Alors que la campagne israélienne au Liban se poursuit, plusieurs questions restent sans réponse. Quel est son objectif ultime ? Qu’adviendra-t-il du Hezbollah ? Et comment expliquer le changement de l’attitude américaine vis-à-vis de cette offensive ?
Le premier signe de ce changement est apparu au début du mois d’octobre, lorsque l’envoyé spécial américain Amos Hochstein a déclaré au Premier ministre sortant Nagib Mikati que l’offre qu’il avait transmise aux Libanais en juin dernier – et qui faisait plus ou moins écho à la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU – était désormais « hors de discussion », en raison de l’évolution de la situation sur le terrain.
En retirant sa proposition, Washington paraît adopter la position israélienne selon laquelle la résolution 1701 n’est plus suffisante, car elle ne prévoit pas de mécanisme de mise en œuvre garantissant que le Hezbollah reste éloigné du territoire israélien.
« Briser la mainmise du Hezbollah »
La direction politique et militaire du Hezbollah ayant été largement décapitée après l’assassinat du secrétaire général Hassan Nasrallah, de son successeur présumé Hachem Safieddine et de plusieurs commandants militaires de haut rang, les Américains cherchent désormais à modifier fondamentalement l’équilibre des forces au Liban. « Ce que nous voulons voir sortir de cette situation, en fin de compte, c’est que le Liban soit capable de (...) briser la mainmise (que le Hezbollah) a eue sur le pays et supprimer (son) veto sur (l’élection d’)un président », a ainsi déclaré le porte-parole du département d’État, Matthew Miller.
L’élection d’un nouveau président de la République est une priorité pour les Américains, dans la perspective de la consolidation d’un ordre post-Hezbollah. Il n’est pas surprenant que le candidat qu’ils privilégient soit le commandant des forces armées, Joseph Aoun, qui représente la seule institution nationale ayant gardé le respect de la plupart des Libanais. M. Aoun incarne la logique de l’autorité de l’État contre la logique de résistance illimitée du Hezbollah.
Recette pour la guerre civile
Toutefois, ceux qui s’empressent de déclarer la mort du Hezbollah devraient être très prudents : tenter d’imposer une nouvelle réalité que le parti considérerait comme une menace pour ses intérêts vitaux est une recette pour la guerre civile. C’est une constante qui a traversé toutes les crises au Liban, les grandes décisions, lorsqu’elles ne sont pas prises par consensus, ont tendance à engendrer des conflits intercommunautaires.
Cette situation peut être frustrante pour les gouvernements étrangers. Mais le moment est mal choisi pour contraindre la communauté chiite à prendre des décisions contre le Hezbollah. La communauté est traumatisée, disloquée et lourdement armée, sans leader capable de contrôler le ressentiment et l’humiliation généralisés que les chiites doivent ressentir en tant que seule communauté ciblée par Israël. Une fois que le parti aura repris pied, il tiendra un discours selon lequel l’assaut israélien a été exploité pour marginaliser une fois de plus les chiites, afin de détourner en interne la colère née de la rage destructrice d’Israël.
Selon des voix influentes à Washington, il a été question récemment de sanctionner le président du Parlement, Nabih Berry, s’il n’appelle pas à une séance électorale. Cette idée paraît tout simplement stupide : M. Berry se trouve à l’intersection des deux logiques qui prévalent aujourd’hui, celle de la résistance et celle de l’État. En le sanctionnant, non seulement les Américains neutraliseraient le potentiel médiateur d’une solution consensuelle pour l’après-guerre du Liban – et qui pourrait éventuellement inclure le Hezbollah –, mais ils mineraient également le Parlement lui-même, laissant le pays dans un vide institutionnel.
Il semble y avoir un malentendu sur ce qu’est le Hezbollah. Pour les Américains et les Israéliens, l’organisation est simplement « une force iranienne mandataire », ce qui signifie qu’il suffit de tuer ses dirigeants pour résoudre le problème. C’est ignorer à quel point le Hezbollah est ancré dans l’identité collective de l’une des plus importantes communautés du pays. En d’autres termes, tous les efforts visant à affaiblir le parti seront interprétés par un grand nombre de chiites comme une tentative de mettre hors d’état de nuire la communauté dans son ensemble. C’est pourquoi de nombreux déplacés restent aujourd’hui fidèles au Hezbollah, en dépit des conséquences de sa colossale erreur de calcul à l’égard d’Israël – la deuxième en dix-huit ans.
En revanche, les États-Unis ont entretenu des relations particulièrement bonnes avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a manifestement pris sur lui de mener la charge contre le Hezbollah. Lors d’une conférence organisée dans sa résidence le week-end dernier, M. Geagea a réitéré son soutien aux résolutions des Nations unies sur le Liban, en particulier à la résolution 1559 qui appelle au désarmement du Hezbollah. Le problème est que parmi les autres opposants au parti, peu suivront M. Geagea dans une confrontation qui pourrait exacerber les hostilités intercommunautaires.
À un autre niveau, les Américains doivent déterminer comment les plans militaires israéliens au Liban jouent un rôle dans tout cela. Les Israéliens disposent d’une série d’options. L’une d’entre elles vise apparemment à appliquer par la force la résolution 1559, tandis qu’une autre cherche à renforcer les accords de sécurité le long de la frontière sud. Le premier objectif pourrait très probablement entraîner une invasion jusqu’au fleuve Awali et Saïda, d’où les Israéliens prendraient leur temps pour détruire les caches d’armes du Hezbollah dans l’ensemble du pays. Le second objectif pourrait signifier que les Israéliens occupent toute la zone située entre le fleuve Litani et la frontière et qu’ils conditionnent leur retrait à l’adoption d’une résolution plus sévère que la résolution 1701.
De nombreux Libanais seraient favorables à l’affaiblissement de l’emprise du Hezbollah et le remplacement de sa force militaire par l’armée libanaise. Mais cela ne se fera certainement pas avec succès à partir de Washington ou d’Israël. Tout au plus les partis libanais pourront-ils contraindre le Hezbollah à entamer des négociations sur une nouvelle stratégie de défense nationale, et ils auront sans aucun doute besoin de M. Berry pour cela. Et même dans ce cas, rien n’est garanti, puisque Téhéran reste le décideur ultime en cette matière.
Néanmoins, en raison de l’affaiblissement significatif et durable des capacités de la milice d’une part, et de l’épuisement de sa base populaire face à la guerre, d’autre part, Téhéran pourrait revoir ses priorités, passant du réarmement du Hezbollah à la revitalisation de la communauté et à la préservation de son influence au Liban. Faute de quoi, les chiites libanais pourront en conclure qu’ils ne sont là que pour servir de chair à canon iranienne.
Ce texte est la version synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.
Rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit)
Parler de guerre civile a tout bout de champ comme si tous les libanais étaient à couteaux tirés les uns contre les autres est arche faux aussi puisqu’il s’agit d’un slogan des vendus de notre pays. La preuve, cette solidarité spontanée qui est née dès la première minute de la guerre et la rencontre de tous les libanais qui semblaient découvrir leurs compatriotes, loin des clichés et des propagandes haineuses de leurs leaders respectifs. Qu’on arrête de prendre les libanais pour ce qu’ils ne sont pas.
14 h 09, le 26 octobre 2024