« Les oliviers pleurent », cette phrase du cantique de Feyrouz s’élève. Alors que sur scène les corps fragiles, tendres et violents à la fois s’emmêlent. The Love behind my eyes, dernier volet d’une trilogie sur la passion amoureuse de Ali Chahrour, a été créé pendant le confinement en 2020. La pièce est reprise cette semaine au théâtre de la Bastille à Paris. Et les oliviers pleurent encore pendant que la guerre reprend ses droits au Liban sur une population épuisée aux corps meurtris.
La pièce puise son inspiration dans une légende arabe. Il s’agit de l’amour interdit du mufti Mohammad ben Daoud à Bagdad au IXe siècle pour un jeune homme, Ben Jomaa. On raconte que le mufti est mort jeune, le cœur brisé de n’avoir pu poursuivre sa relation prohibée par la société.
Le rituel au cœur
Amour et mort sont au cœur de la pièce de Ali Chahrour qui, une fois de plus, place le rituel religieux au cœur de sa création. Cette fois, c’est le cantique de Feyrouz Wa habibi qui pleure la mort du Christ et chante son amour pour lui qui résonne dans la voix de Leila Chahrour. La cousine du chorégraphe l’accompagne depuis le début de sa trilogie sur la passion amoureuse. Figure de la femme pieuse traditionnelle et aimante, elle regarde se dérouler l’histoire des deux amants interprétés par Ali Chahrour et Chadi Aoun.
Le mouvement ondulatoire partant des hanches souvent réservé aux femmes dans la culture arabe se déploie dans la danse de Ali Chahrour avec grâce. Le mouvement est d’une lenteur infinie. Les corps se touchent délicatement. Geste d’amour sacré. Chair sublimée à l’heure où les chairs sont broyées, déplacées, malmenées dans un pays en guerre. La bande-son nous transporte dans les tonnerres d’un orage et d’une pluie diluvienne. Puis le cataclysme naturel se fait vrombissement d’avions, déflagrations, bombes.
Une danse comme une peinture
Sur scène se forment des tableaux entre pénombre et lumière. Les corps se dessinent dans un clair-obscur comme sortis des peintures de Zurbaran ou Velasquez. L’humain se transforme en insecte à huit membres grâce aux corps fusionnés des deux interprètes. Une image nous transportant cette fois dans l’univers de Jérôme Bosch.
Ali Chahrour s’est nourri des poèmes d’amour de Mohammad ben Daoud et de la littérature érotique de l’époque, y trouvant son inspiration chorégraphique. Mais des histoires d’amour tragiques d’aujourd’hui à Beyrouth ou dans le monde ont aussi inspiré la pièce. Récits d’amants tués ou punis de s’être aimés.
Merveilleux danseurs, Chadi Aoun et Ali Chahrour nous emmènent ainsi d’une composition à l’autre. Sentiments spirituels et désirs charnels confondus et l’amour comme rempart à la violence.
« L’amour, le soin que nous apportons à ceux qui nous entourent nous permettent de rester debout », confie Ali Chahrour. Très heureux de présenter sa pièce à Paris, il dit cependant reprendre l’avion pour Beyrouth dès le lendemain de la dernière représentation avouant ne pas pouvoir s’éloigner longtemps de chez lui en ces moments difficiles.
« The love behind my eyes », du 5 au 8 novembre, au théâtre de la Bastille à Paris.
Direction et chorégraphie deAli Chahrour.
Avec Leila Chahrour, Chadi Aoun, Ali Chahrour.
Musique de Abed Kobeissy.
Création lumière et scénographie de Guillaume Tesson.