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Culture - Entretien / Livre

Chaker Bou Abdalla : « Chaque personne a des secrets », disait ma mère, ça m’a inspiré…

« J’ai appris à écrire en rédigeant ce roman », révèle à « L’Orient-Le Jour » le comédien de stand-up devenu primo-romancier avec « L’enfance malgré tout » qui vient de paraître en France aux éditions Jets d’encre*.

Chaker Bou Abdalla :  « Chaque personne a des secrets », disait ma mère, ça m’a inspiré…

Chaker Bou Abdalla, humoriste en libanais et romancier en français. Avec l’aimable autorisation de l'auteur

Il a abandonné son humour noir, son goût de l’absurde et son cynisme de façade le temps de l’écriture de son premier roman : L’enfance malgré tout (éd. Jets d’encre, 152 pages). Une histoire émouvante aux accents de chronique familiale libanaise, dans laquelle Chaker Bou Abdalla, humoriste « ironisant » de son état, révèle une sensibilité et une profondeur psychologique remarquables.

La couverture de son premier roman, disponible au Liban sur commande aux éditions Jets d'encre.

Un roman construit autour d’un personnage central de femme née au milieu du siècle dernier dans un petit village du Liban-Sud : Nahla, qui rêve depuis l’enfance de s’affranchir des limites de son environnement, de s’émanciper du carcan parental et d’un quotidien routinier de fille soumise. Devenue adulte, elle prendra la direction de la capitale Beyrouth, cette ville de tous les possibles dans les décennies d’avant-guerre, où elle va travailler d’arrache-pied pour se construire un avenir. Elle y rencontrera son mari, fondera une famille et tentera d’occulter le souvenir d’un traumatisme antérieur… Jusqu’à ce que la guerre fasse irruption et l’entraîne, ainsi que sa famille, dans les méandre de ses événements sans pitié.

Au moyen d’un récit simple et prenant, Chaker Bou Abdalla emporte le lecteur au cœur de l’intimité d’une lignée trigénérationnelle qui, en quelques décennies, va traverser les chamboulements d’un monde encore rural et imprégné de traditions pour se retrouver précipitamment confrontée à la violence de la guerre et à l’atrocité insensée des humains.

Chaker Bou Abdalla, on vous connaissait humoriste, comédien de stand-up, on vous découvre romancier. S’agit-il de votre premier roman ?

En effet, c’est le premier. Au départ, j’avais juste envie d’écrire cette histoire sans penser à la publier. Je l’ai fait lire à ma sœur, elle a aimé. Je l’ai fait lire à une autre personne qui m’a encouragé à la publier. Et, en troisième lieu, je l’ai fait lire à Hoda Kerbage qui, en tant qu’auteure elle-même, m’a corrigé certaine tournures de phrase en me conseillant de la publier. Je suis entré sur le web pour chercher un éditeur de livres francophones. Je suis tombé sur Jets d’encre. Je les ai contactés, ils m’ont répondu positivement, alors que je ne m’y attendais pas du tout. Et voilà, ça c’est fait aussi simplement que cela.

Qu’est-ce qui en a déclenché l’écriture ?

« Chaque personne a des secrets dans la vie », m’a dit un jour ma mère. Cette phrase m’a longtemps trotté en tête, me faisant imaginer mille secrets chez chacun. L’inspiration initiale est venue de là… 

Alors qu’on pourrait s’attendre à un livre au ton plutôt humoristique ou sarcastique, on tombe sur un texte très émouvant, celui d’un chemin de vie, qui évoque à beaucoup d’égards la biographie familiale. Mais c’est aussi un récit de femmes, dans lequel vous arrivez à très bien cerner les sentiments et les émotions des filles d’Ève…

J’ai perdu mon père alors que je n’avais que 7 ans. Ce qui fait que j’ai grandi entouré de femmes : ma mère, ma tante, ma sœur… Cela m’a sans doute aidé à mieux les comprendre (rires).

Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé serait pure coïncidence, dites-vous en préambule, alors que vous donnez votre patronyme aux personnages principaux. N’est-ce pas paradoxal ?

 Je n’ai pas donné mon patronyme, vu que je m’appelle Bou Abdalla et que mes personnages sont de la famille Abdalla (rires). Ensuite, certes, je me suis inspiré des caractères de certaines personnes autour de moi, de mes parents, de ma tante, d’amis entre autres, mais en leur imaginant des chemins de vie différents. Même si ma mère est, comme l’héroïne principale, originaire d’un village du Sud…

En général, il y a toujours une inspiration autobiographique dans un premier roman. À quel point est-ce votre cas ?

C’est vrai qu’il y a des événements que j’ai vécus qui m’ont inspiré. Mais je les ai beaucoup détournés. J’ai par exemple réellement connu des personnes qui sont mortes sous les tirs de francs-tireurs, comme ce jeune garçon que j’évoque dans mon roman, et mon propre père a lui été atteint par des éclats d’obus. De même que j’ai moi-même survécu à l’explosion du 4-Août. J’ai ainsi construit mon récit à partir de moments et de scènes en partie issus de la réalité, en partie imaginés. En fait, à travers la rédaction de ce roman, je voulais surtout parler de notre enfance, celle des gens de ma génération nés avec la guerre. De l’impact que sa violence a eu sur nous. De l’impact de l’après-guerre aussi : ce moment déstabilisant qu’a pu représenter pour certains l’arrêt brutal des hostilités ; ce basculement du jour au lendemain dans une nouvelle réalité qui a aussi généré chez eux des problèmes de santé mentale. Et, bien entendu, je voulais parler de la transmission intergénérationnelle des traumatismes. Et de l’aide que peuvent apporter les psys, moi qui ai suivi une thérapie pendant 5 ans.

Vous traitez de sujets psychologiques comme la transmission certes, mais aussi de sujets sociétaux tabous, assez peu abordés jusque-là dans le roman libanais, comme le viol, l’inceste, et surtout les rapports de force et de manipulation filiale-parentale qui vont jusqu’à la haine…

C’est vrai que les parents sont toujours sacrés chez nous… Quant au sujet des viols par un membre de la famille, je me suis inspiré d’histoires que m’ont confiées des femmes que j’ai connues. C’est hallucinant de constater combien elles sont nombreuses à avoir subi cela. Il fallait en parler.

Pourquoi l’avoir écrit en français ?

 Ce n’est pas facile de choisir une langue quand on est libanais. L’arabe ? C’est une langue fascinante quand il s’agit de poésie et de prose, mais c’est un langue d’écriture qui ne s’accorde pas, à mon humble avis, à un récit de vie avec des échanges et des dialogues. Écrire en libanais est tout aussi difficile. D’abord parce que c’est un langage oral (celui de ses performances de stand-up, NDRL) et que ça limite le lectorat potentiel du roman. Ensuite parce qu’il y a autant de langues libanaises que de prononciations régionales. Laquelle choisir ? J’ai donc opté pour le français qui est ma deuxième langue.

Qu’y a-t-il de commun entre l’écriture d’un livre et d’un stand-up ?

Ce sont deux mondes différents. En fait, chaque discipline a ses techniques et ses difficultés. Pour écrire du stand-up, il faut trouver les bonnes tournures, les mots qui feront rire les gens. Ça ne marche pas à tous les coups et ça nécessite pas mal de travail, sans oublier qu’il y a le stress de la performance. Pour le roman, comme c’était la première fois, j’ai vraiment souffert pour le terminer. En fait, ça m’a pris plus de deux ans…

Cela vous a-t-il découragé de l’écriture romanesque ?

Non, j’ai appris à écrire en rédigeant ce roman et là j’ai entamé le second.

Quel en sera le thème ?

J’y aborde cette fois le sujet de l’amitié.

*« L’enfance malgré tout » de Chaker Bou Abdalla est disponible sur commande aux éditions Jets d’encre.

Il a abandonné son humour noir, son goût de l’absurde et son cynisme de façade le temps de l’écriture de son premier roman : L’enfance malgré tout (éd. Jets d’encre, 152 pages). Une histoire émouvante aux accents de chronique familiale libanaise, dans laquelle Chaker Bou Abdalla, humoriste « ironisant » de son état, révèle une sensibilité et une profondeur psychologique...
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