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Campus - GUERRE

Vingt-quatre heures dans le quotidien d’une étudiante libanaise déplacée

Vanessa Hanna, qui fait des études de traduction, est originaire de Debel, un village situé dans le caza de Bint Jbeil au Liban-Sud. Après l’intensification des frappes israéliennes, elle s’est réfugiée avec sa famille dans une école publique de Jbeil, dans le nord du pays. Elle a accepté de partager avec nous son vécu.

Vingt-quatre heures dans le quotidien d’une étudiante libanaise déplacée

Vanessa Hanna. Photo DR

Dans une salle de classe de l’école publique Jbeil al-Oula transformée en chambre à coucher, espace de rangement et salle de séjour, Vanessa Hanna se confie. « C’est la deuxième fois que nous vivons un déplacement », affirme la jeune fille de 18 ans. « Nous avons quitté notre maison l’année dernière au début de la guerre contre Gaza, mais nous y sommes retournés au début des examens officiels, six mois plus tard. » À cette époque, explique la jeune fille, sa famille qui s’était installée à Dekouané pour fuir la guerre avait les moyens de louer un appartement. « Hélas, cette fois, nous ne pouvons pas le faire », regrette l’étudiante en traduction à l’Université internationale libanaise (LIU).

L’aînée de sa fratrie entame sa journée en général le matin à 8h. « Parfois, je me lève plus tôt avec mon frère (14 ans) et ma sœur (9 ans), qui, eux, partent à l’école », précise la jeune fille, qui partage son abri provisoire avec son père, ses deux sœurs et son frère. Sa sœur cadette, Marilyne, 17 ans, poursuit ses études scolaires en ligne. En terminale, elle a préféré poursuivre ses cours à l’école de Rmeich, car elle y trouve un enseignement adapté à son niveau. « Ce qui me manque le plus, c’est de m’asseoir dans ma maison et de prendre ma tasse de Nescafé tout en contemplant la vue », confie-t-elle.

« Il fait froid la nuit »

Nostalgique, Vanessa avoue avoir perdu avec le déplacement le sentiment de « se sentir chez soi ». Évoquant ses « longues journées », elle dit ne pas rencontrer de difficulté à trouver le sommeil. « Mais parfois, il fait froid la nuit, ce qui m’empêche de dormir profondément », indique-t-elle en avouant que « sa chambre à coucher à Debel lui manque beaucoup ». Marilyne s’approche d’elle et lui remet un sandwich au thym distribué pour le petit déjeuner. Les deux sœurs échangent un petit sourire. Elles semblent très proches.

Vanessa poursuit : « Le matin, j’étudie. Je m’assois derrière le bureau, sur lequel je dépose mes cahiers et mon ordinateur. » Trouve-t-elle des difficultés à se concentrer sur ses études ? « Les cris des enfants dans l’abri et parfois la mauvaise connexion internet », souligne-t-elle en évoquant les sources de distraction. « Honnêtement, je ne suis pas toujours motivée à étudier », regrette-t-elle. « J’essaye le plus possible de faire de mon mieux, l’essentiel demeure l’éducation », admet-elle, précisant qu’avant la guerre, elle avait prévu de poursuivre ses études à Beyrouth et « de s’installer dans un foyer là-bas ». Parmi ses préoccupations quotidiennes figurent également les tâches ménagères qu’elle partage avec Marilyne et son père. « Je passe parfois la serpillière. Je fais le linge que je fais sécher sur un fil accroché devant la salle de classe », illustre-t-elle. Vanessa attend le retour de sa sœur et de son frère, « inscrits dans une école privée », pour déjeuner avec eux. « Nous mangeons dans les corridors de l’école, sur des pupitres », poursuit-elle. Un repas fourni par l’association Lebanese Social Responsibility (LDR).

Alors que la jeune fille décrit son quotidien, de jeunes étudiants en soins infirmiers à la LAU arrivent à l’école. Ils ont pour mission d’examiner la santé des déplacés. Vanessa se dirige timidement vers la salle d’examen médical. Elle répond à voix basse aux questions que l’équipe de la LAU lui pose. « Tout le monde se connaît ici, reprend-elle plus tard. Nous sommes tous issus du même village. » Cela n’empêche pas « certaines tensions internes entre les déplacés », une réalité que la jeune étudiante estime normale dans un contexte de guerre « où tout le monde est tendu ». « Avant que l’administration de l’école n’organise l’utilisation des toilettes en fonction des familles, il y avait des querelles entre les habitants sur qui devait les nettoyer, ou bien des accusations contre celui qui ne les avait pas suffisamment désinfectées. » La jeune fille trouve qu’il est difficile « de bâtir des relations et de s’investir dans de nouvelles amitiés », confiant qu’elle est toujours en contact avec ses amis de l’école, malgré la distance géographique.

De courts moments de plaisir volés à la grisaille du quotidien

Vanessa raconte s’être engagée dans un mouvement de jeunesse chrétienne. Elle et sa sœur se sont inscrites aussi à un cours de gymnastique. « À Debel, je faisais du piano, j’ai appris à jouer en ligne toute seule. J’ai été inspirée par l’une de mes cousines qui chantait dans un conservatoire », poursuit-elle. Chaque samedi, une professeure de musique se rend à l’école publique pour divertir les déplacés. « La prof était surprise par ma façon de jouer », affirme Vanessa. C’était la première fois qu’elle se sentait appréciée et heureuse. « Mon père a reconnu mon talent et m’a encouragée, ma prof de musique également. Et d’ajouter : Si mon père m’avait encouragée dès le début, j’aurais mieux joué. » Vanessa rayonne en parlant de la musique, un monde dans lequel elle s’échappe, loin de l’amertume. « J’aime chanter, mais je pense que je n’ai pas suffisamment confiance en moi-même pour le faire », insiste-t-elle.

« L’après-midi, je m’assure que ma petite sœur a fini ses devoirs », confie-t-elle encore. Vanessa et sa sœur Marilyne aident leur benjamine, Christelle, dans ses études. « Moi, je m’occupe des matières littéraires, tandis que Marilyne se charge des matières scientifiques », explique-t-elle. « Le soir, je me promène avec ma cousine au bord de la mer de Jbeil ou bien dans l’ancien souk », ajoute Vanessa. Revenant sur les circonstances de leur départ précipité de leur village, elle raconte : « Juste après l’annonce des zones ciblées par Israël, nous avons vécu une soirée très éprouvante. Le lendemain, nous avons décidé de partir chez nos cousins à Sabtiyé. Le trajet a duré cinq heures et demie, précise-t-elle. Nous sommes restés chez nos cousins quelques jours avant de nous installer dans cette école publique.» « Contrairement à notre premier départ, cette fois-ci, je savais quoi ranger dans ma valise, poursuit-elle. J’ai rangé les choses nécessaires, j’avais le temps cette fois de m’organiser. » Maintenant que le cessez-le-feu a été signé, qu’attendent Vanessa et les milliers d’autres familles déplacées ? Pourront-ils rentrer dans leurs villages ? « Les rues et les immeubles étaient fortement détruits et affectés, les bris de verre étaient partout », se rappelle-t-elle en décrivant la dernière scène qu’elle a vue en quittant sa région, avant d’ajouter : « Ma maison, ma vie privée, ma chambre à coucher, ma routine quotidienne et mes cousins me manquent beaucoup. »


Dans une salle de classe de l’école publique Jbeil al-Oula transformée en chambre à coucher, espace de rangement et salle de séjour, Vanessa Hanna se confie. « C’est la deuxième fois que nous vivons un déplacement », affirme la jeune fille de 18 ans. « Nous avons quitté notre maison l’année dernière au début de la guerre contre Gaza, mais nous y sommes...
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