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Lifestyle - Patrimoine en danger

Le souffle des explosions met en péril les vestiges de Baalbeck et Tyr

Avec la violence des bombardements sur Tyr ces derniers jours, quel est l’impact sur le patrimoine des bombes israéliennes aux abords des sites archéologiques ? Des spécialistes nous livrent quelques réponses.

Le souffle des explosions met en péril les vestiges de Baalbeck et Tyr

L’hippodrome romain de Tyr, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, est en péril. Photo Creative Commons

Alors que l'armée israélienne continue de frapper violemment la Bekaa, sommant ce mercredi 30 octobre les habitants de plusieurs villages, dont Baalbeck d'« évacuer immédiatement », nous vous proposons la relecture de cet article écrit en date du 25 octobre.


« Ce sont les quartiers adjacents au site de Tyr qui sont en train d’être rasés par des raids aériens. Les bâtiments patrimoniaux n’ont pas été épargnés ; ils ont été détruits jusqu’au sol », affirme à L’Orient-Le Jour un responsable de la Direction générale des antiquités (DGA) qui préfère garder l’anonymat. À la question de savoir si le souffle des bombardements qui ont ciblé la vieille ville peut avoir une retombée ou une incidence sur les monuments archéologiques à proximité, il signale qu’« il faudra une analyse ultérieure par des experts en conservation pour évaluer les dommages subis. En raison du déluge de bombardements, aucun archéologue ne peut se déplacer sur le terrain, par conséquent nous n’avons pas de détails précis ».

Le spécialiste rappelle que Tyr, la grande cité phénicienne maîtresse des mers, fondatrice de comptoirs prospères comme Cadix et Carthage, est constituée de deux sites distincts : al-Mina, situé sur le promontoire, et el-Bass. Le premier comprend d’importants vestiges, dont des thermes publics d’époque romaine et byzantine, et les citernes, les deux palestres, la voie romaine à colonnade et l’arène créée au Ier siècle après J.-C. La seule arène de forme rectangulaire au monde.

À Tyr, ici en octobre 2022, des vestiges appréciés par les touristes du monde entier. Mahmoud Zayyat/AFP

Le secteur el-Bass, qui constituait l’entrée principale de la ville dans l’Antiquité, comprend les vestiges de la nécropole de part et d’autre d’une large voie monumentale commandée par l’un des vestiges les plus impressionnants du site, un arc de triomphe romain du IIe siècle après J.-C. On compte également l’aqueduc et l’hippodrome du IIe siècle, l’un des plus grands du monde romain. « Pourtant, ce site archéologique inscrit au patrimoine mondial en raison de l’importance universelle de ses vestiges laissés par les civilisations phénicienne, romaine et byzantine est aujourd’hui menacé par la violence et les hostilités qui s’y déroulent, mais aussi par l’indifférence et le silence du monde », ajoute le responsable de la DGA.

Les 546 sites archéologiques dans la Békaa sont-ils épargnés ?

« Même si les bombes tombent un peu loin des sites, leurs répercussions ont un effet néfaste sur les vestiges. Car ceux-ci sont fragiles au niveau structural, leur structure n’étant pas assez solide pour supporter les ondes de choc, et je pense qu’il y a des dégâts », déclare pour sa part l’archéologue Assaad Seif, directeur d’Icomos-Liban (Conseil international des monuments et des sites – organisation consultative du Comité du patrimoine mondial de l’Unesco).

Hani Kahwagi, ingénieur spécialisé dans les monuments archéologiques, avance pour sa part que « les dégâts dépendent de la force des frappes et de leur distance. Si elles sont près du site, elles envoient des vibrations et créent une instabilité structurale », estimant toutefois que « les dommages ou les déformations des pierres restent impossibles à évaluer fidèlement sans la méthode scanner laser ». M. Seif se dit également « inquiet pour tous les autres vestiges parsemés dans la Békaa et au Liban-Sud, citadelles, tombes, temples et autres, qui constituent un riche patrimoine culturel et historique. Et je ne suis pas sûr qu’ils aient été épargnés par les pilonnages ».

Il y aurait 546 sites dans la Békaa, selon Hélène Sader, professeure d’archéologie à l’Université américaine de Beyrouth, directrice des fouilles d’établissements phéniciens à Beyrouth et à Tell el-Bourak dans le sud du Liban, auteure de Histoire et archéologie de la Phénicie. « Mais tous n’ont pas été répertoriés par le ministère de la Culture, dit-elle. Nous ne sommes pas sûrs que ces espaces gagnés par l’urbanisation et l’agriculture aient été préservés. De plus, la grande majorité sont des propriétés privées. Et s’ils ne sont pas inscrits comme monuments historiques, sur une liste officielle avec interdiction d’y toucher, les propriétaires peuvent disposer de ce bien comme bon leur semble. C’est là que réside le problème. »

Mme Sader raconte l’histoire suivante qui s’est déroulée à Naamé, au sud de Beyrouth, où elle comptait entreprendre des prospections sur un site important signalé par les annales et chroniques historiques, et par l’archéologue et ancien inspecteur à la Direction générale des antiquités du Liban Roger Saïdah (décédé en 1979), dont les sondages ont mis en évidence différents niveaux d’occupation, allant du néolithique jusqu’à la période ottomane. « Le lieu qui appartient à un Saoudien figurait sur la liste des sites archéologiques, mais le classement a été supprimé en 1980 suite à des pressions politiques. Dès lors, le propriétaire du terrain nous en avait interdit l’accès. Ainsi dit la loi ! » Le terrain se situe aujourd’hui à proximité du dépotoir de Naamé.

Le temple de Bacchus dans toute sa splendeur. Attention danger... Anwar Amro/AFP


La triade héliopolitaine veille sur Baalbeck

Jusque-là, la cité des géants « résiste et tient le coup malgré les frappes », annonce Laure Salloum, archéologue et responsable de la ville antique de Baalbeck auprès de la DGA. « Mais si le déluge des bombes israéliennes s’intensifie et se rapproche, des risques pèsent sur le patrimoine culturel. Il peut en résulter sur les vestiges des dégradations et des détériorations », ajoute-t-elle.

Héliopolis, un des sites archéologiques les plus spectaculaires du Proche-Orient, est donc en danger. Aussi Laure Salloum et Khaled Rifaï, chef du service conservation et restauration à la Direction générale des antiquités, planchent sur les cartes archéologiques qui dressent l’inventaire de l’ensemble des observations archéologiques réalisées dans la zone. « Cela nous permet déjà de localiser les ruines en état de précarité, de relever les opérations archéologiques réalisées ou les protections réglementaires dont elles ont fait l’objet. Ainsi, lorsqu’un cessez-le-feu interviendra, notre équipe pourra s’atteler à une évaluation globale des dommages et à la protection des sites », explique Laure Salloum.

Pour mémoire

Les spectaculaires colonnes de Jupiter s’offrent un lifting d’un million et demi d’euros

Les constructions colossales bâties pendant plus de deux siècles font de Baalbeck un des sanctuaires les plus célèbres du monde romain et un modèle de l’architecture romaine de la période impériale. Parmi les temples géants bâtis par les Romains, ceux de Bacchus et de Jupiter (avec ses six colonnes de granit de 22 mètres de hauteur) sont les mieux conservés. Rappelons qu’en mai 2023, les spectaculaires colonnes de Jupiter s’étaient offert un lifting d’un million et demi d’euros financé par le gouvernement italien via l’Agence italienne de coopération au développement (AICS).

Mme Corine Yazbek, archéologue, préhistorienne et professeure à l’Université libanaise, est formelle : « Les frappes aux environs des sites archéologiques peuvent affecter les fondations des monuments, puisqu’en explosant, la bombe libère une onde électromagnétique très brève mais de forte amplitude, qui a un effet néfaste sur les structures. » Elle déplore que le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada, ait pris la décision de retirer de Baalbeck le « bouclier bleu » (Blue Schield), emblème désignant les biens culturels à protéger en temps de conflit armé. Pour justifier son choix, il avait déclaré dans un tweet que « les atrocités commises à Gaza ont prouvé qu’un tel “bouclier” ne protège rien. Ce qui protège le Liban, son peuple et ses biens privés et publics, c’est notre vaillante armée et la résistance ». Soit le Hezbollah. Qu’il y ait bouclier bleu ou pas, Israël est considéré à juste titre comme la négation constante du droit international.

On pourrait penser que dans un Liban où les problèmes s’accumulent crescendo, la sauvegarde du patrimoine s’apparenterait presque à un luxe inutile. Mais le patrimoine est une culture nationale, une composante de nos racines et d’une certaine manière de notre identité.

Alors que l'armée israélienne continue de frapper violemment la Bekaa, sommant ce mercredi 30 octobre les habitants de plusieurs villages, dont Baalbeck d'« évacuer immédiatement », nous vous proposons la relecture de cet article écrit en date du 25 octobre.« Ce sont les quartiers adjacents au site de Tyr qui sont en train d’être rasés par des raids aériens. Les bâtiments patrimoniaux n’ont pas été épargnés ; ils ont été détruits jusqu’au sol », affirme à L’Orient-Le Jour un responsable de la Direction générale des antiquités (DGA) qui préfère garder l’anonymat. À la question de savoir si le souffle des bombardements qui ont ciblé la vieille ville peut avoir une retombée ou une incidence sur les monuments archéologiques à proximité, il signale qu’« il faudra une analyse ultérieure...
commentaires (4)

Il aurait suffit que les combattants vendus ne s’approchent pas de nos patrimoines pour que ces derniers restent intacts. Les Syriens ont fait la même chose en s’installant dans Anjar pour détruire nos sites archéologiques, ils n’ont rien inventé. Si HB était regardant sur notre richesse, notre respect et notre patrimoine ça se saurait.

Sissi zayyat

11 h 00, le 31 octobre 2024

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Commentaires (4)

  • Il aurait suffit que les combattants vendus ne s’approchent pas de nos patrimoines pour que ces derniers restent intacts. Les Syriens ont fait la même chose en s’installant dans Anjar pour détruire nos sites archéologiques, ils n’ont rien inventé. Si HB était regardant sur notre richesse, notre respect et notre patrimoine ça se saurait.

    Sissi zayyat

    11 h 00, le 31 octobre 2024

  • Après ISIS qui avait detruit des trésors anciens en Iraq et en Sytie voilà qu' israel directement ou indirectement s'attaque aux trésors historiques du liban... on parlait de l'âge de pierre ... on se trouve à l'âge de l'idiotie

    Wlek Sanferlou

    13 h 07, le 28 octobre 2024

  • Les Israéliens ne reculent devant rien. Il faut s'attendre à tout, venant de soldats qui n'ont aucune culture historique, à part leur rabâchage habituel qui prétend que la terre de Palestine leur appartient parce que Dieu la leur a promise.

    Politiquement incorrect(e)

    15 h 30, le 25 octobre 2024

  • Tiens, tiens !! Habituellement tout commentaire concernant le « risque » de voir nos richesses archéologiques, endommagées et même DÉTRUIT S par les bombardements israéliens sont censurés ?? En photo des touristes : Ils filment le survol de des avions israéliens au-dessus de TYR . .

    aliosha

    11 h 52, le 25 octobre 2024

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