En observant l’Orient et l’Occident, on pourrait presque croire que deux logiques parallèles régissent ces mondes, ne se croisant jamais, comme deux trains sur des rails bien distincts. Dans un coin, l’Occident, pragmatique et terre à terre, obsédé par le calcul des coûts et des bénéfices, où chaque vie perdue est une tragédie, chaque million envolé est une catastrophe et chaque guerre perdue est admise comme telle. Dans l’autre coin, un univers parallèle, où la perte devient victoire, et la défaite se drape du nom poétique de « intissar ». Bienvenue dans la logique arabo-islamique-chiite, où le mot « défaite » semble avoir été effacé des dictionnaires. Parce qu’ici, on ne perd jamais vraiment. Ou plutôt, on perd tout – hommes, argent, villes, souveraineté – mais on gagne une chose précieuse : le droit de dire « intissar ». Et n’est-ce pas là le plus important ?
Imaginez : un conflit éclate, des milliards s’évaporent comme une simple poignée de poussière. 20 milliards, 100 milliards, pourquoi pas ? L’argent, après tout, c’est comme l’eau : ça va, ça vient. Les morts ? Certes, quelques milliers d’hommes ne sont plus, mais n’est-ce pas là le prix à payer pour une noble cause ? Les blessés, les mutilés ? Ils resteront peut-être dans les rues à mendier ou à se battre pour des soins qu’on leur promet, mais qu’importe ? La nation, elle, peut s’enorgueillir : ce sacrifice, ce sang versé, voilà le vrai visage de la victoire, le fameux « intissar ».
Perdre des villes entières, voir des villages rasés, c’est douloureux. Mais ces ruines racontent une histoire héroïque, n’est-ce pas ? Les maisons effondrées, les rues désertées, tout cela n’est qu’un témoignage de la grandeur de l’âme, de la résilience d’un peuple, même si ce peuple se retrouve un peu plus exsangue à chaque victoire. L’économie qui s’écroule ? Elle aussi devient symbole de résistance ! Des 50 milliards de dollars qu’on brassait hier, on passe à 20 milliards, mais c’est là un « intissar », une preuve qu’on ne plie pas sous le poids des chiffres. Finalement, on perd même toute souveraineté, mais ça, ce n’est qu’un détail, une victoire cachée sous le voile épais de l’orgueil.
Le « intissar », c’est aussi la victoire d’avoir pu lancer un missile en direction d’Israël, un seul projectile, peu importe si la réponse vient cent fois plus forte et dévastatrice. Ce ratio de 1 pour 100 devient symbole d’une fierté inébranlable. Dans cet équilibre inversé, même l’écrasement massif devient « intissar ». Un missile lancé, même si des centaines de bombes s’abattent en retour, suffit à alimenter le récit de la victoire.
Pendant ce temps, l’Occident observe, légèrement médusé, de son œil calculateur. Dans cette logique-là, perdre un homme, un dollar, une ville, c’est une perte. Point. Il n’y a pas de poésie dans les ruines, pas de romantisme dans l’effondrement économique. On admet une défaite, on fait des bilans, on évalue les pertes humaines et matérielles et, surtout, on en tire des leçons pour éviter de recommencer. S’entêter dans la défaite ? Ce serait insensé, voire suicidaire ! Et on s’étonne que l’Orient et l’Occident aient parfois du mal à se comprendre.
Ainsi, le « intissar » devient le terrain de l’ironie ultime. D’un côté, un Occident pragmatique qui fait de la victoire une question de gains concrets, mesurables. De l’autre, une logique où chaque éclat de ruine, chaque vie brisée, chaque dollar envolé s’ajoute au trésor invisible d’une victoire qu’on ne saurait discuter. Dans cet univers, on peut tout perdre – sauf l’orgueil. Car, peu importe la réalité, ici on ne s’avoue jamais vaincu. N’est-ce pas là l’essence même du fanatisme ? Croire que la défaite n’existe pas, qu’elle n’est qu’un mirage, et que seul compte le récit que l’on s’en fait.
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04 h 39, le 11 novembre 2024