
L'affiche annoncant la mise en place par les FL d'une ligne verte.
« Nous sommes près de vous et avec vous. » Les réseaux sociaux relaient depuis mercredi une affiche illustrant la mise en place par les Forces libanaises (FL) d'un numéro vert destiné à permettre aux Beyrouthins de signaler des faits qui leur semblent « suspects » dans leurs quartiers. Cette démarche intervient dans un climat de tension de plus en plus croissant et lié notamment au déplacement de plus de 1,3 million de personnes suite à l'intensification des attaques terrestres et aériennes israéliennes.
« Lancée il y a près d’un mois, cette initiative illustre notre volonté de contribuer à la sécurité des gens, dans le cadre d’une cellule de crise que nous avons créée à l’aune de la situation exceptionnelle que traverse le pays. La démarche est menée dans l’esprit de rassurer les gens et d’aider à la préservation de la stabilité », déclare le député FL de Beyrouth, Ghassan Hasbani. « En cas de suspicion d’anomalies, certaines personnes ne savent pas à qui s’adresser. L'équipe mise en place au sein du bureau de coordination propose de faire la liaison entre elles et les services de renseignements de l’armée pour ce qui est des questions d’atteinte à la sécurité (éléments armés, tirs de balles, etc.) ou bien la municipalité pour des problèmes sanitaires, de tapage nocturne, ou encore d’un excès d’occupants d’une même habitation... Concernant les problèmes que pourraient causer des travailleurs étrangers en situation d’irrégularité, l’équipe en notifie la Sûreté générale », affirme-t-il.
Toutes plaintes confondues, le numéro vert recueille chaque jour une vingtaine d’appels en moyenne. Les membres de l’équipe en font un suivi, soit en appelant les habitants, soit en les visitant. Seuls les cas « sérieux » sont sélectionnés, plaide Sandra Khawam, responsable du bureau de coordination des FL à Beyrouth, à l'origine de l'initiative. « Nous ne voulons pas saturer les services sécuritaires de messages inutiles et filtrons les demandes sur base de soupçons valables », ajoute cette psychologue de profession, jointe par L'OLJ via le numéro vert. « Les gens sont parfois exagérément inquiets : tout en leur procurant un réceptacle pour contenir leurs angoisses, nous nous abstenons de contacter les services sécuritaires lorsque leurs doutes ne sont pas justifiés : ce n’est pas parce que la tête d’un nouveau voisin ne plaît pas, qu’il représente nécessairement une menace », explicite-t-elle, avant d'insister : « Nous ne prenons en aucun cas la place des forces de l’ordre. »
« Un moyen de dissuasion »
Si certains internautes et riverains vont dans se sens et saluent la démarche – « les FL protègent la légitimité de l’État », écrit notamment un partisan dans un post –, c'est précisément ce point qui suscite la polémique : des internautes et opposants reprochent ainsi au parti de Samir Geagea de vouloir établir « son autonomie à l’égard de l’État » ou de vouloir faire d'« Achrafieh (...) son canton ». Certains vont même jusqu'à demander ironiquement si c'est le porte-parole de l'armée israélienne, Avichay Adraee, qui « répond au téléphone ».
Des accusations qui font écho aux polémiques liées à l'installation, depuis au moins un mois, de drapeaux à l’effigie des FL le long des voies du quartier d'Achrafieh. « Il s’agit de faire comprendre aux nouveaux venus ayant des velléités de porter atteinte à la sécurité, qu’Achrafieh a un cachet propre qu’ils doivent admettre a priori », affirme un riverain à L’OLJ, avançant que les drapeaux ont été hissés à la demande des résidents. Et d'ajouter : « C'est un moyen de dissuasion... »
« L’État n'a pas besoin de partis et d'institutions alternatives. Il faut que son pouvoir soit renforcé », commente Mona Fawaz, professeure d'urbanisme à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), à propos du numéro vert, rappelant à cet égard que le « Hezbollah a créé des structures parallèles » qui ont affaibli l’État. Et de mettre en garde contre les initiatives et discours qui « divisent », considérant par ailleurs que le quadrillage du quartier par des symboles comme les drapeaux partisans peuvent générer des tensions. « Les citoyens devraient tous se rassembler autour du seul drapeau national, celui-ci étant le symbole d' un Liban pluraliste », dit encore la chercheuse, proche des mouvements de contestation.
Un furieux parfum de début de guerre civile, quand "protéger" un quartier voulait dire agresser les "étrangers"...
18 h 55, le 28 octobre 2024