Il avait repris conscience depuis presque deux heures. Mais il était secoué, confus, comme s’il avait peur de tout.
Depuis deux jours, ce petit enfant se trouvait dans les salles des soins intensifs de l’hôpital. Il était l’un des seuls rescapés de l’effondrement de l’immeuble dans lequel il se trouvait, dans un quartier de la banlieue sud de Beyrouth, à cause des bombardements aveugles aériens de l’armée israélienne.
Il avait des blessures sur le visage, et surtout du côté gauche de son corps, car le mur de sa chambre s’était écroulé sur lui, lui brisant les os du bras et de la jambe.
Deux jours auparavant, les secouristes, après de longues heures d’efforts interminables, l’avaient sauvé des décombres d’un immeuble, par un acte miraculeux. L’immeuble de huit étages avait été entièrement rasé, et presque tous les habitants avaient trouvé la mort.
Il avait peut-être cinq ou six ans, selon le médecin traitant. Il était en état de commotion et de traumatisme, se sentant perdu parmi tous ces malades dans cette immense salle de l’hôpital. D’ailleurs, pourquoi se trouvait-il là ? Que faisait-il ici ? Où étaient ses parents ? Tant de questions dans sa tête et aucune réponse. Des images de sa maison, de son village, de ses parents lui revenaient en tête : leur maison à Khyam, dans le sud du pays, son père Mehdi, sa mère Alia, ses trois sœurs Mariam, Noura et Fida, ses deux chiens Rex et Flora, et surtout ses grands-parents paternels qui vivaient dans la même maison, qu’il aimait tant.
Mais maintenant, il se trouvait seul, sans amis, sans famille, parmi tous ces étrangers. C’était peut-être la première fois de sa vie qu’il se sentait abandonné, lui qui n’avait jamais été laissé seul par sa mère tant aimée.
Tout ce dont il se souvenait, c’est que, depuis quelques jours, ses parents, se sentant mal protégés face aux tirs israéliens, avaient décidé de se déplacer en famille pour quelques jours chez leur oncle Hussein à Beyrouth, où ils seraient plus loin des bombardements. C’était tout ce qu’il savait. Le malheureux ignorait que le destin avait voulu que les Israéliens bombardent l’immeuble où sa famille se trouvait, et qu’il serait l’un des rares rescapés de cette hécatombe.
Il ne comprenait pas pourquoi les médecins et les infirmières étaient si gentils et affectueux avec lui, même s’ils l’étaient avec tous les blessés, mais particulièrement avec lui. Eux, ils savaient qu’il était un survivant miraculeux. Ils le caressaient lors de leurs passages, lui demandaient son nom, essayaient de lui sourire, mais le petit, étant sous le choc, refusait de dire un mot. Ce n’est qu’après quelques longues heures et surtout grâce à l’attention affectueuse de l’infirmière Samira, qu’il s’est enfin senti un peu plus rassuré et a ouvert la bouche. D’une voix frêle et chétive, il a prononcé une simple phrase : « Je m’appelle Allouche et je veux ma maman », avant de fondre en larmes.
Pauvre Allouche, il ne savait pas qu’il ne reverrait jamais sa mère tant aimée, ni aucun autre membre de sa famille. Il les avait tous perdus. À cinq ans, il était devenu orphelin. Adieu famille, adieu enfance, adieu quiétude…
À cinq ans, il se retrouvait sans foyer dans son propre pays. Pourquoi ?
Parce qu’il était simplement un enfant du sud du Liban, et que, depuis sa création, l’État d’Israël attaquait souvent cette région. Un jour, ils ont décidé de bombarder des immeubles résidentiels, même dans une région éloignée du Sud. Était-ce sa faute d’être né à Khyam ? Était-ce sa faute d’être le fils du Sud ? Le destin en avait décidé ainsi.
Aujourd’hui, c’est le petit Allouche qui est devenu orphelin. Demain, avant même que ses larmes ne soient séchées, il y en aura sûrement dix autres comme lui, se retrouvant sans parents et sans abri.
Tant que nous ne pourrons pas arrêter la sauvagerie et l’hégémonie de l’ennemi, rien ne nous garantira que la souffrance du peuple libanais prendra fin. Que cela soit bien clair. Mais en attendant, il faut s’entraider et ouvrir nos portes, surtout nos cœurs, à tous nos frères et sœurs blessés et démunis dans leur propre pays.
Qui les protégera et les hébergera si ce n’est nous, leurs concitoyens ? Nous devons être solidaires avec nos frères en larmes, nos frères dans le besoin. Pendant cette période de souffrance nationale, nous devons tous ressentir une responsabilité envers nos enfants et nos parents en détresse. C’est la seule manière d’agir, et c’est notre façon pacifique de résister à la cruauté et à la férocité de l’ennemi.
Aujourd’hui, nous sommes tous des Sudistes.
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Les israéliens se font du mal car ils sont haï mais personne ose dire du mal des juifs car ils sont traités antisemites
12 h 01, le 12 octobre 2024