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Des cendres à recycler

Maintenant que l’arbitre américain a sifflé la fin de la sanglante partie ; maintenant aussi qu’Israël s’est livré hier au sinistre rituel commandant un hystérique déchaînement de violence en prélude à tout cessez-le-feu, vient le moment pour tout un chacun d’un premier constat des pertes et profits.

L’Amérique remporte sans conteste le premier prix du concours en matière de réalisation. Impuissant à garder sous contrôle la furie israélienne contre Gaza, Washington aura fini par se faire entendre au Liban, même s’il avait soutenu avec enthousiasme la chasse au Hezbollah. Joe Biden peut donc se flatter de clore sa vacillante fin de carrière sur un notable succès diplomatique. Mais c’est avec son successeur élu, Donald Trump, qu’il devra sans doute partager son Oscar, puisque ce pouvoir de persuasion subitement retrouvé est le fruit de l’harmonieuse transition apparue, de la plus inattendue des manières, entre l’administration actuelle et la future. Pour Trump qui s’est promis de mettre fin à toutes les guerres– et même d’y arriver avant même son emménagement à la Maison-Blanche – voilà toujours un épineux dossier d’expédié. Du coup, ce n’est pas un tigre mais deux, que le médiateur Amos Hochstein a pu cette fois mettre dans son moteur.

La France qui monte elle aussi sur le podium pour annoncer la bonne nouvelle demeure heureusement incontournable pour tout ce qui a trait à notre pays qu’elle façonna en proclamant l’État du Grand Liban. Un bref moment récusée par Benjamin Netanyahu pour avoir pris bonne note des poursuites engagées contre ce dernier par la Cour pénale internationale, elle demeure bien présente, aux côtés de l’Amérique, au sein du Comité de supervision du cessez-le-feu. C’était bien le moins à vrai dire, puisque l’Hexagone est, depuis des décennies, un des principaux contributeurs de la Force onusienne stationnée à la frontière sud.

Israël, à son habitude, affecte de n’accepter qu’à contrecœur une issue qui pourtant répond largement à ses prétentions déclarées, et à leur tête le retour en toute sécurité à leurs maisons des habitants de la Galilée. En témoignent d’ailleurs les tiraillements observés hier à Tel-Aviv : les superfaucons ont beau reprocher à Netanyahu d’avoir manqué une occasion unique, historique, d’en finir une fois pour toutes avec la milice, ils se gardent bien de menacer de démissionner pour autant, ce qui torpillerait le gouvernement. L’argument suprême de Bibi reste cependant la possibilité concédée par les États-Unis à Israël d’intervenir militairement si l’accord de cessez-le-feu venait à être violé du côté libanais : licence absente bien sûr du texte de l’accord mais faisant plus que probablement l’objet d’une très explicite lettre annexe américaine adressée à Israël. Ne restait alors d’autre ressource pour l’État libanais que d’affecter ne rien en savoir…

Le Liban, ce Liban-là, l’officiel, n’a pas encore émergé de la situation effroyablement surréelle dans laquelle il se débat depuis plus d’un an. Le Conseil des ministres acquiescera ainsi aujourd’hui à un cessez-le-feu mettant fin à une guerre qu’il n’a jamais déclarée, ni même souhaitée. Pire encore, ce cessez-le-feu, l’État actuellement représenté par le Premier ministre sortant et le chef du législatif, ne l’a pas véritablement, pleinement, souverainement négocié non plus. Il servait seulement de relais entre le médiateur Hochstein et le Hezbollah : lequel, à son tour, était tenu d’en référer à ses patrons iraniens. Pour indiscutablement salutaire que soit le coup d’arrêt enfin donné au massacre, il est donc loin de régler la question libanaise ; déplacé de la zone frontalière au grand soulagement de l’ennemi, le problème risque de se poser avec une acuité renouvelée dans le reste du pays.

Sur ce terrain doivent maintenant s’activer toutes les bonnes volontés. Par son ampleur même, la catastrophe qui s’est abattue sur le Liban commande absolument des révisions déchirantes. Plus que jamais le Hezbollah se trouve sommé par les événements de se prouver plus libanais que persan ; il nous le doit à tous et pas seulement à la communauté chiite, particulièrement éprouvée par ses paris foireux et pratiquement laissée à l’abandon. De même les autres composantes sont-elles tenues d’œuvrer intelligemment à reconstituer un puzzle libanais qu’ont bousculé les ingérences étrangères. Tous ces morts ne doivent pas être tombés pour rien. Toutes ces cendres laissées par les incendiaires, il faut d’urgence les recycler, en faire du béton.

État à reconstruire cherche désespérément hommes d’État.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Maintenant que l’arbitre américain a sifflé la fin de la sanglante partie ; maintenant aussi qu’Israël s’est livré hier au sinistre rituel commandant un hystérique déchaînement de violence en prélude à tout cessez-le-feu, vient le moment pour tout un chacun d’un premier constat des pertes et profits.L’Amérique remporte sans conteste le premier prix du concours en matière de...