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Société - Guerre au Liban

« C’est comme si nos souvenirs étaient partis en fumée » : le fatalisme des habitants de villages du Liban-Sud pulvérisés par Israël

Des soldats d'une brigade de l'armée israélienne se sont filmés au moment de détruire le village frontalier de Mhaybib, mercredi, dans le caza de Marjeyoun.

« C’est comme si nos souvenirs étaient partis en fumée » : le fatalisme des habitants de villages du Liban-Sud pulvérisés par Israël

Capture d'écran d'une vidéo postée sur les réseaux sociaux montrant l'explosion au village de Mhaybib par l'armée israélienne, le 16 octobre 2024. Photo AFP

Au moment où Qassem Jaber a vu apparaître les images sur l’écran de son smartphone, partagées en masse sur les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp de tout le Liban, la première étape fut celle du déni : « Quand j’ai regardé cette vidéo pour la première fois, je ne voulais pas y croire. Je me disais que c’était impossible, que ce que je voyais en train d’exploser ne pouvait pas être Mhaybib », raconte au bout du fil le moukhtar de cette petite localité frontalière, réduite en cendres mercredi par une division de l’armée israélienne, la brigade Alexandroni, à l’aide de plusieurs tonnes d’explosifs disséminées aux quatre coins du village.

« Le pire, c’est de les entendre jubiler », bouillonne l’édile. « Il faut que vous envoyiez ça à l’ONU ! Ils ont attaqué un sanctuaire vieux de plus de 2 000 ans ! » s’indigne-t-il. Le sanctuaire en question, le maqâm, a été construit avant l’ère chrétienne en l’honneur du plus jeune fils du prophète Jacob, Benjamin, cité dans l’Ancien Testament et le Coran. Son nom est d’ailleurs à l’origine de celui du petit village que seul ce bout de patrimoine pouvait sortir de l’anonymat. Pillé dès 1948 par des soldats israéliens – qui y auraient dérobé un rocher portant des inscriptions hébraïques, selon plusieurs sources, après avoir perpétré un massacre dans le village libanais de Houla –, le Nabi (le prophète en arabe), comme l’appellent les habitants, a cette fois peu de chance d’y avoir réchappé. « Jusqu’à présent, je n’ai pas pu avoir de détails sur ce qui n’a pas été détruit , explique Qassem Jaber. Personne n’a pu aller sur les lieux pour vérifier car tout le monde est parti, à part quelques agriculteurs. Mais vu les images, je pense qu’il n’y a plus rien... »

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« En un instant, tout s'est évaporé »

Perché en haut d’une colline qui surplombe Meis el-Jabal, dans le caza de Marjeyoun, ce petit patelin chiite abrite d’habitude quelque 300 âmes à l’année. Une partie d’entre elles avaient fui les lieux dès octobre 2023, avant que le reste se résout à lui emboîter le pas à partir du 23 septembre dernier, date du début de l’escalade israélienne ayant poussé plus de 1,4 million de personnes à quitter leurs foyers. Situé à seulement quelques centaines de mètres de la ligne bleue, le village avait déjà payé un lourd tribut au bout d’un an de combats transfrontaliers entre l’État hébreu et le Hezbollah, ciblé une cinquantaine de fois par des tirs israéliens. Il est logiquement apparu le 6 octobre sur la longue liste des localités au sud du fleuve Litani mentionnées dans l’un des nombreux avis d’évacuation régulièrement publiés par le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee.

Pas épargné non plus lors du précédent conflit de juillet 2006, il n’avait toutefois jamais été décimé dans de telles proportions, à l’image d’autres villages du Liban-Sud comme Yaroun, où une mosquée et une église melkite ont été bombardées, ou Aïta el-Chaab, village libanais le plus fréquemment ciblé depuis le 8 octobre 2023 après avoir déjà été rayé de la carte en 2006. « Je n’arrive pas à concevoir que tout le décor dans lequel j’ai grandi depuis mon enfance n’existe plus, confie Fatmé Jaber, 25 ans, étudiante en médecine et pharmacienne, originaire de Mhaybib. C’est comme si les souvenirs d’une vie entière venaient de partir en fumée. C’est un sentiment indescriptible. »

Dans un long message publié sur son compte Facebook, la jeune femme énumère toutes ces choses qui animaient les « quatre ou cinq ruelles » qui composaient le patelin, trop étroit pour que « plus d’une voiture » ne le traverse à la fois : « Hier, Israël a dynamité notre village, et en un instant tout s'est évaporé. On ne pourra plus dire “sous le réservoir d’eau”, “sous le mûrier” ou “près du Nabi”. On ne passera plus par la petite ruelle près de la maison de Madame Kamel. Madame Moussa ne m’attendra plus le matin devant chez elle pour me demander de lui apporter des médicaments. Hoda et Mona ne seront plus nos voisines. On ne descendra plus au verger pour cueillir de la menthe et du persil. On ne passera plus chaque soir chez mon grand-père pour boire du thé et manger des kaak... »

D’autres commentaires emploient un ton plus revanchard, inscrivant cette perte dans le prix à payer par la « résistance » : « En 2006, l'ennemi avait détruit nos maisons, mais nous sommes revenus. En 2024, l'ennemi s'est vengé en faisant tout exploser, mais encore une fois, nous reviendrons pour reconstruire le village et le rendre plus beau que ce qu’il était auparavant. Nous avons sacrifié nos foyers et nous-mêmes pour la ligne de la résistance. »

« Les villages du Liban deviendront déserts »

L’un des combattants du Hezbollah, Moustapha Jaber, tué le 6 janvier 2024 dans un raid israélien près de Adaïssé, était originaire de Mhaybib. De son côté, l’armée israélienne a affirmé que le village servait de « centre de gestion des combats dans le sud du Liban » au parti chiite. « Sur place, les combattants de la brigade Alexandroni ont découvert des dépôts de munitions, des explosifs et des dispositifs d'observation avancés, ainsi qu'un sous-sol qui contenait des habitations », a-t-elle indiqué, sans apporter de preuves directes à ces affirmations. Une vidéo similaire à la description faite dans ce communiqué a été publiée il y a quelques jours par l’armée israélienne, sans qu’une localisation précise soit apportée.

En plus d’avoir sciemment filmé la destruction de Mhaybib, des soldats du 7012ᵉ bataillon d’infanterie, membre de cette même brigade, qui faisait partie des milices juives de la Haganah avant 1948, se sont photographiés en train d’investir des habitations vidées de leurs propriétaires, ou encore d’installer une « souccah », une hutte temporaire construite pour être utilisée pendant la semaine de la fête juive de Souccot, à l’extérieur d’une maison dans le secteur de Meis el-Jabal.

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Également déployée dans la bande de Gaza, où elle s'est prêtée à des explosions de zones résidentielles du même acabit, la brigade Alexandroni fait partie de la 91ᵉ division de l’armée israélienne, dite division « Galilée », l’une des plus actives dans la conduite des incursions terrestres israéliennes au Liban-Sud depuis le 1ᵉʳ octobre. D’après une responsable de la santé mentale de l'armée israélienne, citée par la radio publique israélienne, le nouveau commandant de la brigade Alexandroni, le colonel Moshe Pesel, aurait déclaré fin août dernier qu'il souhaitait que ses combattants « commettent un génocide » au Liban. « Les villages du Liban deviendront déserts et les routes impraticables », aurait-il écrit dans un document envoyé aux soldats. « À chaque fois que nous disions à quelqu’un que nous étions de Mhaybib, personne ne savait où c’était. Maintenant, tout le monde sait que notre village se trouvait au mauvais endroit... » regrette Fatmé Jaber.

Au moment où Qassem Jaber a vu apparaître les images sur l’écran de son smartphone, partagées en masse sur les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp de tout le Liban, la première étape fut celle du déni : « Quand j’ai regardé cette vidéo pour la première fois, je ne voulais pas y croire. Je me disais que c’était impossible, que ce que je voyais en train d’exploser ne...
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