Dessin tiré de l'oeuvre Pauline et Marco de Ralph Doumit.
Ils sont deux, Marco et Pauline, à guetter l’improbable dans un monde où l’extraordinaire surgit parfois au détour d’un simple mot. L’un rêve de galaxies lointaines, « d’être un extraterrestre (…) de regarder la Terre avec des yeux d’extraterrestre » ; l’autre espère croiser un être venu d’ailleurs. Et quand une mystérieuse petite annonce parlant d’une soucoupe volante « bleue et orange » apparaît dans le journal, leur univers bascule dans un jeu de pistes où la frontière entre réalité et imagination se trouble délicieusement.
Tout commence lorsque Marco reçoit, pour son dixième anniversaire, une soucoupe volante en bois, à haute valeur symbolique. La perte de ce cadeau précieux sera pour lui un drame, et dans sa quête pour le retrouver, il publie une annonce dans un journal et croise ainsi le chemin de Pauline qui voit dans cet objet non pas un simple jouet, mais… un véritable OVNI ! Fascinée, elle croit que Marco est un extraterrestre et, de son côté, le petit garçon se laisse séduire par cette idée. Une piste erronée, certes, mais qui bouleverse le cours de leurs vies à tous deux.
À travers des dialogues vifs et des descriptions poétiques, Ralph Doumit nous plonge dans l’univers de deux enfants animés par une imagination foisonnante, qui forgent une amitié sincère et se construisent ensemble. Un univers auquel les magnifiques illustrations au style onirique de Charles Berberian, figure majeure de la bande dessinée, donnent vie. Grâce à une narration à deux voix, le romancier leur insuffle une réelle consistance, dévoilant leurs pensées les plus intimes, leurs doutes et leurs peurs. Ce roman ne manque pas d’ailleurs d’une dimension philosophique, rappelant parfois celle du Petit Prince. Ainsi, lorsque Pauline déclare : « Inutile de parler des extraterrestres aux adultes quand on a cinq ans. Attendre d’avoir vingt, trente ou quarante ans. », on retrouve ce même décalage évoqué par Saint-Exupéry entre son narrateur et les « grandes personnes », incapables de voir autre chose qu’un simple chapeau dans son « chef-d’œuvre ».
Au fil de la quête de la soucoupe, Marco se retrouve intrigué par les étranges coïncidences qui entremêlent l’imaginaire et la réalité de façon inexplicable. Il réalise que son scénario échappe à son contrôle : « c’était comme s’il se projetait dans la réalité. C’étaient comme deux lignes parallèles qui se recoupaient par magie. » Cette prise de conscience le confronte à l’ampleur de son mensonge et l’amène à « calculer » les conséquences de ce « mensonge blanc » qui paraissait au départ anodin mais qui commence à peser lourdement sur sa conscience. Déchiré, Marco oscille entre l’envie d’avouer la vérité et la peur de perdre son amie.
Quant à Pauline, elle se heurte au terme de son aventure à une profonde déception. L’auteur met ainsi en évidence, et avec une grande subtilité, le contraste saisissant entre le monde idéalisé de l’enfance et la dure désillusion imposée par la réalité, entre la force de l’imagination et la douleur de se confronter à ses limites. Seul remède possible : l’art, refuge intemporel qui permet à l’esprit de s’évader et de se réconforter.
À travers cette fable, Ralph Doumit nous rappelle que la magie de l’enfance ne réside pas seulement dans l’illusion, mais dans cette merveilleuse aptitude à explorer sans cesse les mystères de l’existence. La rencontre de Marco et Pauline, improbable et fondée sur un quiproquo, est celle de deux âmes perdues qui se retrouvent dans le rêve. Et comme une étoile filante traversant la nuit d’une enfance pleine de rêves, ce roman nous laisse, à la fin de sa lecture, le sourire aux lèvres, l’âme emportée par l’enchantement.
Pauline et Marco de Ralph Doumit, Hélium, 2024, 256 p.