Notre monde est une grande énigme. Le Liban noyé dans sa géographie subit les tourments et les malheurs par le fait de sa position et de ses engagements. Nos politiques naviguent dans un océan de jeu émotionnel loin des rivages rationnels. Ils entraînent le peuple vers des abîmes sans limites, de souffrance, de désorientation et de dégâts. Sans faire le procès de ce déraillement, travaillons à panser les plaies, calmer les malheureux et secourir les rescapés.
Dans le brouillard de la guerre, les visions se multiplient sur les réseaux sociaux. Il s’ouvre un débat permanent de haine, d’agressivité, de déchaînement des passions sans limite mais ô combien maléfique. S’ajoute à cette ambiance la chaîne de déclarations des responsables aussi diverses et contradictoires, qui favorisent une société de division et d’intolérance complètement déshumanisée. La société se divise de façon horizontale et de façon longitudinale. Les médias traditionnels et les applications de réseaux sociaux ne sont pas en reste. Dans le marché des idées, c’est la confrontation des opinions, le choc des convictions qui dérèglent le paysage loin de toute vérité. La vérité semble sous les décombres car la vérité n’est pas photogénique et on voit fleurir le vice et le mensonge et les excès en tout genre. Nos politiques abusent du pouvoir et captent le désir des gens en général afin de les soumettre. En fait, il faut beaucoup d’intelligence et de courage pour agir, et c’est ce qui manque à la caste politique. Savent-ils que plus la violence gagne du terrain, plus la démocratie s’enfonce et s’éloigne. Chaque fois que l’on démantèle l’État, qu’on le déconstruit, qu’on empêche son fonctionnement, on désorganise le peuple et on l’enfonce dans la misère.
Le Liban est englué dans des interprétations mythologiques provenant tant d’Israël d’un côté que de l’idéologie des mollahs iraniens de l’autre. La cause palestinienne et les Palestiniens ne sont que des prétextes, des figurants dans cette confrontation. Chaque groupe définit un « ennemi existentiel » qui va justifier sa propre existence (son identité, ses valeurs). C’est la jonction et la confusion tant affectives que politiques. C’est en « satanisant » l’ennemi à qui on prête tous les vices qu’on arrive à se définir. La guerre que nous subissons au Liban dépasse le corps-à-corps ou le fusil simpliste. C’est la guerre par machines interposées (avions, obus, drones, fusées de tout genre…), par l’intelligence artificielle. Bientôt par les robots qui déshumanisent l’ennemi. On est passé à la performance technologique sans émotion comme les guerres dans les jeux vidéo. Le pays tout entier est sauvagement agressé par une force multiarmée, sous prétexte d’anéantir la milice du Hezbollah. Ce dernier continue de provoquer l’ennemi sous différents prétextes, tantôt pour soutenir le Hamas, tantôt pour libérer les territoires occupés par Israël. Ce conflit est soutenu et dirigé par l’Iran d’un côté et l’Amérique et Israël de l’autre côté. Cette guerre est disproportionnée par tous les moyens et n’est pas établie par une stratégie commune. On tombe dans l’action d’une obstination déraisonnable entre les belligérants. Cette guerre entraîne la responsabilité du fort vis-à-vis du faible. Mais aussi ça n’innocente pas le supposé faible qui va provoquer le fort. Les deux étant guidés par des visions mythologiques imprégnées de religieux, d’idéologie et d’autres excuses. C’est la guerre pour la guerre. Elle entraîne la mort de dizaines de milliers de civils, de femmes, d’enfants, de vieillards. Elle entraîne des destructions, la famine et le déplacement de la population. Mais tout cela est considéré comme des dommages collatéraux. Les appellations « génocide » ou « purification ethnique », l’« exil de la population » deviennent des discussions académiques.Que devient notre peuple libanais dans cette lutte irano-israélienne ? Que deviennent les Palestiniens ?
Nous sommes comme exclus de la guerre, mais nous la subissons…
La vie n’est qu’une affaire de hasard. Le hasard de notre naissance dépend de la géographie, des courants politiques et religieux, et en fait de l’identité complexe qu’on se forge. Les guides politiques qui nous gouvernent exploitent les divergences sociales au lieu de les coordonner. Le Liban est ébranlé par tant de chocs violents, économiques, sociaux, migratoires et de destruction. Le Liban est endeuillé par tant de morts et de morts… Tant de sang et de sang. Le Liban est menacé dans sa mémoire historique et son patrimoine culturel. Il est inadmissible qu’on assiste à toutes ces destructions de Tyr, Sidon, Nabatiyé, Baalbeck, les villages du Sud et une grande partie de Beyrouth. Il est inadmissible de se vanter en disant « nous résisterons même si le Liban va subir le sort de Stalingrad ou du Vietnam ». Il faut cesser cet acharnement de destruction et d’anéantissement du pays. Ce qui reste de l’État doit courir vers les pays décideurs pour arrêter ce carnage sans attendre les médiateurs de bons offices. Est-ce de la fierté, ce déchaînement des passions ? Cet état peut aboutir à une situation obsessionnelle et une dépendance affective qui dépassent le rationnel pour aboutir encore à une obstination déraisonnable. Les deux camps s’enfoncent dans un extrémisme passionnel entraînant le peuple libanais dans un bourbier sans limite. Les convictions idéologiques entraînent une perception faussée de la réalité et un déchaînement irrationnel. Qui dans le pays est capable de parler de paix ? Nos responsables sont absents. Pour élire un président, ils sont défaillants. Pour composer un gouvernement responsable, ils sont incapables. Ils sont noyés dans les détails de la guerre, parlant à l’unisson d’une langue de bois pour calmer leur ignorance et leur manque de moyens. Ils excellent dans une rhétorique d’un double discours, une roublardise vide et sans but. Pendant ce temps, de jeunes Libanais endoctrinés se font tuer, leurs maisons détruites, les villages sont écrasés et mis à ras de terre. Certains brillent par des prédictions vaines, jouant les cassandres, et s’enfoncent dans les prévisions et le décodage des déclarations des responsables du monde (que fera le président Biden ? Que fera le président Trump ? Que fera Netanyahu ?). Les Libanais doivent commencer à réagir, à prendre conscience de l’effondrement du pays et du massacre du peuple. Tout en blessant Israël par quelques fusées, ce dernier réagit sauvagement et largement au Liban comme à Gaza. Plus la violence gagne du terrain, plus la démocratie s’enfonce et s’éloigne. Le peuple libanais commence à se diviser profondément. Que font pendant ce temps les penseurs libanais endormis, les philosophes et intellectuels de tous bords qui doivent bouger ? Ils doivent crier, appeler les amis du Liban pour sauver le pays. Des personnes responsables doivent porter le cri du peuple, de tous les Libanais, pour sauver le pays et instaurer les bases d’un État démocratique. Un état de consensus apaisé. Les responsables doivent déposer une plainte condamnant Israël et l’Iran et réclamer des réparations pour tous les dégâts sur le sol libanais. Mais d’abord, reconstruisons l’État avec des responsables capables...
Adel AKL
Psychiatre, psychanalyste
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.
Votre article est très intéressant, c’est une guerre entre les juifs et les iraniens
00 h 46, le 29 novembre 2024