Le président de la Chambre, Nabih Berry, est actuellement au cœur de l’actualité interne, tant en qualité de responsable officiel qu’en tant que négociateur international et porte-parole d’une communauté prise pour cible par les Israéliens. Jusqu’où peuvent aller les pressions exercées sur lui ? L’idée de trouver un moyen de le dessaisir du dossier des négociations commence à circuler. Pour l’instant, Nabih Berry garde son sens de l’humour, même lorsqu’il s’agit d’évoquer les sujets graves. À ceux qui lui parlaient des pressions exercées sur lui, à travers les bombardements de Tyr, de son village natal Tebnine et d’autres attaques israéliennes du même type qui se sont intensifiées ces derniers temps, sur fond de discussions avec les émissaires étrangers, il a lancé cette boutade : « Je ne suis pas une cocotte-minute qui fonctionne sous pression ! » Cette phrase fait d’abord sourire, mais elle est aussi une reconnaissance implicite des pressions et du fait qu’elles deviennent plus fortes.
Clarté et fermeté
C’est ce qui ressort d’ailleurs du dernier entretien qu’il a eu avec l’émissaire américain Amos Hochstein le 21 octobre. Même si juste après la visite, les informations qui ont filtré sur son contenu étaient contradictoires, avec le recul, il est clair que M. Hochstein était venu faire aux Libanais des propositions conformes aux demandes israéliennes, concernant notamment la nécessité de surveiller directement l’application de la résolution onusienne 1701 du côté libanais. Selon des sources proches de Aïn el-Tiné, les Américains pensaient sans doute qu’après les derniers coups portés par les Israéliens au Hezbollah, notamment l’élimination de Hassan Nasrallah, le parti serait plus malléable, d’autant que, désormais, Nabih Berry est le seul grand leader de la communauté chiite, en plus de son rôle à la tête du Parlement.
De plus, M. Berry est connu pour être diplomate et pour entretenir de bonnes relations avec les Occidentaux. Mais l’allié du Hezbollah a surpris ses interlocuteurs étrangers par la clarté et la fermeté de sa position qui se résume ainsi : le Liban est prêt à appliquer toutes les dispositions de la 1701, mais il faut aussi que ce soit le cas pour les Israéliens. Il ne peut pas y avoir de modification du contenu de la résolution ni d’« annexe pratique » qui lui serait ajoutée.
Dans les circonstances actuelles, et en raison de la vacance présidentielle et du fait que le gouvernement présidé par Nagib Mikati est démissionnaire, toute décision officielle libanaise passe par M. Berry et, par conséquent, sa position ne peut pas être ignorée.
Comment la contourner, si les pressions n’ont aucun effet ? Les proches de Aïn el-Tiné laissent entendre que la raison du forcing étranger et en particulier américain pour élire un président de la République au Liban serait à chercher de ce côté. Brusquement, et alors qu’en principe la priorité est donnée à la conclusion d’un cessez-le-feu ou d’une entente sur une trêve qui faciliterait les discussions sur un accord durable, les émissaires étrangers venus au Liban ont axé leurs discussions sur la nécessité d’élire au plus vite un président. Certains ont ouvertement évoqué la personne du commandant en chef de l’armée qui bénéficie en principe d’un large appui à la fois politique et populaire, et d’autres se sont contentés de parler d’une personnalité en mesure de rassembler les Libanais et de dialoguer avec l’extérieur. Cette dernière partie de la phrase n’est pas tombée dans l’oreille de sourds. Du côté de Aïn el-Tiné, surtout.
Pour les proches de M. Berry, il s’agirait là d’une volonté claire d’écarter le président de la Chambre des négociations sur la guerre pour laisser le champ libre au président de la République. En effet, selon la Constitution libanaise, c’est le chef de l’État qui négocie les traités et les accords internationaux. En principe, il n’a même pas besoin d’un gouvernement pour le soutenir dans cette mission qui lui est dévolue par la Constitution. C’est lui et lui seul qui détient cette prérogative. Il y a d’ailleurs eu une expérience dans ce sens lorsque Michel Aoun, alors président de la République, a décidé de retirer le dossier des négociations sur le tracé de la frontière maritime au président de la Chambre qui en avait la charge depuis des années pour le gérer lui-même à partir d’octobre 2020. Il a toutefois laissé à Berry le soin d’annoncer officiellement l’aboutissement à un accord-cadre sur le sujet.
À cette époque, certaines parties libanaises avaient contesté la démarche du président de la République, en se basant sur le fait que depuis des années, Nabih Berry mène ces négociations, parvenant à trouver des terrains d’entente entre le Hezbollah, les négociateurs et le Liban officiel. De plus, M. Berry avait évoqué ce qu’on appelle « le système libanais » qui repose, selon lui, sur le consensus, et, comme il connaît parfaitement les rouages internes, tout en ayant de solides relations internationales et l’aval et la confiance du Hezbollah, principal concerné par le conflit libano-israélien, il croyait naturel qu’il soit en charge de ce dossier. Mais il a dû s’incliner devant la Constitution.
Aujourd’hui, et du fait de la vacance présidentielle, la prérogative de négocier les accords internationaux est revenue au président de la Chambre à cause justement de sa triple casquette, interne, externe et proche du Hezbollah.
Mais selon Aïn el-Tiné, contrairement à ce que pensaient certaines parties occidentales, l’assassinat de Nasrallah ainsi que celui de toute une génération de responsables au sein du Hezbollah a donné une plus grande responsabilité à Nabih Berry. Si toutes les pressions exercées sur lui au cours des dernières semaines n’ont pas réussi à peser sur sa position intraitable concernant la nécessité pour Israël d’appliquer réellement la résolution 1701, les Occidentaux pourraient donc songer à pousser vers l’élection d’un président qui serait, lui, plus susceptible de faire des concessions. C’est du moins ce que laissent entendre des sources proches de Aïn el-Tiné qui ajoutent que face à un tel scénario, il est peu probable que M. Berry facilite l’élection d’un président. Ce serait donc une des raisons qui l’ont poussé à affirmer que la priorité est aujourd’hui à la conclusion d’un cessez-le-feu. Les autres parties sont-elles prêtes à accepter cette position, sachant qu’il est difficile d’élire un président sans la communauté chiite et sans le président de la Chambre ?
Excellent article sur l’’indétrônable Nabih Berri. Ancien chef de milice, devenu chef de parti, bon diplomate qui manie l’art d’arrondir les angles les plus aigus depuis trois décennies.
18 h 07, le 30 octobre 2024