Plus les bombes pleuvent et plus la perspective d’un accord de cessez-le-feu s’éloigne aux yeux des Libanais. Plus Israël menace de détruire tout le Liban, plus les Iraniens et le Hezbollah jouent la surenchère et plus l’optimisme d’Amos Hochstein apparaît en décalage avec notre réalité.
Notre scepticisme pourrait toutefois être démenti dans les prochaines heures. Contre toute logique – ou plutôt en raison d’une autre logique –, le Hezbollah et Israël semblent tout proches de trouver un accord, à condition que le premier accepte les exigences du second. Pourquoi Israël s’arrêterait-il maintenant ? Et pourquoi le Hezbollah accepterait-il un accord si favorable à son ennemi ? Peut-être tout simplement parce que les deux parties estiment qu’elles ne pourront rien obtenir de mieux si la guerre se poursuit encore plusieurs semaines ou plusieurs mois. Certains paramètres nous échappent : à quel point l’armée israélienne est-elle fatiguée ? Combien de temps le Hezbollah peut-il encore « résister » ? Quel sera le rôle exact du comité de surveillance et en particulier des États-Unis au Liban-Sud? À quelle fréquence Israël compte-t-il continuer de frapper le Hezbollah comme le lui permettrait a priori l’accord ? Et en quoi celui-ci s’inscrit-il dans une stratégie israélienne plus large, qui inclut les États-Unis et concerne également Gaza, la Cisjordanie, la Syrie et l’Iran ?
Bien plus qu’Israël, le Liban a besoin que cette guerre s’arrête au plus vite. Chaque jour supplémentaire ajoute son lot de morts, de destructions, de désolation, de déchirement au sein de la société et de radicalisation des esprits. Chaque jour nous éloigne encore plus d’une possibilité de (re)faire le Liban une fois la guerre terminée. Penser que la prolongation du conflit peut être positive pour le pays dans le sens où elle aboutirait à affaiblir encore davantage le Hezbollah est, à notre avis, une folie. Rien de bon n’en sortira. Parier sur la guerre, c’est parier sur la fin du Liban.
Mieux vaut un mauvais accord qu’une guerre sans fin. Mais cela ne doit pas nous empêcher de constater que l’accord en question est effectivement mauvais pour le Liban. Pour au moins trois raisons. La première, c’est qu’il ne permet pas d’envisager la reconstruction des quartiers et villages détruits à court et moyen terme. La facture se chiffre déjà à au moins dix milliards de dollars. Qui va la payer ? L’Arabie saoudite ne mettra pas la main au portefeuille tant que le paysage politique n’aura pas changé. Les Occidentaux ne vont pas sortir dix milliards pour nos beaux yeux. Le Qatar et les Émirats peuvent y voir une opportunité, mais même pour eux, le ticket d’entrée est cher payé. Reste l’Iran. En a-t-il les moyens ? En aura-t-il la possibilité ? Cela risque de compliquer les choses plus que de les arranger. En l’absence d’une reconstruction rapide, les déplacés ne pourront pas rentrer chez eux, ce qui risque d’aggraver les tensions en interne.
La deuxième raison tient au fait que l’accord officialise la « syrianisation » du Liban. Notre pays va devenir un territoire dans lequel Israël peut intervenir à sa guise en fonction des agissements du Hezbollah et de ses alliés. La guerre contre le parti de Dieu va ainsi se poursuivre par d’autres moyens : via des frappes plus ou moins ciblées, via un contrôle de la frontière syro-libanaise et une pression sur Damas, et via un étouffement de la milice en empêchant les armes et l’argent de pénétrer sur le territoire. Tout cela dans le cadre d’une coopération israélo-américaine.
La troisième raison concerne le fait que l’accord ne dit pas grand-chose de ce qui se passera au nord du Litani. Il ne prévoit pas le désarmement du Hezbollah dans cette zone et ne permet pas d’envisager, pour le moment, une nouvelle dynamique politique. Israël et les États-Unis vont tenter de contrôler le Hezbollah au Sud ou bien, plus généralement, dans tout ce qui concerne sa dimension régionale. Mais ce ne sont pas eux qui vont l’empêcher de retourner ses armes contre les Libanais, de reprendre sa politique d’assassinats ou de tenter d’imposer sa domination au Nord pour compenser ses pertes dans le Sud. Le risque est celui d’une double tutelle : celle du couple israélo-américain au Sud, celle du tandem chiite au Nord.
Nous pouvons encore tenter d’éviter ce scénario. Pas en refusant l’accord, nous n’en avons de toute façon pas les moyens, mais en le libanisant. En faisant en sorte de mettre au plus vite sur la table les sujets les plus essentiels qui concernent d’abord la gouvernance au nord du Litani, mais qui permettront également de reconstruire le Sud : le nouveau contrat social, la réconciliation entre les Libanais, le désarmement du Hezbollah, la mise en œuvre d’une nouvelle politique étrangère, la prise de conscience que le Liban doit être un acteur de la paix et non un théâtre, le plus souvent, pour les guerres des autres.
Si un cessez-le-feu est conclu dans les prochaines heures, il faudra sauter sur l’occasion pour avoir toutes ces discussions non seulement avec le Hezbollah, mais avec l’ensemble des partis. Nous ne pouvons plus attendre bêtement et désespérément que le destin du Liban soit décidé à l’extérieur du pays. Il est temps de proposer un projet digne de ce nom susceptible de convaincre une majorité de Libanais. Si le Hezbollah joue le jeu, il pourrait en faire partie. Si, au contraire, il refuse de changer son ADN, d’être un parti libanais avant d’être un membre de l’appareil iranien, il faudra installer un nouveau rapport de force politique, et surtout pas militaire, avec le parti. Nous n’avons pas le choix. La syrianisation du Liban est l’un des pires scénarios possibles. Bachar el-Assad a perdu sa souveraineté pour rester au pouvoir. La Syrie est ruinée, la moitié de la population est déplacée ou réfugiée, et cela dure depuis des années. Le pays est un trou noir. Et le Liban, si rien n’est fait, prend malheureusement le même chemin.
Inchallah
18 h 11, le 26 novembre 2024