Au lendemain des bombardements israéliens, un des centres de la région du Metn a ouvert ses portes sans équivoque. 127 personnes originaires du district de Saïda et de Nabatiyeh ont été accueillies à bras ouverts. Dans mon timide parcours de recherche d’aide substantielle, je me heurte à certains obstacles… « Cette guerre n’est pas la nôtre ! (...) Nos régions ne sont pas équipées pour recevoir des déplacés, qui plus est d’une confession qui ne nous ressemble guère (...) Ils ne partiront jamais (...) Pire, ils nous chasseront de nos maisons (...) Que le Hezb les prenne en charge (...) » Et à cet instant, je prends conscience de la profondeur des blessures... Il ne m’appartient pas de les juger, mais de les questionner…
Nous avons oublié une des richesses incontournables de ce pays : son multiconfessionnalisme. Et, lorsqu’il est mis au service d’une vision commune qui est le Liban, nous pourrions alors revendiquer notre droit de souveraineté.
L’amalgame s’est implanté insidieusement dans nos pensées et nos comportements. Il n’appartient à aucun pays étranger de nous « sauver » et de nous éduquer en ce sens. Il est du devoir de chacun d’entre nous de le construire et par la même foulée de nous reconstruire. De poser un regard objectif sur notre histoire, de nous pardonner pour ne pas la perpétuer. De faire taire les bruits extérieurs et d’épouser pleinement notre richesse. Ce fossé qui existe entre nous, cette absence du pouvoir législatif et surtout exécutif ont permis entre autres la pérennité de milice(s) qui se nourrissent du vide, de la méconnaissance favorisant la différence pour supprimer toute initiative de cohésion. Tant que nous nous obstinerons dans le culte de la peur de la différence d’autrui, tant que l’émotion prévaudra à la raison, le problème ne sera que reporté pour à nouveau exploser.
Malgré ces difficultés rencontrées, des femmes m’ont montré le chemin. Leur dignité, leur liberté et leur courage ont éclairé ma route. Elles m’ont permis d’embrasser fièrement mon statut de femme dans une société qui reste pour la plupart patriarcale.
À commencer par la maîtresse de maison ; Nicole qui se dévoue à faire tourner le centre et la coordination quasi parfaite avec le gouvernorat du Mont-Liban dont Dalia, une femme passionnée toujours à l’affût, s’assure que les donations sont distribuées équitablement selon le besoin de chaque centre.
S’ensuit ma rencontre bouleversante avec les déplacés… notamment
Zeinab qui telle une maman, dont notre cher chef du Parlement devrait prendre exemple, a pris sous son aile hommes, femmes et enfants. Je vous avoue que le relais d’informations entre Nicole et Zeinab est d’une fluidité à faire pâlir notre Premier ministre. Son hijab « teinté de tous les maux » ne m’a pas effrayée. Bien au contraire, son ouverture, sa joie de vivre et sa grandeur ont transpercé ce bout de tissu. Il s’ajoute à cette rencontre Amale. Sage-femme de profession, équipée d’un esprit pragmatique, elle anticipe. Elle crée une cellule d’infirmerie, répertorie les malades, anime des ateliers de préventions d’hygiène et de propreté. Elle écoute religieusement et soigne parfois même les blessures de notre petit cœur… 36 enfants sont apeurés et ne rêvent que de retrouver leurs maisons, leurs amis et leurs écoles. Manale, éducatrice de profession, s’appuie sur 19 enseignantes déplacées. Chacune d’entre elles connaît son métier et elles répartissent les enfants par niveau. Le programme scolaire ne s’arrêtera donc pas. La vie doit prendre son cours. Il en va du bien-être viscéral des enfants. Ce que Takla et son équipe ont bien compris. Caritas Hope Center ouvre ses portes aux enfants. Pour épouser cette différence que nos ministres semblent cultiver, les enfants en difficulté d’apprentissage de Caritas ont tenu à rencontrer nos enfants. Leur remettre tout le matériel nécessaire afin que l’éducation soit accessible à tous, sans distinction.
Ce modèle de microsociété est l’initiative de femmes multiconfessionnelles et beaucoup d’entre elles n’ont pas été citées mais contribuent à son fonctionnement. Malgré la situation, un espoir tangible m’anime. Il nous est possible à nous libanais de reconstruire le Liban. Ensemble. Sans blessures. Sans équivoques.
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C'est plutôt encourageant ! Ça fait un peu cher de la énième leçon de rattrapage mais, dans la patrie de l'individualisme le plus imbécile, il faudra bien apprendre à faire confiance aux autres (à l'autre) pour prendre confiance en l'avenir, déjà afin de restaurer un environnement économique et social permettant de reprendre sereinement la production de notre principal article d'exportation : nos cerveaux.
17 h 40, le 09 novembre 2024