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Nos Lecteurs ont la Parole

Les arguments des juifs contre le mouvement sioniste

La création de l’État d’Israël est le résultat du mouvement sioniste, qui a émergé à la fin du XIXe siècle en réponse à l’antisémitisme sévissant en Europe. Ce mouvement avait pour objectif de créer un foyer national pour le peuple juif en Palestine. Initialement, le sionisme a fait l’objet d’une opposition farouche de la part de nombreux juifs pour des raisons religieuses ou laïques. Cependant, au fil du temps, la réticence à l’idée d’un État juif en Palestine a diminué en raison de la montée en flèche de l’antisémitisme en Europe aux XIXe et XXe siècles, culminant avec l’Holocauste et plusieurs autres facteurs.

Le mouvement sioniste a été parrainé par Theodor Herzl, un journaliste et écrivain austro-hongrois. Celui-ci avait été fortement influencé par l’affaire Dreyfus en France, qui avait suscité une forte réaction antisémite. Cela l’avait conduit à considérer que, même en France, patrie des droits de l’homme, de l’égalité et de la tolérance religieuse, les juifs étaient en danger. Il en était arrivé à une conviction : la création de l’État d’Israël devait être imminente. Voici l’une de ses déclarations, tout à fait explicite : « Quand on voit un peuple avancé, si hautement civilisé par ailleurs, prendre une telle voie, que pouvons-nous espérer d’autres peuples qui n’atteignent même pas le niveau de la France d’il y a cent ans ? »

La décision de créer un État juif en Palestine a enthousiasmé de nombreux juifs, notamment ceux de l’ouest de la Russie, qui subissaient des pogroms depuis 1881. L’assassinat d’Alexandre II a intensifié la répression des minorités par le gouvernement russe, exacerbant l’antisémitisme et rendant la vie des juifs plus difficile à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Dans ce contexte, la perspective de créer un État juif en Palestine, soutenue par le mouvement sioniste de l’époque, offrait aux juifs de l’ouest de la Russie un espoir de refuge et d’autodétermination.

Cependant, cette perspective se heurte à une forte opposition de la part des juifs laïcs des pays occidentaux, bien intégrés dans leurs pays de résidence, ainsi que des juifs religieux qui reprochent à l’organisation sioniste de déformer la véritable religion juive. Theodor Herzl, d’ailleurs, s’attendait à une opposition farouche à son projet, comme il l’a mentionné dans ses écrits : « À Bâle, j’ai créé l’État juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, tout le monde se moquerait de moi. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, tout le monde acquiescera... »

L’argument religieux

Les sionistes nationalistes cherchaient à obtenir le soutien des juifs religieux en justifiant leur projet d’un État juif en Palestine par des passages bibliques décrivant la terre d’Israël comme faisant partie du pays de Canaan. Ils interprétaient ces passages comme une affirmation que Dieu avait promis cette terre au patriarche Abraham et à sa descendance, Isaac et Jacob.

Depuis l’expulsion des juifs de Palestine après la destruction du Second Temple, le rêve de retourner en Terre sainte est ancré dans la culture juive, comme en témoigne la célébration de la Pâque durant laquelle ceux-ci expriment le souhait de « l’an prochain à Jérusalem ! » Cependant, selon la croyance juive orthodoxe, la réalisation de ce retour nécessiterait le pardon de Dieu et s’accomplirait par l’intermédiaire du Messie qui construirait un État juif idéal. La diaspora juive est d’ailleurs souvent perçue comme une punition divine.

Certains courants juifs ont interprété différemment la Bible, en prônant un retour immédiat en terre d’Israël. Le recours à la Bible pour justifier le projet sioniste a été attribué à certains rabbins, notamment Tzvi Hirsch Kalisher, qui, en utilisant une perspective théologique différente de la croyance juive orthodoxe, a prôné le retour immédiat des juifs en terre d’Israël, sans avoir à attendre le pardon de Dieu. Cette perspective a ouvert la voie au sionisme. Cependant, pour les juifs orthodoxes, le sionisme est considéré comme une rupture avec la continuité historique du judaïsme et a été rejeté par eux qui y ont vu une sorte de transgression de la volonté divine. Yossef Salmon, expert israélien de l’histoire du sionisme, l’explique dans les termes suivants : « Le sionisme a posé la plus grave des menaces parce qu’il visait à voler à la communauté traditionnelle, tant au sein de la diaspora qu’en Eretz Israël (terre d’Israël), tout son patrimoine, à lui enlever l’objet de ses attentes messianiques. Le sionisme défiait tous les aspects du judaïsme traditionnel… » Selon le rabbin Isaac Breuer (1883-1946), l’un des principaux penseurs de l’orthodoxie juive moderne, « le sionisme est l’ennemi le plus terrible qui ait jamais existé pour le peuple juif. (...) Le sionisme tue le peuple juif et élève ensuite son corps au trône ».

L’argument laïc

L’opposition juive laïque au sionisme a contribué à retarder la création de l’État d’Israël. Cette opposition provenait principalement de deux courants politiques : le courant nationaliste juif et le courant libéral. Le nationalisme juif visait à regrouper les juifs sur une base nationale, plutôt que religieuse, afin de préserver leur identité dans les pays où ils vivaient, plutôt que de créer un État juif. Nathan Birnbaum, l’inventeur du mot « sioniste », s’est éloigné de cette idéologie et a plutôt défendu un nationalisme en diaspora. L’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie et de Pologne, créée en 1897, est généralement considérée comme le premier parti politique juif socialiste et laïc destiné à représenter la minorité juive de l’Empire russe. Il prônait le droit des juifs à se constituer une nationalité laïque de langue

yiddish, dans les pays de leur résidence.

L’opposition juive envers le sionisme était également active parmi les juifs libéraux. Après la Révolution française, les juifs ont commencé à sortir des ghettos, ce qui leur a permis de définir leur identité juive en tant que citoyens des sociétés dans lesquelles ils vivaient. Beaucoup se sont d’ailleurs sécularisés et ont abandonné tout ou partie des pratiques religieuses du judaïsme. Ce changement de mentalité les a incités à se désintéresser du retour à une société juive fermée. Ils étaient également méfiants en ce qui avait trait au risque, pour eux, d’être accusés de double allégeance envers leur pays de résidence, d’une part, et envers Israël, d’autre part.

Quant à la réaction des juifs à la déclaration Balfour de 1917, elle n’a pas toujours été favorable. Voici un extrait de la déclaration Balfour : « Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l’établissement en Palestine d’un projet national présenté comme un foyer national pour le peuple juif. » La déclaration Balfour a été fortement contestée par des personnalités politiques telles que lord Montagu, ministre du gouvernement de David Lloyd George, qui a refusé à deux reprises le texte. Et c’est l’intervention du président américain Woodrow Wilson qui a finalement permis l’adoption de la déclaration Balfour. Le Comité des affaires juives étrangères en Angleterre a publié, en 1917, une lettre dans le Times rejetant les demandes sionistes et niant le besoin d’une patrie pour les juifs.

Cette déclaration Balfour, publiée en 1917, a joué un rôle majeur dans l’histoire du sionisme et de la création de l’État d’Israël en 1948. Elle a levé les réticences de nombreux juifs envers le sionisme en rassurant ceux qui craignaient d’être accusés de double loyauté.

Le sionisme a finalement réussi à rassembler un grand nombre de juifs autour de l’idée de la création d’un État juif en Palestine. Favorisé par l’antisémitisme rampant en Europe, culminant avec l’Holocauste nazi, et soutenu par des puissances-clés comme l’Angleterre et les États-Unis. Mais reste une minorité de juifs, religieux ou laïcs, ainsi que de nombreux intellectuels humanistes, qui condamnent fermement les violations des droits des Palestiniens perpétrées par Israël, y compris ce qui est considéré comme des crimes contre l’humanité.

Cependant, cette réalisation s’est faite au détriment des Palestiniens arabes, habitants ancestraux de la région. Des milliers d’entre eux ont été contraints de fuir leurs terres et de vivre dans des conditions précaires, loin de leur patrie, subissant discriminations et injustices.

Face à cette situation complexe, une approche nuancée et respectueuse de tous les acteurs est essentielle, où l’objectif ultime doit être de parvenir à une solution pacifique garantissant la coexistence et la justice pour toutes les parties concernées. Un dialogue constructif et une volonté sincère de compromis sont indispensables pour briser le cycle de violence et construire un avenir durable pour la région.

Georges Élias BOUSTANI

Architecte D.P.L.G.

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La création de l’État d’Israël est le résultat du mouvement sioniste, qui a émergé à la fin du XIXe siècle en réponse à l’antisémitisme sévissant en Europe. Ce mouvement avait pour objectif de créer un foyer national pour le peuple juif en Palestine. Initialement, le sionisme a fait l’objet d’une opposition farouche de la part de nombreux juifs pour des raisons religieuses...
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