban. Hania Mroué en est émue et heureuse, et réserve des surprises au public, dans la mesure où l’environnement sécuritaire le permettra. Ainsi, comme dans le film éponyme de Fritz Lang sorti en 1927 d’après lequel est nommée l’association, inscrit au registre international Mémoire du monde de l’Unesco, qui se termine par une réconciliation symbolique marquant le début d’une nouvelle ère de coopération et d’harmonie entre les habitants de Metropolis – mégapole imaginée en 2026 dans une société dystopique – après les divisions et le chaos, on veut espérer que la fiction chuchote au réel.

Week-end d’ouverture
Quatre courts-métrages faits avec des images d’archives en provenance d’Égypte, de Palestine et du Liban sont programmés le samedi 21 décembre à 20h. Les cinéastes sont Vartan Avrakian, Rania Stephan, Cynthia Zaven et Rana Eid, Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige. Les films muets seront accompagnés d’un concert avec la musique live d’Anthony Sahyoun. Le dimanche 22 décembre, à 19h, est prévue la projection du documentaire A State of Passion, Ghassan Abou Sitta de Carole Mansour et Muna Khalidi, suivi d'un débat avec les réalisatrices et le médecin urgentiste palestinien, personnage principal du film. 
La programmation à venir
2025 compte une programmation faste avec en janvier « Les Écrans du réel » avec une majorité de documentaires libanais, un festival pour enfants suivi d’un festival du cinéma italien en collaboration avec l’Institut culturel Italien, un festival du cinéma anglais en collaboration avec le British Council en juin et un nouveau festival axé sur le Grand Sud : Afrique, Asie, Amérique latine, monde arabe en Avril. 

De guerre en crise et en reguerre, l'aventure de l’association Metropolis est parallèle à celle du Liban. Créée en 2006, elle avait été lancée dans un petit théâtre de Hamra le 11 juillet 2006, à la veille du déclenchement de la guerre israélienne au Liban. L'espace avait alors été transformé en abri pour les déplacés. Pour garder les enfants à l’intérieur pour leur...
commentaires (5)

On vous souhaite bon vent ! Et bon courage dans cette nouvelle aventure.

Boulad Bernard

15 h 33, le 23 décembre 2024

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Commentaires (5)

  • On vous souhaite bon vent ! Et bon courage dans cette nouvelle aventure.

    Boulad Bernard

    15 h 33, le 23 décembre 2024

  • Mille mercis et mille bravos! La soirée d’ouverture etait surrealiste et meme la pluie , seduite , vous a attendu… Avec vous , dans cette aventure, bien sûr!

    Madi- Skaff josyan

    21 h 37, le 22 décembre 2024

  • Beyrouth avait grand besoin d un centre pour les amoureux du Cinema… et je trouve l endroit choisi ideal

    Ghassan Darwich

    08 h 27, le 22 décembre 2024

  • Bravo pour l’entêtement et le courage

    ayda ka

    06 h 43, le 20 décembre 2024

  • Bravo ! Nous ne pouvons que rester humbles face à ce magnifique exemple de ténacité. Vous n'avez rien abandonné, ni votre pays, ni vos projets, ni vos rêves, ni votre famille et vos amis. Vous êtes là et grâce à vous des générations entières pourront maintenir le lien avec notre culture. Merci !

    K1000

    00 h 20, le 20 décembre 2024

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