Dans le hall du théâtre Monnot à Beyrouth, où il est venu rejoindre Josyane Boulos, la directrice des lieux et accessoirement « sa » comédienne, on rencontre un Samer Hanna en plein tourbillon émotionnel à la veille de son départ pour la Tunisie. Entre bonheur, excitation et appréhensions… Le jeune auteur, acteur, metteur en scène et producteur de comédies musicales d’à peine trente ans n’en revient pas d’avoir sa pièce Tnein Bil Leil (Deux dans la nuit) retenue en compétition officielle aux Journées théâtrales de Carthage, dont la 25e édition se déroule cette année du 22 au 30 novembre. Et s’il se dit « très honoré de représenter le Liban au sein de ce prestigieux festival de théâtre, et très fier de porter la créativité et la résilience de ses artistes à l’international malgré tout ce qu’il traverse », il avoue ressentir surtout de « la gratitude pour cette reconnaissance de mon travail à laquelle je n’osais même pas rêver. C’est mon chorégraphe, Romario Akiki, qui a envoyé le dossier. Personnellement, je n’y croyais pas du tout, persuadé que cette œuvre un peu expérimentale, écrite et montée en un laps de temps assez court, ne pourrait intéresser ce festival qui sélectionne les plus importantes productions des scènes artistiques arabes et africaines ».
Un dépressif, sa voisine et sa mère
Et pour cause, sa pièce, qui y sera donc présentée le 28 novembre « en compétition officielle », est un musical sous forme de huis clos intimiste avec trois personnages seulement. La trame met en scène un jeune homme déprimé s’apprêtant à mettre fin à ses jours et qui voit débarquer, peu avant le moment fatidique, sa voisine, une jeune femme extravertie et envahissante, ainsi que sa mère, à la personnalité froide et distante.
« Dans Tnein Bil Leil, comme toujours dans les spectacles de Samer Hanna, sous la légèreté, il y a une approche psychologique pleine de subtilité », souligne Josyane Boulos qui interprète le rôle de la mère. « Les caractères sont bien brossés et le scénario divulgue un très beau message de tolérance, d’inclusivité, d’acceptation de l’autre et de soi. » « Il y aussi l’idée récurrente chez moi que l’espoir jaillit de là où on ne l’attendait pas », ajoute pour sa part le jeune homme qui déclare s’inspirer des choses de la vie et des diverses situations qui traversent son quotidien.
Dalida fredonnée sous la douche
Dans une autre vie, Samer Hanna aurait aimé être musicien, pianiste plus précisément. « Je n’ai malheureusement pas eu l’opportunité d’apprendre à jouer du piano durant mon enfance », regrette-t-il. En revanche, il a grandi en musique, biberonné aux tubes des années quatre-vingt, ceux des Abba, qu’écoutaient en boucle ses parents. Du coup, le tout juste trentenaire est aujourd’hui abonné à radio Nostalgie et Light FM. Fan de Dalida aussi et surtout, dont il chantait ce matin même sous la douche « C’est fini la comédie », révèle-t-il dans un grand sourire. Un titre qui ne colle pas du tout à la réalité de ce talent montant de la comédie musicale à la sauce libanaise. Un artiste multidisciplinaire qui, après un diplôme en gestion d’entreprise et une crise de panique à l’annonce de son embauche dans une grande banque de la place, s’est tourné vers des études scéniques et théâtrales à l’Université libanaise. « Sans autre motivation au départ que la notoriété, le vedettariat, que pouvait m’apporter une carrière d’acteur à belle gueule », confie-t-il à L’Orient-Le Jour, avec une sincérité désarmante.
« Il y a l’idée récurrente chez moi que l’espoir jaillit de là où on ne l’attend pas »
Sauf qu’au contact des grandes pièces du répertoire théâtral, il se prend très rapidement au jeu. Avant de se passionner pour le musical, « découvert durant le confinement du Covid grâce aux retransmissions gratuites de tout le catalogue de Broadway », et de décider de s’y atteler lui aussi.
Il devra cependant affronter le peu d’enthousiasme manifesté par ses professeurs davantage enclins à favoriser les tragédies classiques, le théâtre de l’absurde et les pièces au registre plus intellectualisant. « Alors que, personnellement, je voulais introduire la musique, le chant et la danse dans mon théâtre pour offrir au public un divertissement populaire et contemporain, comme une bouffée de fraîcheur dans leur réalité difficile. »
Introspection, chansons et bande de potes
Seule Betty Taoutel, qui enseignait alors à l’UL, va l’encourager. Elle sera son mentor pour son projet de diplôme Yamma Mia, une adaptation libanaise du célébrissime Mamma Mia. Le succès est tel que le spectacle est présenté sur la scène du théâtre al-Madina. Cette même scène où Samer Hanna fera ses premiers pas officiels d’auteur, acteur, metteur en scène et producteur de Musicals à peine quelques mois plus tard avec Hala3, The Musical (Affolement) en 2021. Il y enrôle, une fois de plus, sa vingtaine de copains de fac. Car le jeune homme qui confesse un brin de narcissisme et une timidité qui paralyse parfois ses échanges, est paradoxalement de ceux qui cultivent l’amitié en bande. Celle qu’il a formée au cours de ses années d’études théâtrales à l’Université libanaise est depuis partie prenante dans toutes ses productions. « Sans elles, sans eux rien n’aurait été possible », affirme en toute modestie le comédien qui, entre deux rôles dans des pièces et séries télévisées, s’amuse à écrire ses propres comédies musicales.
Suivront ainsi en 2023, Yen3ad 3leyna - The Musical (Meilleurs vœux), une histoire de réunion de famille, toujours à la sauce libanaise. Et en janvier 2024, Tnein Bil Leil, dont les 33 représentations dans la petite salle Act du Théâtre Monnot seront furieusement applaudies.
Où peut-on situer aujourd’hui Samer Hanna, dans l’industrie restreinte du Musical Libanais ? À mi-chemin de Roy el-Khouri et ses adaptations des grands spectacles de Broadway en arabe (Chicago Bil Arabi) et le théâtre de Georges Khabbaz, « aux pièces plus proches du terroir que les miennes et plus dénonciatrices en chansons des maux de la société libanaise ».
Son théâtre à lui est plus porté sur l’introspection, les situations intimistes brossées à la sauce locale, et qui sont en même temps universelles : les relations amicales, amoureuses, les liens familiaux, le mal-être parfois, la difficulté à trouver sa place… Et puis même si les chansons sont issues d’un melting-pot de rythmes occidentaux, très pop-années quatre-vingt, leur paroles réadaptées au dialecte et au contexte actuel libanais donnent à la pièce une contemporanéité propre aux Libanais de la nouvelle génération.
Un « Paradisco » à venir
À propos des années 1980 justement, sa toute dernière création intitulée Paradisco, « un hommage total aux eighties », aurait dû être à l’affiche du théâtre Monnot en ce mois de novembre. Reportée en raison de la situation, le jeune artiste qui avait beaucoup investi dans cette production – où il rassemblait à nouveau l’intégralité de sa troupe – commençait à se sentir déprimé, avoue-t-il. La nouvelle inattendue de son invitation au festival de Carthage est venue lui redonner de l’espoir. Cet espoir chevillé au cœur de toute son œuvre. Et qui le fait rêver à nouveau « d’un avenir dans un Liban en paix, où je continuerai à créer, à jouer, à offrir de la joie et du divertissement au public tout en présentant mes pièces à l’étranger », déclare ragaillardi celui dont la devise est : « Sois aimable et sois courageux. »
GOOD LUCK,Samer!
08 h 00, le 28 novembre 2024